Louis Breguet: Pionnier de l'aviation et amateur d'horlogerie

Image
Louis Breguet: Aviation pioneer and watch enthusiast - Breguet
13 minutes read
Si, en plus de l’horlogerie, le nom Breguet résonne de manière familière dans l’aéronautique, c’est à Louis Breguet qu’on le doit.

Louis Breguet représente en effet la cinquième génération de la famille depuis l’arrivée en France en 1762 de son trisaïeul Abraham-Louis Breguet (1747-1823), membre de l’Académie des sciences, qui a fait carrière à Paris où, avec son fils Antoine-Louis (1776-1858), il a porté à son apogée l’art de l’horlogerie. Son grand-père Louis-Clément Breguet (1804-1883), membre de l’Académie des sciences, a créé d’innombrables instruments électriques. Il a inventé et construit un télégraphe à cadran adopté par de nombreux pays ; il a mis au point plusieurs systèmes de télécommunication qui ont accru la sécurité des chemins de fer, et en reconnaissance de ses nombreux mérites, son nom figure sur la tour Eiffel. Son père, Antoine Breguet (1851-1882), polytechnicien, un des ingénieurs les plus prometteurs de sa génération, a introduit en France le téléphone de Bell avant de mourir prématurément à l’âge de 31 ans. 

Naturellement destiné à reprendre les activités familiales dans le domaine des télécommunications et des moteurs électriques, l’activité horlogère ayant été cédée par son grand-père en 1870, Louis Breguet, fraîchement diplômé de l’École supérieure d’électricité, surprendra les siens en se tournant résolument vers la conquête de l’Air.

Résumer la carrière de Louis Breguet en quelques lignes n’est pas aisé, tant lui-même et la Société anonyme des ateliers d’aviation Louis Breguet qu’il créa et anima, devenue plus tard Breguet Aviation, furent des acteurs marquants du monde aéronautique pendant presque un siècle. Ingénieur et chef d’entreprise, Louis Breguet est entré de son vivant dans l’histoire, triplement pourrait-on dire, pour son œuvre de pionnier de l’hélicoptère, pour sa contribution majeure à l’histoire de l’aviation militaire et pour son rôle de bâtisseur du transport aérien civil. 

Le gyroplane, un hélicoptère avant l’heure 

De 1905 à 1909, associé à son frère Jacques et au professeur Charles Richet, Louis Breguet aborde le domaine de l’aviation naissante par le biais original des voilures tournantes, c’est-à-dire du vol vertical. Par deux fois en 1907, son « gyroplane n° 1 », un curieux engin à quatre systèmes rotatifs de huit pales chacun, se soulève pendant environ une minute : de 60 centimètres le 24 août, de près d’ 1,5 mètre le 20 septembre. Il s’agit d’une première mondiale dont Louis Breguet informe aussitôt l’Académie des sciences. Et cette dernière, dans sa séance du 16 septembre, officialise ainsi le soulèvement du 24 août : « Un appareil du genre hélicoptère est parvenu pour la première fois à s’alléger complètement et à se soulever du sol, avec son moteur, ses approvisionnements et un homme à bord ». Confronté aux résultats insuffisants obtenus avec deux autres machines à voilures tournantes, Louis Breguet, malgré sa certitude que le vol vertical est une solution d’avenir, va y renoncer en 1909 pour se lancer dans la construction aéronautique classique et la fabrication d’avions biplans puis monoplans. Mais il n’a pas dit son dernier mot. En effet, vingt-trois ans plus tard, en 1932, il décide de renouer avec l’aventure du gyroplane alors que, au sommet de sa carrière, il est un homme écouté et observé par ses concurrents du monde entier. Même si la technologie a beaucoup progressé, notamment en matière de motorisation, l’aventure semble encore un peu folle. Et pourtant, avec une équipe réduite composée de René Dorand et Maurice Claisse, et après trois années de travail acharné, on assistera en 1935 et 1936 aux exploits du gyroplane expérimental Breguet-Dorand qui avec ses records dans les domaines de la maniabilité, de la vitesse (108 km/h), de l’altitude (158 mètres), de l’endurance (1 heure et 3 minutes) et du vol stationnaire (10 minutes) s’affirme sans conteste comme le premier hélicoptère moderne de l’histoire. C’est donc à deux reprises que Louis Breguet a marqué fortement l’histoire de l’hélicoptère et inspiré toute une génération d’ingénieurs qui s’inscriront dans sa lignée comme Igor Sikorsky ou Franck Piaseki. 

