Visite indiscrète d’une légende musicale

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A close-up and personal visit of a musical legend - Reuge
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Dans ses ateliers de Sainte-Croix, Reuge parfait deux siècles de tradition musicale. La maison aborde le XXIe siècle avec des profils hors des sentiers battus. Portraits croisés.

Il faut descendre quelques kilomètres au sud de La Côte-aux-Fées, emprunter la route panoramique du Jura. Puis monter, prendre de la hauteur. Sainte-Croix ne se laisse pas approcher facilement, du haut de ses 1100 mètres d’altitude et des nombreux lacets qui y mènent.
Pourtant, une fois là-haut, la vue est imprenable. Surtout sur l’histoire de la commune, engagée dans l’histoire des boîtes à musique depuis deux siècles : c’est en 1814 que la première fabrique de ce type s’y est installée. En 2014, Reuge est toujours la plus digne représentante de cette noble tradition.

Discrétion volée
Pénétrer chez Reuge, c’est entrer dans 200 ans d’histoire. Malgré son succès croissant, la manufacture de boîtes à musique ne s’est pas laissée emporter par les affres du succès. Point de « parking de la Direction », de lustres suspendus sur 10 étages, de cohortes de personnel aux abois. C’est Kurt Kupper, hyper-actif CEO de la maison qui accueille personnellement ses visiteurs. L’homme est avenant, chaleureux.
Il peut l’être : sous son impulsion, Reuge s’est propulsée dans le XXIe siècle, avec des collaborations de renom comme Lancôme, Ferrari, Vertu, MB&F. Ce star-système s’est agrégé en très peu de temps autour du cœur historique de clients Reuge, que sont les gouvernements et institutions privées. En somme, la discrète Reuge, présente dans les plus hautes sphères de ce monde, s’est ouverte au grand public. Qui se l’arrache.

 

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Profession ? Fromager – forgeron
Pourtant, rien n’a changé chez Reuge. La même passion anime chacun des 60 collaborateurs de la maison. Didier en est l’exemple parfait. Il œuvre à la construction des claviers des boîtes à musique. L’homme est insatiable, enthousiaste, trépigne d’un atelier à un autre, comme un jeune apprenti à qui l’on aurait offert le poste de ses rêves. A cette exception près que Didier est entré dans la maison...il y a 32 ans.
« Et pourtant, de formation, je suis fromager ! », s’amuse l’intéressé. « J’ai rejoint Reuge par passion et j’ai tout appris par moi-même, réalisé mes propres outils, élaboré mes propres techniques », poursuit-il. « Je créé les claviers, les forme, les prépare, un par un, seul et de mes mains ». Un rapide coup d’œil à l’atelier de Didier le confirme : ici, point de CNC, pas la moindre trace d’électronique. Chacune de ses machines a plus de 50 ans et roule des mécaniques. Le XXIe siècle n’a pas encore franchi la porte de l’antre de Didier et il ne s’empresse pas de lui ouvrir : « il faut que mes doigts soient en contact avec la matière, sinon je n’arrive pas à sentir comment elle réagit, sa chaleur, son intensité, sa souplesse ». Allez enseigner cela en école de micro-mécanique...

 

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Oreille musicale
Dans les méandres du bâtiment historique de Reuge, un point commun relie implicitement tous les collaborateurs : leur sens aigu de la mélodie. « Je travaille ici parce que j’ai appris à tout faire et que j’ai l’oreille musicale », tel est l’adage le plus souvent entendu au détour d’un atelier de montage, d’équilibrage, d’accordage, de finition. Même au plus près d’une machine en pleine action, l’on entend toujours, chez Reuge, quelques notes de musique. Un artisan règle son clavier, un autre dépose son cylindre, un dernier effectue le contrôle qualité : tout, chez Reuge, est musique.

 

"Il faut ici savoir être plumassier, régleur, accordeur et rhabilleur..."

Autour de cette partition universelle s’articulent de nombreux métiers. L’habillage en est le plus symptomatique. Car, à l’inverse d’un garde-temps, il faut ici savoir être plumassier, régleur, accordeur et rhabilleur...en même temps. « Nous sommes tous polyvalents », confirme Bertrand, occupé à assembler un automate à oiseaux chantants. « De la tabatière à la montre en passant par le coffre, nous ne répétons jamais deux fois la même opération. Il faut savoir gérer les spécificités de chaque modèle ».

 

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Nouveaux écrins et bulldozers
Et des modèles, Reuge n’en a jamais eu autant. « Nous avons fait 66 Music Machine 1 avec MB&F, toutes vendues. Nous sommes en train de finir 99 unités de la MM2, quasiment toutes écoulées en quelques jours également. Aujourd’hui, c’est la MM3  qui nous occupe», s’excuse presque le CEO Kurt Kupper, victime de son succès.

L’avenir pour Reuge ? A l’interne, la modeste maison s’est enfin décidée à s’offrir de nouveaux locaux. Toujours à Sainte-Croix, fief légendaire de la boîte à musique. Les bulldozers s’affairent actuellement pour construire un nouvel écrin à celle qui, justement, offre elle aussi les plus beaux écrins de marqueterie à ses clients.

 

"Luxe, exclusivité et sur-mesure"

En termes de projets, Kurt Kupper ne dévie pas de sa feuille de route. La maison reste axée sur le luxe, l’exclusivité, le sur-mesure. Elle espère pouvoir prochainement dévoiler des créations uniques, conçues pour des clients spéciaux qui ne rechigneront pas, on l’espère, à révéler une partie de leurs trésors.

 

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