Le diable est dans les détails

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The devil is in the details - Technique
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En horlogerie, il faut considérer le tout mais aussi la somme des parties, aussi minuscules soient-elles. Car les montres vivent principalement, et se distinguent souvent, par leurs détails

En parcourant les sections commentaires de sites web et des divers réseaux sociaux, on lit souvent des remarques unilatérales et récurrentes. Dès qu’une montre s’inscrit dans le champ esthétique du style boite bracelet intégré années 70 ou montre de plongée vintage, elle est accusée d’être une copie. Une pâle copie. De ne pas être à la hauteur de deux ou trois icônes qui dominent le discours horloger ambiant. Or ce sont les arbres qui cachent la forêt. L’horlogerie est un écosystème dense, varié, dont la profondeur est immense et, de toute évidence, insoupçonnée de nombreux commentateurs auto-proclamés. En particulier, ils se concentrent sur les ressemblances évidentes et négligent, réfutent, même refusent de voir, ce qui fait la différence. En clair, ils sont aveugles aux détails, c’est-à-dire à l’essentiel.

Le diable est dans les détails

Broutilles

Car en horlogerie, le détail est tout. Dans cet objet dont le volume au poignet est de l’ordre de 15cm3, soit la moitié d’un shot de bourbon, les particularités sont la quasi intégralité de la personnalité. Il faut donc un regard attentif pour les déceler. Il n’est même pas besoin d’unœil éduqué. Après tout, on perçoit immédiatement la différence entre un Renoir et un Pissarro, une Porsche et une Ferrari. Tous travaillent dans le même registre, mais selon des modalités esthétiques, ou aérodynamiques dont la différence est évidente. Et si ces différences sont faciles à percevoir sur ces objets, c’est à la fois à cause de leur grande taille et de leur familiarité. Pour les montres, l’effort à fournir est plus important, et pour cause: elles sont petites.

Le diable est dans les détails

Vétilles

Cet effort est pourtant indispensable dès lors que l’on veut tenir un discours articulé et de bonne foi. Le style de la montre à bracelet intégré, qui domine les débats ces temps, en donne l’exemple le plus éclatant. Laureato, Overseas, Royal Oak, Nautilus, Aikon, BR05… entre les modèles anciens, nés au moment de l’éclosion de ce style, et les récents, on fait deux poids deux mesures. Un manque de culture et de recul focalise toute l’attention et la légitimité sur les plus évidents, ce qui discrédite les autres. Or il s’agit d’un style générique, qui a été presque banalisé par la profusion de designs vendus par le maître du genre, Gérald Genta. Il se décrivait lui-même comme un stakhanoviste du design et vendait à qui voulait bien, selon des variations de style minimes. D’autre part, sur la base d’un principe commun, le fait que la boîte se prolonge naturellement dans le bracelet métallique sans l’entremise de cornes rapportées, donne lieu à des variations infinies. Enfin, dernier sujet : le cadran est l’élément le plus visible de la montre et il en est aussi le plus malléable.

Le diable est dans les détails

Petits riens

Mais au-delà de ces ressemblances superficielles, la montre continue à vendre sa capacité à accomplir de mille manières les trois mêmes exercices : la boite, le cadran, le mouvement. Une multitude de formes, de motifs, de textures, de lignes, de courbes, d’inflexions, de teintes, d’accords de couleurs ouvrent à l’infini les possibilités de la création horlogère. Plus encore, ce sens du détail s’exprime pleinement sur le mouvement.

Le diable est dans les détails

Les modalités d’exécution de la mécanique parcourent un champ lui aussi immense, qui va de l’utilitarisme industriel à la mécanique d’art en passant par le machinisme viril. C’est là que s’exprime le fin du fin de l’horlogerie. Dans les ressorts qui retiennent les barillets. Dans la forme des ponts de balancier. Dans les finitions des tranches des pièces. Dans la forme des ponts. Dans le choix d’une courbe et de sa contre-courbe. Trois cents ans d’horlogerie précieuse perdurent dans ces minuscules variations autour du nécessaire. Elles font entrer la montre dans le superflu, le détail, et donc dans son essence même.

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