 Louis Breguet: Pionnier de l'aviation de amateur d'horlogerie

Breguet et l’aviation militaire

Revenu en 1909 à des formules plus classiques, il construit à partir de 1911 des biplans pour les forces armées de France, du Royaume-Uni et de Russie. À partir de 1914, à l’instar des pionniers de l’aviation du monde entier, il s’investit totalement dans la production industrielle d’avions devenus exclusivement des outils de guerre. Le 2 septembre 1914, quelques jours avant de quitter le front pour se consacrer à ses usines, il accomplit de sa propre initiative une des périlleuses reconnaissances aériennes qui vont éclairer l’état-major français sur la tentative allemande de contournement de Paris par l’Est. Pris très au sérieux par les généraux Gallieni et Joffre, les renseignements collectés permettent de déclencher la Bataille de la Marne dont on retient toujours l’épisode fameux des taxis parisiens réquisitionnés pour acheminer au plus vite le maximum de renforts sur le front. Louis Breguet reçoit la Croix de guerre pour cet acte exceptionnel et son nom reste attaché pour toujours à cette « victoire de la Marne » qui a changé le cours de la guerre.

Mais la guerre s’enlise et vient le temps des tranchées. La production des avions s’organise mais il faudra encore deux ans pour que l’aviation évolue vraiment sur le plan technologique. Le Breguet 14, quant à lui, effectue son premier vol en novembre 1916 et sera produit en masse à partir de 1917. Fruit des réflexions personnelles de Louis Breguet, cet avion biplace ultra-moderne possède une structure entièrement métallique (avec fuselage et ailes entoilées) qui fait appel pour la première fois au duralumin. Conçu pour la reconnaissance et pour le bombardement, il fait sensation dans les escadrilles par sa vitesse, sa maniabilité, sa forte charge utile et son plafond de 6 000 mètres qui le met à l’abri de la chasse ennemie. Il se révèle sans conteste un outil majeur de la victoire des Alliés en 1918. Construit à près de 8 000 exemplaires, acheté par une quinzaine de pays, dont les États-Unis, en service pendant plus de dix ans, le Breguet 14 assure à son concepteur une réputation mondiale. Son successeur le Breguet 19 sera de la même veine et équipera les aviations du monde entier. Suivront d’autres appareils multiplaces de combat puis le puissant avion de bombardement tactique Breguet 690 qui, commandé tardivement par l’état-major français mais aussi par la Belgique et par la Suède, ne pourra pas donner toute sa mesure lors de la bataille de France de 1940. Fournisseur des forces armées, Louis Breguet va le rester jusqu’au bout, et ses successeurs après lui ; les années 1950 et 1960 sont marquées par la mise au point et la commande du patrouilleur maritime embarqué Breguet 1050 Alizé, en service sur les porte-avions français Foch et Clemenceau jusqu’au début des années 2000, et également utilisé par la marine indienne ; par l’avion de surveillance maritime et de grande reconnaissance Breguet 1150 Atlantic, vainqueur du concours de l’OTAN en 1958, acquis par la France, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas, et dont une version modernisée vole encore aujourd’hui au-dessus des mers et déserts du globe ; par l’avion de transport de troupes Breguet 941 qui pouvait atterrir et décoller dans un terrain de football et enfin par le chasseur franco-britannique Jaguar à la longue et brillante carrière. 

