Mais comment font-ils ?

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How do they do it? - Maurice Lacroix
Une analyse du succès de la marque jurassienne, de ses ingrédients et des leçons qu'on peut en tirer

Maurice Lacroix connait un succès comme on en voit peu dans l’horlogerie actuelle, et quasiment pas en dehors du créneau de la création indépendante et à complication. Ses équipes sont petites. La marque aussi, vous me direz, donc c'est logique. Sauf qu'en fait, elle est plus importante qu'on pense, qu'elle est en croissance continue depuis plus de trois ans et qu'elle a à peine marqué un arrêt en 2019/2020. Il s'agit donc d'une marque légère, qui sous-traite toute sa fabrication de composants, mais pas l’assemblage de ses mouvements manufacture, de ses montres ni ses développements. Maurice Lacroix a réussi quatre choses essentielles, des accomplissements derrière lesquels toutes les marques courent.

Mais comment font-ils ?

La première est d'avoir installé un modèle emblématique. Un best-seller qu'elle décline dans des versions nombreuses et des gammes annexes. Il s'appelle Aikon Automatic, comme un pied de nez aux innombrables icônes auto-proclamées. Montre en acier à bracelet intégré, cadran Clou de Paris, lunette avec des cavaliers horaires, Aikon Automatic est cool, elle est confortable et elle n'est pas chère. Mais ce qu'il faut en retenir est que ce modèle a sauvé la marque. Il y a sept ans, elle était devenue petite, fragile, sans fer de lance. Entre son lancement en 2018 et son explosion en 2019, Aikon Automatic a renversé la situation sur les trois point pré-cités. Pour homme, pour femme, entre les deux, de 35 à 43 mm. Trois aiguilles ou chronographe ou GMT. Avec un cadran noir, gris, bleu, vert, rose, champagne, camouflage, nacre, serti. En acier, en titane, DLC noir, camouflage ou en bronze et même gravée. Elle a sa variante aventure, l'Aikon Automatic Venturer, des complications, dont la Master Grand Date ou Mercury et des versions squelette. Et il lui reste son modèle originel, à quartz, dont les lignes un peu plus douces et polies rappellent plus clairement le modèle qui sert d'inspiration à toute cette gamme, la Calypso, best-seller de la marque dans les années 80.

Mais comment font-ils ?

L'autre réussite de Maurice Lacroix est ce qu'on pourrait appeler la guérilla marketing. Elle ne fait pas de campagne massive, unilatérale, institutionnelle, internationale. Les lancements sont nombreux, fréquents, ramassés dans le temps et l'espace, et s'étalent sur toute l'année. Environ quatre fois par an, ils prennent la forme de séries limitées créées en association avec les nombreux et éclectiques membres de son team d’ambassadeurs. Ils ont presque toujours un profil local, une audience fidèle et une interaction forte avec le produit. Maurice Lacroix les associe parfois aux profits générés par la promotion qu'ils font. Résultat, ces séries s'écoulent vite, souvent trop, ce qui génère de la frustration de la part des acheteurs qui ont raté le coche. Il en suit une désirabilité qui monte, doucement.

Mais comment font-ils ?

Troisième réussite, le web. Maurice Lacroix effectue officiellement 30% de ses ventes en ligne (chiffre 2020, réparti entre son e-boutique et celles de ses détaillants). C'est un chiffre énorme. Il faut le dire : les montres neuves se vendent très mal sur internet. Ceux qui disent le contraire mentent (oui oui, ils font ça) et se contentent de quelques points de pourcentage qui ne justifient pas leurs lourds efforts. Maurice Lacroix a basculé sa communication sur le digital depuis trois ans, est à peine présent sur les formats papier (5%) et coordonne ses actions avec les lancements expliqués ci-dessus. Mais elle ne le fait pas à grand renforts de budget et n'a pas débauché un expert international d'envergure pour le faire. Le savoir-faire est largement venu de l'interne. Résultat, c'est une marque qui n'a pas arrêté de parler à son public historique, des hommes de plus de trente ans dans la zone germanophone, et qui a gagné une autre audience : femmes, jeunes, public international, digital natives, millenials, bref, le jackpot après lequel court toute l'industrie horlogère.

Mais comment font-ils ?

Derrière tous ces facteurs repose celui qui crée peut-être le véritable attrait de la marque, celui qui transforme l'essai : son rapport qualité/prix. Elles sont nombreuses, les marques qui se vantent d'en avoir un excellent. Mais là, on se frotte un peu les yeux parce qu'Aikon arrive à des niveaux qui sont normalement réservés à des marques qui font de cinq à trente fois plus de volume. Un chronographe squelette à 6950 € ? Une trois aiguilles automatique à boite bracelet intégrés à 1690 € ? Une automatique étanche 300 mètres en bronze avec deux bracelets pour 2590 € ? Une pièce avec boite et bracelet entièrement gravés (au laser, mais quand même!) pour 1990 € ? Le tout avec des finitions (pas sur les mouvements quand ils sont génériques) excellentes, à l'oeil, au doigt et à la loupe ? Maurice Lacroix n'est pas cher mais ne fait rien à l'économie.

Résumons un peu : une marque qui cherchait sa pertinence dans les années 2010 est aujourd'hui un modèle de souplesse et d'efficacité, maitrise le web sans avoir recruté de grands spécialistes mondiaux, a créé un modèle déclinable qui a du succès, très bien placé en prix, qui croît sans cesse et pétille. Bien joué Maurice.

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