L'offensive occidentale

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La deuxième marque du groupe genevois Rolex veut conquérir l'Europe et les Etats-Unis. Et renforcer encore ses positions en Asie.

L'Agefi - 7 juin 2010Propos recueillis par Bastien Buss

 

Que d'évolutions et de changements chez Rolex en à peine quelques mois. Depuis le déclenchement de la crise économique, la marque horlogère, numéro un mondial au niveau du chiffre d'affaires, a procédé à de nombreux ajustements à l'interne. Nouveau CEO, nouveau directeur commercial, nombreux remaniements dans différentes structures dirigeantes, davantage de communication à l'externe, etc. Sans rien renier toutefois de ses fondamentaux (L'Agefi du 19 mars). Mais la principale (r)évolution concerne peutêtre Tudor, la deuxième marque de ce groupe très discret. Encore relativement peu connue en Europe, absente depuis dix ans des Etats-Unis mais omniprésente en Asie, objectif lui a été assigné de sortir de ce relatif anonymat. Pour ce faire, une vaste offensive, en deux temps, est lancée sur les marchés occidentaux. Avec en corollaire, probablement, une augmentation des volumes (un peu moins de 200.000 montres aujourd'hui, selon nos estimations). A la tête de la marque depuis début janvier, Philippe Peverelli (ancien de Chopard notamment), détaille pour L'Agefi les tenants et aboutissants de cette stratégie. Avec une différence de taille par rapport à la référence biblique. Dans ce cas de figure, c'est David avec Goliath. Nul doute qu'une intense bataille va s'engager entre les différentes marques suisses actives sur le segment dit premium.

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Bastien Buss: Pourquoi lancer cette offensive maintenant et pas auparavant, puisque la marque a déjà été déposée en 1906 par Isaac Blumenthal et rachetée en 1926 par Rolex?
Philippe Peverelli : Pour bien comprendre cette approche, il convient de faire un petit retour dans le temps. Les deux marques ont historiquement le même géniteur, à savoir Hans Wilsdorf. Jusqu'en 1946, la marque a toutefois été peu développée. C'est à ce moment-là qu'a eu lieu le véritable accouchement. Avec comme résultat une très forte expansion en Asie depuis Hong Kong, qui ne s'est jamais démentie jusqu'à ce jour.

Pourquoi pas tout simplement lancer Rolex à ce moment-là?
Les montres Tudor offrent - et ont toujours offert - une excellente qualité à des prix très compétitifs, ce qui est particulièrement apprécié en Asie, notamment en Chine. Et puis, c'est une longue histoire d'amour avec ce pays. Qui se caractérise par des parts de marché importantes et une grande notoriété. Nous continuons d'ailleurs à y réaliser la majorité de nos ventes.

Et aujourd'hui?
Nous souhaitons nous affranchir davantage de Rolex, là où cela fait du sens et apporte un plus, afin de crédibiliser notre politique de marque autonome. Nous entendons ainsi conserver nos canaux de distribution actuels, notamment en Asie, tout en les développant. La marque est également à la recherche de nouveaux relais de distribution. Des boutiques entièrement dédiées à Tudor ont été créées, comme en Chine et à Macao, par exemple. Elles connaissent un grand succès. Le moment du redéploiement n'a jamais été aussi propice qu'aujourd'hui. Dans son segment de marché, Tudor est particulièrement attractif.

Dans quelle mesure êtes-vous indépendant par rapport à Rolex?
Nous logeons certes sous le même toit, mais bénéficions d'une large marge de manoeuvre. Par exemple, nous disposons de notre propre outil de production. Au-delà, il est évident que nous pouvons profiter du savoir-faire, des compétences et de la force de frappe de la maison-mère. Ne serait- ce qu'au niveau de ses 30 filiales à travers le monde ou de son service après-vente réparti dans le monde entier.

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Quels risques de cannibalisation avec Rolex?
Aucun. Il faut totalement s'affranchir de la comparaison ou de tous les codes de Rolex. Notre différenciation, et elle saute aux yeux, se fait au niveau des produits avant tout, du design, des prix, du marketing, etc. Il s'agit clairement de deux marques différentes. Dans le segment premium, nous avons clairement notre carte à jouer. Surtout depuis la crise qui a porté au pinacle l'exigence d'un très bon rapport qualité- prix. Soit exactement notre approche. Une nouvelle impulsion est actuellement donnée à la marque, notamment avec les modèles présentés cette année à Bâle, qui ont particulièrement séduit nos revendeurs. Tudor gagne en autonomie, avec une identité propre, reconnaissable entre toutes.

Concrètement, comment ce redéploiement va-t-il se dérouler?
Le processus a déjà débuté. Preuve en est: nous allons ouvrir notre premier shop-in-shop à Genève cet été. D'autres projets, qu'il serait fastidieux de détailler ici, vont être concrétisés ces prochains mois partout sur le Vieux- Continent. Avec, en ligne de mire à plus long terme, le Royaume- Uni et les Etats-Unis.

Combien de temps vous êtes-vous donné pour réussir?

Le plus rapidement possible. En Europe, nous visons une distribution alternative, qualitative et sélective. Tudor continuera toutefois de s'appuyer sur le vaste réseau de Rolex. Pourquoi s'en priver d'ailleurs, même si quelques ajustements pourraient survenir?

Quelle est votre gamme de prix?

Entre 1500 et 4500 francs prix public.

C'est une attaque frontale dans le segment de prix de Longines, marque du Swatch Group…
D'une manière générale, nous sommes plusieurs concurrents sur le segment premium. (Tag Heuer, Baume & Mercier, Breitling et partiellement Omega, parmi d'autres, ndlr.)

 

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Tudor est donc aussi un déploiement latéral contre Omega qui ne cache pas sa volonté de tailler des croupières à Rolex?
Rolex est clairement le numéro un mondial. Il est normal que tout le monde essaie de dupliquer son succès. Mais personne n'y est encore parvenu.

Quelle est votre production et à combien pourrait-elle se monter à l'avenir?
Nous ne publions pas de chiffres de production. Mais je peux dire que nous nous donnons les moyens de développer la marque.

Y aura-t-il un jour des mouvements Rolex dans les Tudor, équipés pour l'heure avec des calibres ETA de Swatch Group?
Actuellement, nous utilisons des calibres ETA «tudorisés» et il n'y aura jamais un mouvement Rolex dans une montre Tudor.

Et si, postulat très saugrenu, vous deveniez trop grand, titillant Rolex?
Hypothèse en effet très farfelue: Rolex sera toujours Rolex, et Tudor toujours Tudor. Comme déjà indiqué, nous souhaitons nous développer à notre manière et selon notre propre rythme, en nous affranchissant de plus en plus de Rolex. Nous pouvons nous dépasser sans cesse. C'est d'ailleurs la seule bataille sensée qui ne finit jamais.

Tudor, un produit d'appel pour entrer dans l'univers de Rolex?
Oui et non. Nous n'avons aucune honte, c'est bien le contraire au demeurant, de souligner les liens de parentés. Il faut toutefois savoir que le client final achète un produit. En l'occurrence, un produit très attractif qui porte sa propre marque: Tudor.

 

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