Breguet et l’aviation civile

Mais c’est sur le plan de l’aviation civile que Louis Breguet se révèle un authentique théoricien et un entrepreneur visionnaire. Le transport massif de passagers est un vieux rêve entrevu le 23 mars 1911 lorsque, avec onze personnes à bord de son biplan de 90 chevaux, il bat le record du monde de passagers enlevés ! À peine la guerre terminée, il est de ceux qui imaginent une aviation pacifique. Créateur de la Compagnie des messageries aériennes en février 1919, pour le transport de passagers – et pas seulement de courrier – entre Paris et Bruxelles puis entre Paris et Londres, il n’aura de cesse pendant quinze ans de bâtir, par le biais de rapprochements, d’associations et de fusions, un réseau important, cohérent et si possible rentable. En 1921 est lancée la ligne Paris-Le Havre en liaison avec le paquebot pour New York. À l’été 1922 est inauguré un Paris-Marseille via Lyon, complété par un Lyon-Genève. En mars 1923, Louis Breguet fusionne sa compagnie avec la Compagnie des grands express aériens, sa rivale sur Paris-Londres, et donne au nouvel ensemble qu’il préside le nom d’Air Union. En 1929 est lancé Marseille-Ajaccio-Tunis, en 1931, Tunis-Alger et en 1932 Lyon-Cannes. En 1932, Air-Union commence, en pool avec Swissair, l’exploitation de la ligne Paris-Genève directe qui donne la correspondance avec les lignes intérieures suisses. En 1932, Air Union est la plus grande compagnie aérienne française en termes de kilomètres parcourus et du nombre de passagers transportés. En 1933, Louis Breguet apposera sa signature au bas de l’acte de création de la compagnie Air France, le gouvernement français ayant décidé de réunir en une seule entité les compagnies existantes qui étaient au nombre de cinq : Air Union, Air Orient, la CIDNA, les Lignes Farman et l’Aéropostale.

Louis Breguet: Pionnier de l'aviation de amateur d'horlogerie

Et il faut bien sûr évoquer ces Breguet 14 qui s’illustrent dans le transport du courrier au sein des Lignes aériennes Latécoère puis de l’Aéropostale, en Europe, en Afrique et bientôt en Amérique latine, et qui sont immortalisés par les récits de Mermoz, de Guillaumet, de Saint-Exupéry…. Il serait injuste de passer sous silence les « grands raids » dont les avions Breguet sont les principaux acteurs mondiaux entre le début des années 1920 et le milieu des années 1930 : il s’agit certes de performances individuelles d’avions qui ne sont pas encore des avions de transport, mais cela démontre des possibilités et balise ce qui va devenir tôt ou tard des routes aériennes. Citons les plus connus : Paris-Tokyo en 1924 par Pelletier d’Oisy et Besin ; Madrid-Manille en 1926 par Gallarza et Loriga ; tour du monde en 1927 par Costes et Le Brix avec la première traversée de l’Atlantique Sud de Saint-Louis du Sénégal à Natal au Brésil ; Paris-Pékin en 1929 par Arrachart et Rignot ; et bien sûr celui qui a le plus marqué les esprits, le fameux Paris-New York sans escale de Costes et Bellonte en 37 heures et 18 minutes les 1er et 2 septembre 1930 à bord du célèbre Breguet 19 de grand raid baptisé « Point d’Interrogation ».

Si Louis Breguet débute ses activités de président fondateur de compagnie aérienne avec des Breguet 14 désarmés et spécialement aménagés, il s’engage dans la conception d’avions dédiés au transport civil tels que le Breguet 28 Limousine ou le Breguet 393 qui se révélèrent particulièrement sûrs. Après la seconde guerre mondiale, sa réalisation la plus spectaculaire restera le Breguet 760 « Deux-Ponts », un quadrimoteur d’une centaine de places aux deux étages complets garnis de sièges, ancêtre incontesté de l’Airbus A-380. Cet avion particulièrement fiable et économique ne connut aucun accident mortel au cours de ses vingt années d’exploitation. En 1921, dans une conférence visionnaire, il décrit l’avion du futur qui volera à 13 500 mètres d’altitude et mettra New York à six heures de Paris… Louis Breguet fera tout pour rendre les voyages aériens accessibles au plus grand nombre, ne se satisfaisant pas d’une aviation élitiste réservée aux plus fortunés. En 1943, voulant rendre le prix du billet d’avion équivalent au tarif de 3e classe du chemin de fer, il théorise le charter et le low-cost qu’il annonce avec trente ans d’avance…. 

