Zenith : le sans-faute de Julien Tornare

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Julien Tornare © Zenith
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Une page se tourne. En six années, Julien Tornare a remis Zenith sur le chemin du succès, une mission que d’aucuns jugeaient impossible tant la manufacture se cherchait depuis 15 ans. L’homme quitte Zenith pour prendre la direction de TAG Heuer

La fiche de poste en aurait découragé plus d’un. Lorsqu’il prend la direction de Zenith au printemps 2017, Julien Tornare est face à un mur. Il faut relancer Zenith, remotiver les troupes, stopper la fuite des compétences, revoir la stratégie produit, refondre la distribution, le positionnement de marque, réactiver l’innovation et s’offrir une autre réalité que l’incontournable mouvement El Primero. En deux mots : tout reprendre, ou presque. Sauf le patrimoine et l’esprit. Et c’est sur ces deux piliers que Julien Tornare a patiemment rebâti Zenith.

Tandem

Beaucoup l’ont donné perdant dès ses premières heures. L’homme est un pur produit Richemont (17 ans chez Vacheron Constantin), assez loin de la culture de LVMH qui détient Zenith. Il est choisi par Jean-Claude Biver, qui en dirige l’horlogerie. Une nomination qui est une bénédiction autant qu’un sort : être mis sur les rails par M. Biver ouvre une autoroute, mais c’est un parrainage pesant, une ombre de laquelle il est parfois difficile de sortir, tant l’homme est présent et puissant. À tel point que durant les 18 premiers mois de son mandat, beaucoup s’interrogeaient sur le véritable commandant de bord de Zenith : Julien Tornare en CEO, ou Jean-Claude Biver en coulisses ?

Julien Tornare © Zenith
Julien Tornare © Zenith

Sur le terrain

La réalité est quelque part entre les deux. En ce temps, M. Biver donne l’impulsion. M. Tornare apprend, déploie, encaisse les coups, sans jamais se départir d’un sourire et d’une énergie communicatifs. L’homme est un laborieux, au sens noble du terme : un CEO de terrain, de labeur, pragmatique. Chaque vente se gagne en boutique, une par une. Il rencontre les collectionneurs, replonge dans les archives. Un travail de fond exigeant mais nécessaire : à son arrivée, Zenith pèse à peine 80 millions (le double aujourd’hui). Un colosse aux pieds d’argile, un nom illustre mais un nain sur le marché.

Julien Tornare prendra deux ans pour stabiliser le bateau Zenith et enrayer sa chute. Mais l’homme est malmené par l’actualité. Après des débuts dans l’ombre de Jean-Claude Biver, qui finit par s’éloigner de Zenith bon gré mal gré pour redresser TAG Heuer, il bénéficie des 50 ans du mouvement El Primero en 2019...avant de plonger dans l’ère COVID. Pendant ce nouvel arrêt, Julien Tornare affine sa stratégie : surtout ne pas affaiblir El Primero pour redorer Zenith, mais monter en puissance sur les deux en même temps pour les ramener à vigueur égale.

Grenier Charles Vermot © Zenith
Grenier Charles Vermot © Zenith

Travail interne et externe

Pour y parvenir, Julien Tornare ne tombe pas dans le piège classique du luxe : des produits très exclusifs, des complications extravagantes, des prix qui s’envolent, des stars inabordables. Il fait même le contraire. Au Locle, il déploie un management horizontal. Il développe la fierté des employés à travailler chez Zenith. Le CEO passe un minimum de temps dans son bureau, un maximum sur le terrain. Il est l’un des premiers à établir la parité de ses collections, allant même jusqu’à supprimer la distinction entre « montres hommes » et « montres femmes ».

Vraie fausse start-up

On a parfois qualifié l’approche « d’esprit start-up ». C’est oublier un peu vite que la start-up en question, Zenith, appartient à un groupe qui pèse 80 milliards d’euros. Sa force de frappe est phénoménale et Zenith en bénéficie. Déjà, pour agir sur le long terme, sans qu’il n’y ait d’obligation de résultat à 12 mois, mais plutôt à trois ans – voire quatre ans « grâce » au COVID.

Ensuite, par la R&D que LVMH mutualise avec TAG Heuer. Ce labo commun permettra à Zenith d’offrir des produits très techniques, notamment des mouvements à double échappement que la manufacture du Locle n'aurait probablement pas pu concevoir ni produire seule.

Manufacture © Zenith
Manufacture © Zenith

Nouvelles gammes

Mais Julien Tornare a surtout su insérer sa vision au sein d’une stratégie produits créative. Alors que son mentor Jean-Claude Biver avait initialement misé sur le retour du très classique Elite, le CEO préfère infléchir la trajectoire vers le sport. Deux collections voient le jour : Defy et Chronomaster. Et puisque le nom « El Primero » n’est plus visible, Julien Tornare décide, pour ses fans, de proposer à la vente des El Primero « new old stock » des années 70, révisés, certifiés, vendus sur le web. En parallèle, les gammes Skyline ou Revival voient le jour pour surfer sur la vague « sport-chic » des années 70 avec de forts accents Genta. Sans oublier le retour de la ligne Pilot, Zenith étant la seule marque au monde à disposer du mot « Pilot » pour l’une de ses collections.

Repositionnement

Aujourd’hui, Zenith a acquis un statut à part : ancienne mais de perception jeune ; manufacture, mais abordable, même si les prix se sont dernièrement envolés. La marque est saine et bien positionnée, avec une cote encore faible sur le second marché – mais c’est aussi ce qui la rend encore accessible. Le CEO souligne d’ailleurs qu’à son arrivée, l’âge moyen de l’acquéreur Zenith était de 46 ans, pour 37 ans à son départ. Lui, à 50 ans, se tourne à présent vers TAG Heuer.

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