« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire »

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“Victory without risk brings triumph without glory” - Bulgari
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Antoine Pin fait sienne cette citation du Cid de Corneille pour justifier son attachement au Grand Prix d’Horlogerie de Genève. Interview du Directeur de la Division Montres de Bulgari.

WorldTempus a rencontré le nouveau Directeur de la Division Montres de Bulgari lors de l’inauguration de la manufacture de Saignelégier, le 8 novembre dernier, au lendemain de la cérémonie de remise des prix du Grand Prix d’Horlogerie de Genève 2019. Bulgari y a été doublement honorée, avec le Prix de la Montre Chronographe attribuée à l’Octo Finissimo Chronographe GMT Automatique, et celui de la Montre Joaillerie décerné à la Serpenti Misteriosi Romani.

Tout d’abord félicitations pour la double distinction au GPHG. Avec une Serpenti et une Octo primées, ce sont les 2 pôles emblématiques de Bulgari horlogerie qui sont honorés…
Merci au nom de la Maison. Je suis plus le récipiendaire que l’acteur principal, mais je prends les félicitations avec plaisir. Je suis de retour en Suisse après plusieurs années d’absence et mon dernier GPHG date de 12 ans. J’y ai assisté avec un regard neuf et j’ai aimé le côté plus frais et spontané de la cérémonie, et l’accueil plutôt joyeux et pas du tout compassé que Jean-Christophe Babin et son équipe ont tellement mérité. Il y a aujourd’hui une vraie reconnaissance du travail effectué et de Bulgari, aussi bien en tant que joaillier qu’horloger. C’est un bel aboutissement pour Bulgari horlogerie, depuis son départ, il y a 30 ans, avec la construction d’un outil industriel un peu au gré des opportunités et avec parfois des idées un peu contradictoires, et avec aujourd’hui l’établissement d’une vraie unité horlogère, très forte, très créative, ingénieuse et puissante.

Vous avez dit dernièrement souhaiter mieux faire connaître vos collections. Les prix reçus au GPHG peuvent-ils avoir un impact dans ce sens ?
L’impact est très compliqué à mesurer car l’horlogerie est une industrie de long terme. S’agissant de produits que l’on n’achète pas très fréquemment, la prise d’information est lente sur le grand public. La fenêtre de communication du GPHG est courte et va toucher la clientèle qui souhaite acheter une montre pour Noël cette année. En réalité, le GPHG est un composant important d’une mosaïque d’informations qui, petit à petit, positionne une marque sur un marché et auprès d’une population donnés. Je suis convaincu de l’intérêt et de la valeur du GPHG pour conforter les choix. Je me souviens de ces études relevant que le Swiss Made figure parmi les 5 premiers critères de décision d’achat d’une montre. C’est un critère parmi d’autres, et c’est comme cela que je vois aussi le GPHG. Est-ce un facteur pouvant susciter certaines ventes ? Peut-être. Est-ce un facteur de changement radical pouvant entraîner une explosion des ventes le lendemain, je ne dirais pas cela.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire »

Est-ce une évidence pour vous d’y participer chaque année ?
Oui, pour ce que j’en ai vu cette année et ce que j’ai compris de l’évolution du GPHG, je trouve qu’y participer est une bonne chose pour deux raisons. C’est d’une part un moment de communion de l’industrie, assez ouverte, et y contribuer est une bonne chose. Ensuite, quoiqu’on en dise, un prix pousse à l’excellence, donne envie d’en recevoir d’autres. Je pense que la compétition nous apprend à célébrer les efforts et à accepter les défaites. « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». L’année passée, nous n’avons rien eu et ce fut une déception. Mais cela fait partie de la vie, il faut savoir accepter le jugement. Le jour où on l’oublie, on peut oublier aussi d’autres jugements, potentiellement ceux des détaillants, et ce n’est pas bon signe. C’est bien d’y participer, même si l’on perd - même je ne vous dirai peut-être pas la même chose après trois ans sans prix (rires).

