Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

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Interview with Jean-Christophe Babin, CEO of Bulgari - Bulgari
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Le CEO de Bulgari a annoncé le point d'orgue du <i>rinascimento</i> pour 2019.

Quels ont été les faits marquants pour Bulgari en 2018 ?
Nous avons connu une nouvelle année de croissance et d’augmentation de nos parts de marché, si l’on compare nos chiffres avec le total des exportations de l’industrie horlogère suisse. J’en suis extrêmement satisfait, car nos performances sont supérieures à celles de l’industrie depuis maintenant quatre ans, depuis que nous avons lancé la collection Lvcea en 2014. Cette dernière est devenue l’un de nos produits phares aux côtés des collections Octo et Serpenti au succès retentissant. Elles représentent désormais la majeure partie de l’activité horlogère de Bulgari. Nous avons connu une croissance constante en 2018, grâce aux modèles Lvcea Tubogas et Lvcea Squelette que nous avons présentés à Baselworld. La collection Serpenti a également enregistré une croissance continue, grâce aux modèles en céramique et Tubogas. Avec la nouvelle première mondiale présentée l’an dernier, la collection Octo a aussi connu une forte progression. De plus, nous avons constaté une popularité grandissante pour les collections de montres en Asie, ainsi qu’une progression record en Chine.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

Que pouvons-nous attendre de Bulgari en 2019 ? Allez-vous continuer à vous concentrer sur l’Asie, compte tenu de l’instabilité économique et politique qui règne en Europe ?
Le marché européen comporte deux niveaux. D’un côté, il y a la population locale et de l’autre le marché des voyageurs (travel retail market), sachant que l’Europe est l’une des principales destinations touristiques.

En ce qui concerne le marché des voyageurs, il est évident que la période de Noël a été difficile, ne serait-ce qu’en raison des événements survenus en France qui ont eu des répercussions négatives sur l’ensemble de l’Europe.

Les touristes chinois réagissent extrêmement rapidement aux événements, comme nous avons déjà pu le constater au travers des variations du taux de change. Ils peuvent changer de destination dans les 48 heures. Nous savons par les compagnies aériennes et les agences de voyage que les Chinois ont annulé leurs voyages en Europe durant la période de Noël et même après. Sans pour autant renoncer à leurs vacances. A la place, ils se sont rabattus sur l’Asie, privilégiant le Japon, la Thaïlande, la Corée, la Malaisie et l’Australie. 

Le Brexit aura lieu le 29 mars de cette année. Dans quelle mesure pensez-vous que ce changement affectera votre activité ?
Le Royaume-Uni ne semble pas vraiment avoir été touché par les événements survenus en Europe. Peut-être que son statut de pays insulaire donne l’impression qu’il est plus protégé. Comme le reste de l’Europe, le Royaume-Uni compte deux marchés parallèles : local et touristique. Si la valeur de la livre sterling continue à chuter, cela aura inévitablement un impact négatif sur le pouvoir d’achat de la population locale. Les touristes, en revanche, continuent à être attirés par Londres, qui demeure l’une des destinations préférées, et par la faiblesse du pound, qui rend le marché l’un des plus attractifs en termes de prix. En tant que marque internationale, nous cherchons à éviter les divergences de prix entre les différentes villes, mais Londres a toutefois continué à bien performer durant les 18 derniers mois et reste pour nous l’une des meilleures villes en Europe.  

Il est vrai cependant que, si de nombreux banquiers fortunés venaient à quitter la ville pour s’installer en Allemagne, au Luxembourg, en France et en Irlande, nous pourrions perdre des clients à Londres. Néanmoins, nous sommes également bien implantés dans les villes où ils pourraient déménager.

Pouvez-vous nous expliquer la philosophie qui se cache derrière le concept de rinascimento que vous avez évoqué pour la première fois l’an dernier à l’Hôtel Bulgari de Shanghai ?
Pendant le Rinascimento [ndlr : “la Renaissance” en français] de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle en Italie, de nombreux paradigmes existants ont été remis en question à travers l’art, l’architecture et l’ingénierie. Nous nous sommes rendus compte que c’est exactement ce que nous faisons depuis 2010 lorsque que nous avons relancé la Serpenti sur le marché avec la Tubogas, ajouté l’Octo deux ans plus tard et la Lvcea encore deux ans après. Ces trois icônes sont imprégnées des codes de la Rome antique : l’architecture pour l’Octo, la joaillerie pour la Serpenti et un mélange des deux pour la Lvcea. Parallèlement, nous avons réalisé des progrès majeurs en matière d’ingénierie en présentant les collections Finissimo et Finissima, mais nous avons aussi franchi des étapes majeures dans le domaine de la répétition minutes et innové en termes d’utilisation des matériaux. Si vous prenez, par exemple, l’Octo en carbone, elle ne se démarque pas uniquement des autres par son boîtier ultra-plat ou son esthétique angulaire, mais également par son matériau. L’utilisation du carbone pour le boîtier, le bracelet et le cadran est assez unique. A vrai dire, je ne me souviens d’aucune autre marque l’ayant fait et cela transforme complètement l’allure de la montre. 

