L’Âge d’Or Des Indépendants : Partie 1

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Independents The Golden Age: Part 1  - 20 Years of Watchmaking
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Héritières des cabinotiers, les marques indépendantes constituent probablement le phénomène le plus marquant et unique de ce XXIe siècle horloger. Créatives, voire sans limites dans les extrêmes qu’elles atteignent, elles ont dessiné un paysage haut en couleur, varié, qui n’a cessé de s’épanouir entre 2000 et 2009, puis à nouveau depuis 2016*

Ils sont anecdotiques et pourtant, ils se sont rendus indispensables. Ils sont petits mais on les entend et on les voit beaucoup. Leur production ne ressemble à rien d’autre car ils poussent tout plus loin. Eux, ce sont les indépendants. Durant les vingt dernières années, ils ont conquis une place centrale dans le dispositif horloger. Ils ont profondément influencé l’art de la montre contemporaine depuis les franges les plus extrêmes de la création. Ils ont digéré, parfois initié, les grandes tendances de leur temps, appris les classiques, pour créer des pièces que l’on ne voudrait pas tous mettre au poignet mais que l’on ne peut s’empêcher de regarder avec un mélange d’admiration, d’étonnement et parfois d’incompréhension. Oui, cette fois-là comme tant d’autres, ils avaient osé !

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Libres

Après avoir énoncé cette influence décisive, il reste à trouver une définition exacte de ces horlogers indépendants. Car en fait, Rolex, Chopard et Richard Mille, chacun dans une catégorie et avec une taille différente, en sont. L’indépendance n’est pas qu’un statut juridique ou une structure d’actionnariat. Après tout, on peut être sans attaches capitalistiques et être institutionnel, voire même conventionnel. C’est un état d’esprit. Ce que les indépendants dont nous parlons ont en commun, c’est avant tout une volonté profonde de faire les choses à leur manière. Indépendamment des codes d’une marque contrainte par le poids de son histoire. Indépendamment des considérations de business, de marketing et de distribution.

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Indépendamment de la pression ambiante qui dicte les tendances lourdes. Indépendamment des conventions, des habitudes, de la routine. Au contraire, ces acteurs nombreux et divers sont animés par une vision intérieure qui dicte leurs choix. Ils sont à la fois exigeants, originaux et différenciants en matière de qualité de facture, de création, de design. Or, le poids de ces facteurs s’est accentué comme jamais lors des années 2000-2020. Rien d’étonnant à ce qu’une bonne part des quarante et quelques marques d’indépendants aient été fondées entre 2002 et 2006. Rien de surprenant non plus à ce qu’elles se concentrent dans des espaces créés pour elles lors des grands salons, Carré des Horlogers au SIHH ou Ateliers à Baselworld.

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Précurseurs

Le contexte de l’horlogerie est déjà passablement bouleversé au passage du siècle. Les grandes tendances que sont tourbillons, complications avancées, grands diamètres et affichages baroques sont installées, signatures du retour en grâce de l’horlogerie mécanique. Le secteur est mûr pour accueillir une dose supplémentaire de folie, d’audace, de créativité, de différence. Il existe déjà un terreau d’indépendants, alors trentenaires ou quadragénaires. Ils défrichent le terrain et se sont déjà fait un nom, souvent le leur, en fabriquant leurs propres montres. Ils s’appellent François-Paul Journe, Antoine Preziuso, Vincent Calabrese, Philippe Dufour, Gérald Genta ou Svend Andersen. Ils se sont tous signalés avec des approches annonciatrices de la nature des indépendants à venir. Leurs productions sont minuscules, quelques centaines de pièces tout au plus chaque année, parfois bien moins. Leurs équipes sont réduites, au point que certains travaillent seuls ou avec un unique apprenti, ainsi que leur femme qui tient les comptes et, aussi, le maître à bout de bras. Parfois, ces marques ne sont pas créées (ou parfois ressuscitées comme ce fut le cas de Bovet ou Urban Jürgensen) par des horlogers. Une logique entrepreneuriale est à l’origine de Rebellion, ArtyA ou encore Cabestan et Cyrus, même si elle se double toujours d’une puissante logique horlogère.

