Gare aux voyants !

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Beware the soothsayers - Vontobel Watch Industry Report
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Le rapport annuel de Vontobel sur l’horlogerie suisse offre des éclaircissements bienvenus à ceux qui suivent l’industrie horlogère suisse.

Peut-être est-ce parce que l’on ne dispose que de statistiques incomplètes sur l’horlogerie que certains experts se complaisent à répéter à l’envi leurs prédictions catastrophiques concernant l’industrie horlogère suisse. Après tout, les chiffres mensuels des exportations horlogères publiés par la Fédération de l’industrie horlogère suisse sont en baisse constante depuis l’été passé, et l’envolée du marché des montres connectées, dominé par le géant Apple, grignote lentement des parts du marché de l’horlogerie suisse. Voilà certainement deux tendances qui suffisent pour prédire une nouvelle crise, non ?

Le rapport annuel publié par la banque suisse Vontobel préfère analyser le marché plus en détails – des détails qui s’étendent sur 80 pages et sont destinés à aider les investisseurs à faire les bons choix quant au retour sur investissement de leurs capitaux. L’analyste René Weber observe l’industrie horlogère suisse depuis plus de vingt ans et a d’excellents contacts avec les parties prenantes. « Après la publication de nos prévisions, nous recueillons les commentaires de nombreux acteurs de l’industrie », explique-t-il à WorldTempus. « De ce fait, nous pouvons dire que nos hypothèses sur les ventes des différentes marques sont tout à fait sûres. Mais nous savons évidemment que nos chiffres ne sont pas à 100% corrects. Ils représentent cependant une très bonne estimation pour les marques individuelles ».

Exportations horlogères suisses : le tableau complet
Les chiffres des exportations horlogères suisses sont en baisse, et pour son plus gros marché, Hong Kong, la situation est franchement dramatique, et pas seulement à cause des stocks considérables (en excès de 200 jours, dans certains cas, selon Vontobel) accumulés par les principaux détaillants. Pour répondre à ces énormes stocks, les marques sont obligées de les échanger afin que les détaillants puissent réinvestir, sacrifiant ainsi une partie de leur marge. Cependant, en dépit des attentats terroristes de Paris, les exportations vers l’Europe ont augmenté au cours des premiers mois de 2016, ainsi que celles vers le Japon, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. Vontobel situe le taux de croissance annuel moyen (CAGR) de l’industrie horlogère suisse pour 2010-2015 à 5,9%, malgré la baisse de l’année passée.

Par nature, les chiffres des exportations horlogères ne prennent évidemment pas en compte le marché suisse, que Vontobel estime à environ 6% des exportations totales en valeur, plaçant la Suisse parmi les premiers marchés pour les ventes horlogères en Europe, au même niveau que la France, l’Allemagne et l’Italie. «  La Suisse a connu une assez bonne année 2015 », constate René Weber, « boostée par la demande touristique, et notamment par celle des visiteurs chinois. Nous pensons que des lieux comme Lucerne et Interlaken bénéficient de l’accroissement du nombre de touristes chinois voyageant en Suisse (une augmentation de 36% en 2015). Mais, depuis décembre 2015, les touristes chinois sont moins nombreux, avec pour conséquence une baisse des ventes au premier trimestre 2016. »

Montres connectées : envolée ou coup de frein?
Le rapport de Vontobel inclut pour la première fois les statistiques des montres connectées, davantage « par amusement » reconnaît René Weber que par souci de les considérer comme des concurrentes des montres suisses haut de gamme, le rapport réaffirmant que les montres connectées « ne représentent pas un problème pour les marques de luxe horlogères ». Selon les chiffres de l’IDC, Apple a vendu 11,6 millions d’Apple Watch, générant un revenu de 4,5 milliards de dollars. L’Apple Watch se creuse ainsi une place entre Rolex et Omega et devient la deuxième plus importante marque au monde, en termes de ventes de montres, pour 2015. Mais les marques horlogères de luxe suisses ne représentent que 0,6% de l’ensemble des ventes de montres, et les ventes des plus grandes marques se comptent en centaines de milliers de pièces, et non en millions comme Apple. Un point qui a son importance, car lorsqu’Apple annonçait fin mars 2016 une réduction de 15% du prix de l’Apple Watch afin de rester compétitif face au dernier modèle Fitbit vendu à 200 dollars, la conséquence fut une chute immédiate d’un demi-milliard de dollars de revenu, en fonction des chiffres mentionnés ci-dessus. En outre, alors que Richemont faisait les grands titres en Suisse avec ses annonces de réduction de personnel au sein de ses marques suisses, on n’a guère parlé du fait que le pionnier des montres connectées, Pebble, avait réduit ses effectifs de 25% et que le fabricant de « fitness trackers » Jawbone avait licencié 15% de son personnel à la fin de l’année dernière.

Croissance à deux chiffres pendant la crise ?
Malgré le climat économique difficile, le rapport de Vontobel mentionne trois marques qui ont connu une croissance à deux chiffres l’année passée. Richard Mille a vu ses ventes augmenter de 22%, Hublot de 14% (ce que confirme le CEO Ricardo Guadalupe dans son interview accordée à WorldTempus), et Audemars Piguet de 12%. Ces trois marques ont en commun l’utilisation d’une technologie et de matériaux de pointe, des designs typiques, et un puissant marketing. Mais ce ne sont par leurs seuls points communs. « Ces trois marques ont une exposition limitée en Chine et Hong Kong », explique René Weber, « et en conséquence, elles n’ont pas autant souffert que les autres marques très présentes à Hong Kong. Hublot, par exemple, n’a commencé à vendre à Hong Kong qu’en 2011. De plus, ces trois marques ont trouvé leur place dans le haut de gamme et ne produisent que de faibles volumes, ce qui n’est pas comparables aux autres marques. »

Comme WorldTempus, le rapport de Vontobel constate que l’humeur à Baselworld cette année était « prudemment optimiste » (de notre côté, nous avions dit que nous étions « déçus en bien »). Encore une fois, nous sommes loin de l’alarmisme de certains experts auto-proclamés de l’industrie horlogère, mais l'analyse de Vontobel est accompagnée de trois pages d’avertissements, de listes de sources, de conflit d’intérêts potentiels, de répartitions de notations par des analystes, et d’une méthodologie détaillée. Ainsi, lorsque Vontobel, une société cotée en bourse, publie un rapport prévoyant une baisse pour la première moitié de 2016, compensée par une reprise dans la seconde partie de l’année, le tout pour une performance annuelle globalement neutre, il est indéniable que cette analyse se base sur une matière substantielle.