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

Si j’utilise un parfum Bulgari, que je porte une montre Bulgari ou que je séjourne dans un hôtel Bulgari, qu’est-ce qui définit l’expérience Bulgari ?
C’est un sentiment de magnificence contemporaine. Nos hôtels, notamment, sont uniques en leur genre, car ils appartiennent à une catégorie qui leur est propre. Ils sont les seuls au monde à proposer si peu de chambres et une expérience si personnalisée. Nos concurrents directs possèdent cinq à vingt fois plus d’hôtels que nous et chaque hôtel compte au moins le double de chambres. Ce que nous proposons est donc totalement différent.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

Notre inspiration est d’origine très italienne et plus particulièrement romaine, donc cette magnificence romaine se retrouve dans tout ce que nous faisons, que ce soit sur le plan de l’hospitalité, de la joaillerie ou de l’horlogerie. Mais tout cela est réalisé de manière contemporaine. L’Octo, par exemple, est l’une des expressions d’architecture horlogère les plus contemporaines. Il en est de même pour la Serpenti Spiga, pour laquelle aucune autre montre avec une allure aussi contemporaine ne me vient à l’esprit. 

Comment les pièces de haute horlogerie, notamment le concept Finissima que nous avons découvert avec la Diva Finissima Répétition Minutes lancées l’an dernier, ont-elles été accueillies par les femmes ?
La collection Diva se chiffrant à 10 000 francs suisses a été lancée en 2017 et est rapidement devenue notre collection principale pour les femmes. La Finissima Répétition Minutes en est le modèle phare, mêlant le meilleur de l’artisanat en matière de fabrication des cadrans et de sertissage à la magnifique musique d’une répétition minutes créée à l’interne. Nous sommes actuellement en train de déveloper une ligne qui se situera entre les montres d’entrée de gamme et ce modèle haut de gamme. Nous en avons eu un exemple cette année avec les cadrans métiers d’art et les chiffres romains.  

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

Ce segment de montres joaillères à complication est en plein essor. Nous avons déjà commencé à explorer cette voie il y a quelques années avec le modèle Serpenti Incantati doté d’un tourbillon squelette. Au Sentier, nous disposons du savoir-faire et de l’artisanat nécessaire pour concevoir et créer ce type de complication pour dames. La Diva Finissima Répétition Minutes a rapidement été épuisée, ce qui prouve que c’est vraiment quelque chose qui plait aux femmes.

Interview de Jean-Christophe Babin, CEO de Bulgari

Pensez-vous que le marché présente une lacune pour ce type de montres féminines d’une telle complexité horlogère plutôt qu’uniquement de haute joaillerie ?
Être un joailler aide probablement si vous voulez développer ce type de montre, mais à vrai dire, ce n’est le cas que de deux ou trois marques. De par le fait que nous avons également des références en matière de grandes complications, l’idée de combiner les deux était plutôt logique. Nous avons l’héritage joailler italien d’un côté et le savoir-faire horloger suisse développé localement de l’autre. Je pense qu’il existe un grand potentiel, car les grandes complications s’adressent traditionnellement aux hommes et que sur le long terme, les pièces féminines pourraient représenter jusqu’à 40% de nos ventes dans ce segment. 

Que pouvez-vous nous dire sur l’année à venir et Baselworld 2019 ?
Nous serons présents à Baselworld aux côtés des autres marques du groupe LVMH. Nous allons observer, évaluer et mesurer, en vue de tirer des conclusions pour savoir si la stratégie adoptée par la nouvelle direction est la bonne et si nous devrions confirmer notre engagement à plus long terme. 

L’industrie horlogère suisse est petite par rapport aux normes internationales et il est important qu’elle soit sous le feu des projecteurs deux fois par année. En termes d’image, c’est une bonne chose pour l’industrie dans son ensemble. Quant à savoir si cela est pertinent à l’échelle des marques, cela dépend beaucoup de la créativité de ces dernières. Elles ont également leur part de responsabilité et se doivent d’exprimer clairement leurs attentes et la façon dont elles peuvent se démarquer des autres. 

Au cours de ces douze prochains mois, nous focaliserons notre attention sur l’Octo, la Lvcea et la Serpenti. Le rinascimento franchira un nouveau cap lors de cette semaine du SIHH, avant d’atteindre son point d’orgue à Baselworld. Nous allons continuer à être incisifs sur le marché et visons une croissance significative en 2019.

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