Vous venez de prendre la direction de la Division Montres de Bulgari, quels sont vos premiers chantiers ?
Le premier chantier est d’écouter et de regarder. Il y a une structure en place, qui performe – les distinctions en sont le reflet - et des gens qui travaillent dans un environnement où ils peuvent performer aussi. Il faut comprendre pourquoi ça marche, comprendre les sources de progrès, pour pouvoir s’adapter au mieux de sa personnalité au fonctionnement qui marche. Je prends le train en marche et je dois d’abord prendre le rythme des gens pour m’inscrire dans les projets. Il s’agit ensuite de continuer de renforcer ce domaine d’excellence pour lequel la marque est connue – l’innovation horlogère, l’esthétique de la mécanique chère à Fabrizio Buonamassa (NDLR, le designer de Bulgari Montres), cet esprit italien que Bulgari apporte à l’horlogerie, travailler notre unicité et nous concentrer sur les points de progrès. 

Etes-vous satisfait de la perception que les gens ont de Bulgari ?
La difficulté de notre métier est qu’il est de longue haleine, et au niveau des clients encore plus. Construire une image et installer un produit est très compliqué. Si vous faites le bilan des produits qui sont devenus des icônes horlogères ces 10- 15 dernières années, il y a peut-être la Big Bang de Hublot et l’Octo, même si je pense qu’elle n’en est pas au statut d’icône. C’est un modèle très reconnu, qui devient un sujet d’intérêt, mais ce n’est pas une icône. C’est un travail de labours de faire connaître un produit, un travail de 10, 15 ou 20 ans. Aujourd’hui, les best-sellers sont tous des modèles iconiques qui ont 50, 60, ou 70 ans. Il faut un travail de répétition, un peu humble et je ne me fais aucune illusion sur le fait que le cours de l’histoire de la Division Horlogère de Bulgari est linéaire. Mon arrivée ne va pas créer une inflexion massive. Ce serait très arrogant de ma part de le penser, par rapport à un secteur qui demande de la patience. On dit que les montres de 2-3 ans sont vielles. Ce n’est pas vrai. Ce sont des pièces nouvelles, et ce décalage de perception du temps est gigantesque dans notre activité. Mon expérience dans le domaine de la mode me permet de constater à quel point c’est très long dans l’horlogerie.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire »

Si vous deviez convaincre un client, une cliente, d’acheter une montre Bulgari. Que leur diriez-vous ?
Je commencerais par leur mettre une montre Bulgari au poignet. Une Serpenti, c’est un bijou que vous mettez au poignet et qui fait que vous allez naturellement considérer la façon dont vous vous habillez. Vous avez envie de vous montrer quand vous portez une Serpenti. Elle change votre façon d’être, ou en tout cas, vous révèle, traduit une attitude. Cela dépasse le produit et c’est passionnant. Quand vous portez une Octo Finissimo, vous portez un bijou de technologie du XXIe siècle, l’iPhone de l’horlogerie, un concentré de micro mécanique dans une forme hyper simple et hyper fluide. Vous avez un produit aussi beau et simple à l’extérieur qu’il est complexe à l’intérieur, et au bout de 5 minutes, vous ne sentez plus la montre à votre poignet. 

Quand on a des designs emblématiques comme la Serpenti et l’Octo, comment fait-on pour les renouveler, où trouve-ton l’inspiration ?
C’est très complexe, car parfois, quand vous modifiez un produit très abouti, vous l’altérez. C’est souvent un sujet de grande souffrance pour les designers que de faire évoluer un design, mais il faut le faire. Chaque métier a ses challenges, et c’en est un. Mais il est plus facile quand même de faire évoluer une icône que d’en créer une. Plus je travaille dans ce métier, et plus je valorise l’échec, car c’est la signature de l’humain. Il faut s’autoriser le droit d’échouer sur un design, de sortir un produit qui n’est peut-être pas très beau ou incompris parce que nos succès, ce sont des échecs annoncés par des gens qui n’ont pas aimé nos designs différents.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire »

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