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Les indépendants opèrent dans tous les registres, de la montre la plus classique et de haute facture à la plus originale. Cet axe descriptif est représenté par Philippe Dufour d’un côté et par Vianney Halter de l’autre. Cette dialectique se retrouvera quelques années plus tard entre un Laurent Ferrier, chantre de la finition à l’ancienne, et MB&F, qui n’a peur d’aucune forme inclassable. Entre un Romain Gauthier, angleur et polisseur fou de perfection, et Hysek, qui invente des mouvements à la complexité délirante, des squelettes graphiques dont on se demande comment ils tiennent. Entre un Kari Voutilainen, qui ne cesse d’exploiter la subtilité des lignes et des complications, et Urwerk, qui pratique une métaphore de science-fiction en version condensée au poignet. Dans les thèmes, on retrouve un attachement à des codes de civilisation qui vont de la culture populaire avec les super-héros de Romain Jerôme (RJ Watches) à une exploitation savante des théories horlogères classiques. Parmi ces dernières, on ne citera que les échappements libres théorisés par Breguet et Berthoud, appliqués par Voutilainen ou Laurent Ferrier, et la résonance issue des travaux d’Antide Janvier, pratiquée par Beat Haldimann et F.P. Journe.

Practiciens

Les marques d’indépendants sont par définition très incarnées, par leur taille minuscule et/ou l’importance de leur créateur. Il assure la promotion et la vente, et c’est un atout. Car un autre trait profond des années 2000-2020 est l’approfondissement du contact entre le client et sa montre. Il n’est plus seulement client. Il est parfois acteur de sa création – et les indépendants sont souvent des fabricants de sur-mesure. Il est aussi un fin connaisseur, amateur éclairé qui rivalise de savoir avec les spécialistes du secteur. À ce titre, il veut remonter à la source, à l’inventeur. Et cela tombe bien puisque c’est lui qui tient le petit stand du salon d’horlogerie de telle ou telle ville. Le créateur peut alors livrer en personne sa vision, raconter ses histoires, entendre celles des autres, sans intermédiaire, sans filtre.

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Indépendamment d’un réseau de boutiques ou de managers, il pratique une imprégnation mutuelle qui le sort de son atelier. Car ce qui caractérise nombre de ces horlogers est que précisément, ce sont des horlogers. Ils pratiquent l’établi au quotidien, souvent en parallèle à la fonction de constructeur. Ils savent donc concevoir un mouvement, le décorer, l’assembler et le régler. Ceci explique d’ailleurs pourquoi la haute horlogerie, de petite et moyenne complication mais de très haute facture, tient une place si importante dans ce petit monde. Quant à la fabrication, ils ne se soucient que rarement de l’intégrer. L’idée même de manufacture autonome est loin de leurs préoccupations pour des raisons de coûts d’abord, et de réseau ensuite. Car ils sont, et pour la plupart vont rester, dans des entreprises de taille modeste, incapables de financer les investissements matériels que l’autonomie suppose. S’ils ont quelques machines, c’est pour usiner des composants trop spécifiques pour être délégués avec succès. C’est ainsi qu’ils sont intégrés dans un tissu de sous-traitance et de collaboration de manière encore plus intime que n’importe quelle autre marque, parce que leur survie en dépend.

Fecondations

Il suffit de voir comment ils sont nés. Certains ont débuté horlogers restaurateurs, comme Kari Voutilainen qui a fait ses classes chez Parmigiani Fleurier à entretenir des pièces de la collection Sandoz. Ou au sein des marques les plus compétentes en haute horlogerie, comme Robert Greubel et Stephen Forsey qui se sont rencontrés chez Renaud & Papi, l’officine en charge des grandes complications d’Audemars Piguet et par la suite de Richard Mille. Puis, ils ont fait preuve d’esprit d’entreprise. Ils se sont lancés souvent sans fonds mais avec dans leur escarcelle un contrat de sous-traitance, un mandat de conception, l’exécution d’une série limitée.

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Ils les ont obtenus parce que, libérés des logiques de groupe, les indépendants fonctionnent en réseau. Comme dans toute structure réticulaire, il y existe des nœuds, des hubs, des concentrateurs qui sont aussi des incubateurs. Bref, des pépinières de talent dont la contribution au secteur dépasse de loin les montres. Les indépendants ont donc fait leurs classes chez Patek Philippe, presque seule marque à avoir réalisé des montres à complication durant les années 1975-1990. Chez Christophe Claret, qui a réalisé ses premiers calibres à répétition minutes en 1987 et qui a initié des dizaines de jeunes horlogers à cet art alors presque perdu.

*À l’occasion du 20ème anniversaire de GMT Magazine et de WorldTempus, nous nous sommes lancés dans le projet ambitieux de résumer les 20 dernières années en horlogerie dans The Millennium Watch Book, un grand et beau livre magnifiquement illustré. Cet article en est un extrait. The Millennium Watch Book est disponible sur www.the-watch-book.com, en français et en anglais, avec une remise de 10% en utilisant le code WT2021

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