Matière énigmatique

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The enigma of ceramic - Ceramic
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La céramique est bourrée de talent, mais elle a aussi ses talons d'Achille. Portrait d'une famille de matières qui a conquis l'horlogerie.

Elle est partout et on ne la connaît pas. La céramique est certainement le plus actuel des matériaux utilisés en horlogerie. Ses qualités sont vantées par tous ceux qui y ont recours, c'est à dire des dizaines de marques. Derrière ce discours se dissimule un monde à part entière, fait de diverses matières, mises en œuvre de diverses manières. Leurs avantages sont nombreux et leurs inconvénients, bien que rares, existent bien.

Apparue en horlogerie dans les années 1980, la céramique désigne plusieurs entités chimiques. Tout d'abord, on est loin de celle utilisée en vaissellerie. Il s'agit ici de céramique technique. Il en existe plusieurs types qui ont en commun une série de qualités qui les ont rendues si populaires. Parmi la dizaine de matières utilisées, l'oxyde d'aluminium (Al2O3) et l'oxyde de zirconium (ZrO2) sont les plus répandues. Aucun acide ne peut les entamer. Elles sont donc inoxydables. Elles présentent de très fortes résistances à l'abrasion. Adieu la rayure, donc, qui défigure les boîtiers à mesure qu'ils vieillissent. Enfin, elles sont très dures, c'est à dire qu'elle résistent à la déformation. Ces trois arguments ont fait le succès des céramiques dans le domaine des boîtiers. Mais elles sont depuis longtemps présentes au sein des mouvements, dans des roulements à billes. Ce sont elles qui font glisser de nombreux rotors. On reconnaît ces montres à roulement à bille céramique à leur bruit prononcé. Mais l'expérience va plus loin. Les nouveaux calibres 52000 d'IWC utilisent des roues en céramique au niveau du mécanisme de remontage automatique, très soumis à la friction.

IWC Ingenieur Automatic Edition AMG GT

On prétend souvent que les céramiques sont inaltérables et cela n'est que partiellement vrai. En effet, leur procédé de fabrication et le plus important de leurs avantages les rend susceptibles de casser. Les céramiques techniques se présentent sous forme de poudre qui est bourrée dans un moule. Elles ne fondent qu'à très haute température, donc on ne peut pas les liquéfier pour les couler, comme les métaux. A la place, elles sont frittées : les grains de matière ne fondent que partiellement, en surface et sous pression. Ils collent à leurs voisins, formant une matrice relativement poreuse mais homogène. Cela présente l'avantage que ces matières déjà légères par nature n’occupent pas tout le volume apparent, et laissent beaucoup de place à des vides interstitiels, ce qui les allège encore plus. Ainsi, la densité de l'alumine est de 3,9 grammes par cm3, contre environ 4,5 pour le titane. Le revers de la médaille est que ces vides représentent des lignes de fragilité internes.

Ajoutons à cela que les céramiques sont dures à l'extrême et le mieux devient l'ennemi du bien. Leur structure n'a pas de souplesse, pas de capacité à amortir un choc en se déformant partiellement. Elle casse. Pratiquement, cela signifie que vous pouvez frotter votre montre en céramique contre des rochers, elle ne sentira rien. Si elle tombe, son boîtier résistera à l'impact. Mais si vous la jetez avec assez de force, elle risque de se fendre. C'est à dire des propriétés opposées à celles de l'acier. Cette propriété explique que la céramique ne se laisse pas facilement usiner. Très dure et cassante, elle réagit mal aux contraintes que lui font subir les machines outil. Le procédé de moulage et de cuisson est donc crucial puisque les pièces obtenues ne peuvent être rectifiées qu'à des coûts considérables.

L'autre avantage de la céramique est qu'elle a l'esprit d'équipe. Elle sait se mêler à d'autres matériaux qui modifient son comportement. Par exemple, Richard Mille utilise la céramique TZP, un dioxyde de zirconium renforcé par de l'yttrium, qui résiste mieux aux chocs. Hublot se sert d'un squelette poreux de carbure de bore et y injecte de l'or pur. Avec des proportions de 25% de la masse pour le premier et de 75% pour le second, on obtient un alliage d’or au titre légal de 18 carats, précieux et inrayable à la fois, le Magic Gold. Autre manière de partager, la céramique peut être réalisée en travaillant des boîtiers en aluminium par une réaction chimique.

Richard Mille RM 07-01 Ladies

Panerai a tenté l’expérience ce qu'elle a appelé Composite. Le boîtier est en aluminium, sauf à la surface, qui a été oxydée sous vide. L'aluminium y est devenu oxyde d'aluminium, la céramique la plus répandue, qui est inrayable. Le problème est que le boîtier a gardé les avantages et les défauts de la matière de base: léger, il est aussi tendre et donc marque en cas de choc. Dernier exemple intéressant, Jaeger-LeCoultre utilise des boîtiers en Cermet, ou céramique métallique, où une matrice en métal (du titane) est durcie par des renforts en céramique.

Jaeger-LeCoultre Deep Sea Chronograph Cermet

Les céramiques présentent une autre série d'avantages, d'ordre ergonomique et esthétique. Elles sont douces au toucher et sont des dissipateurs de chaleur. En été, les boîtiers céramique restent frais contrairement à ceux en titane ou en acier, qui chauffent au soleil. La plupart sont naturellement noires, une couleur après laquelle l'industrie horlogère court. Contrairement aux traitements de surface comme le PVD ou le DLC, cette teinte ne bouge pas, ni face à l'adversité ni dans la durée. D'autres encore sont naturellement blanches, comme celle qu’utilise Chanel pour ses J12 au succès persistant. D'autres arrivent à la produire couleur chocolat. Mais elles sont également teintables dans la masse, en bleu ou en vert comme l'ont montré les expériences menées par Bell & Ross. Il faut dire que la marque s'appuie sur les mêmes infrastructures de production que … Chanel.

Bell & Ross BR03-92