Jusqu’à quand le tourbillon allait-il rester l’apanage de la Haute Horlogerie séculaire, traditionnelle mais inaccessible au plus grand nombre ? En 2016, Jean-Claude Biver siffle la fin de la récré. Celui qui était alors patron de TAG Heuer présente un tourbillon maison en dessous de 15’000 CHF. L’homme frappe fort, très fort: jusqu’alors, il fallait débourser cinq fois plus en moyenne pour obtenir ce qui en constituait le modèle le plus abordable. De nombreux tourbillons passaient même allègrement la barre de 200’000 CHF.
De 01 à 02
Six mois après le lancement de la TAG Heuer Carrera Heuer 01, colonne vertébrale d’une nouvelle collection de chronographes maison, la marque présente la TAG Heuer Carrera Heuer 02T, un chronographe automatique certifié COSC doublé d’un tourbillon volant en titane et carbone à 6h, développé en interne à partir de 2015. Ses caractéristiques techniques restent peu ou prou les mêmes que celles de sa base Heuer-01, avec simplement une réserve de marche qui passe de 50h à 65h. Pour le reste, TAG Heuer reste fidèle à sa vocation chronométrique et offre très rapidement à son modèle d’être certifié chronomètre par le COSC – le millième exemplaire certifié COSC fut d’ailleurs vendu aux enchères sur eBay en mars 2017, après une production 2016 de 710 mouvements à tourbillon.
Moderne, puissant, précis
Dans son traitement, l’objet est résolument moderne, avec des angles vifs, du PVD noir sur nombre de ses surfaces, une cage en carbone, des ponts squelettés, le tout avec un cadran lui aussi très architectural et ouvert. Le châssis industriel du calibre Heuer-02T a été développé pour optimiser l’assemblage dans les ateliers du site TAG Heuer de Chevenez. Le tourbillon, fabriqué à la main par quatre horlogers, est inspiré du tourbillon de la Monaco V4, dont les parties centrales sont en titane et le dessus en carbone. Le réglage est fait à la main. Les principaux composants sont fabriqués dans les ateliers de TAG Heuer. Au cœur du tourbillon, le ressort spiral est produit par son partenaire suisse Atokalpa.
Petit et Équilibré
Le principal exercice technique a été de loger un seul barillet, les fonctions du chronographe, le remontage automatique et le tourbillon volant dans un diamètre de 32mm avec un écartement maximum pour les compteurs, afin de créer un bel équilibre visuel séduisant et moderne.
C’est naturellement que le calibre Heuer 02T a trouvé sa première implantation dans l’iconique Carrera. Le tourbillon est en effet couplé à un chronographe. La boîte modulaire de la Carrera, forte de plus de 12 éléments différents, augmente le champ des possibilités créatives. TAG Heuer ne se privera pas de les exploiter, avec des variations en noir, noir et or, bleu, etc. Au lancement de ce tourbillon, il y eut d’ailleurs une version Black Phantom à 19’900 CHF, en édition limitée à 250 pièces numérotées.
Casse-tête commercial
L’accueil du marché fut enthousiaste. La première série a été pré-vendue en quelques jours. Les détaillants furent plus réservés. D’abord, parce que les livraisons se firent progressivement plus espacées, mettant à rude épreuve la patience des boutiques et collectionneurs.
Ensuite, parce que le positionnement tarifaire cassait un modèle économique sur lequel vivait une large partie de l’industrie horlogère. À la question «Pourquoi un tourbillon à si bas prix ? », Jean-Claude Biver répondait invariablement «Parce que c’est un modèle TAG», sous-entendant que la marque avait toujours privilégié la précision à prix humain. Les détaillants, eux, se demandaient comment vendre deux tourbillons présentés côte à côte, l’un à 15’000 CHF, l’autre à 150’000 CHF, sans réelle différence entre les deux…
Objectif Différenciation
Progressivement, TAG Heuer a donc entrepris de différencier son Heuer 02T du reste du marché. L’idée était simple : garder un prix plancher, mais faire en sorte qu’il ne soit plus la seule motivation d’achat. La première mesure fut de le proposer en séries limitées (par exemple une édition Ayrton Senna de 65 exemplaires, ou une collaboration avec Aston Martin pour 150 exemplaires). En bridant la production, TAG Heuer a créé la rareté et s’est engagée sur des quantités que la manufacture pouvait effectivement livrer.
La seconde mesure fut de faire évoluer le Heuer 02T. En 2019, quelques mois avant son départ, Guy Sémon, alors cheville ouvrière de la R&D chez TAG Heuer, a notamment lancé le Heuer-02T Tourbillon Nanograph. C’est le premier tourbillon avec spiral en carbone : une véritable disruption, face aux spiraux en Nivarox qui accaparent l’écrasante majorité du marché, et aux modèles en silicium qui sont encore pour le moment protégés par un brevet partagé par une poignée de marques, dont TAG Heuer ne fait pas partie. Le spiral en carbone est réputé avoir un déploiement parfaitement concentrique. Mais surtout, il est maîtrisé uniquement par TAG Heuer, qui ne se prive pas – à nouveau! – de loger sa création dans une montre proposée à un prix très compétitif, 23’200 euros.
*Cette année GMT Magazine et de WorldTempus se sont lancés dans le projet ambitieux de résumer les 20 dernières années du tourbillon dans The Millennium Watch Book - Tourbillons, un grand et beau livre magnifiquement illustré. Cet article en est un extrait. The Millennium Watch Book - Tourbillons est disponible sur www.the-watch-book.com, en français et en anglais.