Louis Breguet décède en 1955 en pleine activité, et la société qui porte son nom est alors rachetée par l’homme d’affaires Sylvain Floirat qui mène à bien de nombreux projets. En 1967, c’est Marcel Dassault, autre grand nom de l’aviation française, qui à son tour rachète Breguet Aviation avant de l’intégrer à sa propre entreprise désormais nommée Avions Marcel Dassault- Breguet Aviation, ou plus communément Dassault- Breguet. Le gouvernement français approuve et favorise cette concentration qui donne à Marcel Dassault, avec les sites de Toulouse et d’Anglet, des moyens industriels supplémentaires qui vont s’avérer bien utiles à ses ambitions mondiales.

 Louis Breguet: Pionnier de l'aviation de amateur d'horlogerie

Les liens de Louis Breguet avec l’horlogerie 

Parallèlement à ses activités aéronautiques, mais aussi sportives, Louis Breguet garde toujours des contacts avec la famille Brown qui a racheté la maison d’horlogerie à son grand-père et il se souvient avec fierté de l’œuvre horlogère de ses ancêtres. Dès 1922, la société des ateliers d’aviation Louis Breguet apparaît régulièrement dans les livres de vente de la maison d’horlogerie. Cela permet d’affirmer que Louis Breguet a su présenter aux dirigeants des Montres Breguet d’alors les perspectives d’avenir pour des produits horlogers adaptés à l’aéronautique. En 1923 d’ailleurs, il préside le Comité du centenaire d’Abraham-Louis Breguet (1747-1823) qui organise tant en France qu’en Suisse d’importantes manifestations qui culminent avec l’exposition parisienne du Musée Galliera que Louis Breguet inaugure aux côtés du président de la République française Alexandre Millerand. Pendant plusieurs semaines, l’avionneur se retrouve immergé dans le monde de l’horlogerie et fréquente ses plus éminents représentants français, suisses et britanniques. Il partage de longs moments avec l’industriel londonien Sir David Salomons et Henry Brown, propriétaire des montres Breguet, ainsi qu’avec George Brown, le fils et futur successeur de ce dernier. Le 26 octobre, Louis Breguet reçoit tous ces représentants du monde horloger pour une visite de ses usines de Vélizy-Villacoublay tandis que le lendemain à Paris, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, il clôture son long discours par cette sentence : « L’un des plus beaux fleurons de la couronne de l’ industrie horlogère est d’avoir contribué à aider la Marine à résoudre les problèmes de la navigation sur les flots, comme au reste, elle contribue aujourd’hui puissamment à aider les navigateurs de l’air – dont les efforts me sont plus particulièrement chers – à éclairer et à reconnaître leur route dans l’espace. » C’est bien l’ingénieur qui parle : oui, l’horlogerie a des défis à relever et un rôle à jouer pour accompagner et même faciliter l’essor de l’aviation, comme autrefois elle remplit ce rôle pour la marine. Prononcée par un constructeur d’avions, Louis Breguet, de surcroît président de la Chambre syndicale des industries aéronautiques, cette affirmation prend un relief particulier !

Louis Breguet: Pionnier de l'aviation de amateur d'horlogerie

Les fréquentes commandes d’instruments horlogers Breguet par l’avionneur Louis Breguet se poursuivent longtemps et on trouve tout naturellement des Montres Breguet dans les cockpits des avions Breguet ! Enfin, il est curieux de constater qu’un des tout premiers modèles de chronographe en acier doté de la « fonction spéciale », c’est-à-dire du retour en vol, est vendu en 1952 à la société Louis Breguet. Un des premiers exemplaires de ce qui allait devenir deux ans plus tard le Type XX est donc testé par Louis Breguet et son entourage, un choix qui ne manque pas de pertinence et qui prouve la proximité des deux entreprises Breguet. 

Que dire pour conclure si ce n’est que le grand pionnier de l’aviation aimait aussi l’horlogerie. Il s’y intéressait fortement en tant qu’instrument scientifique et son rôle de discret conseiller de la maison d’horlogerie Breguet, pour méconnu qu’il soit, n’en est pas moins certain et substantiel.

Marque