Montres polissonnes

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Depuis que les horlogers ont construit des montres, ils les ont habillées, décorées puis animées selon les goûts de l'époque et celui des clients.
Mai 2007P. Buser

La fonction purement chronométrique de ces gardes-temps n'est de loin pas la seule. La montre est un signe de richesse, plus tard d'aisance et ne sera populaire qu'à partir de 1867 avec l'invention de la montre Roskopf.

Avec les premières montres émaillée, ou richement gravées, de Blois, nous trouvons déjà des scènes "très déshabillées" mais, inspirées par la mythologie, ces scènes ne sont pas réellement considérées comme polissonnes.

Culture_333339_0Montre anglaise signée "Cabrier London" avec boîte émaillée signée" Huaut le Puisné fecit". (Coll. MHL)

Comme déjà évoqué, la fonction purement chronométrique des montres s'enrichit rapidement de sonneries et répétitions. Les jaquemarts, petits automates sonnant les heures que l'on trouve déjà dans les horloges d'édifices apparaissent sur les cadrans de montres. Ces mécanismes de sonnerie ou de musiques et les jaquemarts-automates ont rapidement été récupérés pour d'autres fonctions par d'ingénieux horlogers.

Bien sûr, ces scènes sont généralement cachées dans le fond de la cuvette et ne sont dévoilées que par le propriétaire, souvent par un petit mécanisme d'ouverture nommé, est-ce le hasard, "secret". Sur cette magnifique pièce de la collection du MIH nous voyons sur l'extérieur de la cuvette une scène que l'on peut imaginer être une mère attentive conseillant sa jeune fille (en réalité Jupiter et Callisto) et à l'intérieur les conseils de son confesseur.

Culture_333339_1Montre de poche avec peinture sur émail et automate à musique, vers 1820. (Coll. Musée International d'Horlogerie, La Chaux-de-Fonds)Culture_333339_2

Les principes mécaniques utilisés pour les scènes animées sont divers. Le plus connu est sans doute l'utilisation du mécanisme de répétition pour animer la scène. Nous vous présentons dans cette exposition une montre dont la scène polissonne est absolument indépendante de la partie horlogère. Une plaque entière est placée à l'arrière du mouvement et n'est dévoilée, et mise en marche que lorsque l'on soulève la cuvette. En la refermant, une crémaillère réarme le mécanisme pour la prochaine ouverture.

Culture_333339_3Montre de poche dont le mécanisme est réarmé par la fermeture de la cuvette. Fin 19ème. (Coll. privée)

Cette pièce de basse qualité, de la fin du 19ème siècle, est encore plus simple. L'automate caché par le fond ne s'anime que manuellement par la couronne qu'il faut actionner dans le sens inverse de la fonction de remontage.

Culture_333339_4Montre de poche avec automate actionné manuellement. Fin 19ème. (Coll MHL)

Il faut noter que les deux montres présentées ci-dessus ont des automates en métal étampé fabriqués très probablement dans le même atelier.

Culture_333339_5Culture_333339_6Montre de poche avec automate actionné manuellement. Fin 19ème . (Coll MHL) Détails.
(Toutes ressemblances avec des personnages célèbres de bandes dessinées sont purement fortuites)
Culture_333339_7Montre de poche avec peinture sur émail. La partie "scabreuse" est cachée par une lunette s'ouvrant avec un secret. (Coll MHL)Culture_333339_8(Coll. MHL ) Détail

Les thèmes des scènes varient mais certains sujets sont récurrents. Le moine (missionnaire ?) ou autre représentant du clergé (voir pièce illustrée en page 1), le militaire (hussard ?), le politique (Les heures de l'amour, volume 2, par R. Carrera): une montre avec scène peinte sur émail intitulée "Napoléon et Mlle Georges", surpris ensemble alors qu'il préparait certainement un assaut…), le scientifique ou les amateurs de physique.

Culture_333339_9Montre de poche en argent de 1784. (Coll. Deutsches Uhrenmuseum, Furtwangen)

Les voyeurs ne sont pas oubliés, involontaires parfois, très attentifs, ils occupent souvent l'arrière-plan de la scène.

Culture_333339_10Culture_333339_11Montre de poche en métal doré de style Louis XV avec deux scènes peintes sur émail. (Coll MHL)

Il va de soit que la qualité des peintures sur émail ou des automates varient en fonction de la valeur de l'objet.

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Culture_333339_13Détail d'une montre avec une superbe peinture sur émail signée Robert, Brandt et Cie. (Coll. Musée International d'Horlogerie, La Chaux-de-Fonds)
Culture_333339_14Montre de poche avec cadran en émail peint de qualité moyenne. (Coll. Deutsches Uhrenmuseum, Furtwangen)

Avec l'apparition de la photographie, puis du cinéma, les scènes peintes et les automates polissons tombent dans l'oubli. Il existe quelques montres du début du 20ème avec de mini-photos de scènes plus ou moins crues reproduites par un procédé photographique. Elle sont généralement de piètre qualité. Il faudra attendre les années 70 pour que ce genre revienne, assez discrètement, dans les catalogues de nos fabricants. Aujourd'hui, les montres polissonnes occupent de nouveau une belle place même dans le très haut de gamme.

Culture_333339_15Montre-bracelet mécanique dont la scène polissonne apparaît et disparaît sous l'effet de la rotation du disque-aiguille des secondes polarisé. (Coll. Musée Beyer, Zürich)
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Montre-bracelet double-face en or. Svend Andersen Genève.
Culture_333339_18Montre-bracelet Swatch "Pin-up". (Coll. privée)
Culture_333339_19Répétition-Minute à automate. Or gris. Gérald Genta, Genève.
Culture_333339_20Montre-bracelet "basculante", en or, avec chronographe et scène polissonne. Daniel Roth, Genève.
Première pendule érotique

Contrairement à la montre, dont les polissonnerie sont cachées, la pendulerie ancienne n'a pas retenu ce thème.

Dans son atelier à Auvernier (NE), en 1999, Thierry Amstutz a donné naissance à la première pendule érotique dite "libertine".

Cet horloger, technicien et démonstrateur des automates Jaquet-Droz au Musée d'art et d'histoire de Neuchâtel, spécialisé dans la restauration et la création de pendules, a réalisé une pièce muette, dans le style Louis XIII, à double échappement, montrant deux personnages dans la position du missionnaire sculptés dans du bois de tilleul.

Ceux-ci sont continuellement en mouvement, lovés dans leur cachette à l'intérieur blanc nacré qui s'ouvre comme un écrin.

Culture_333339_21Atelier de pendulerie "Au Carillon d'Or", Thierry Amstutz et Fils, Auvernier.

Les montres polissonnes anciennes existent depuis longtemps. Il en reste encore dans les collections des musées et chez des particuliers. Pourtant un certain nombre d'entre elles ont été sacrifiées sur l'autel de la moralité. En France, par exemple, la fabrication en a été interdite et les pièces trouvées devaient être saisies. Comme les gendarmes ou juges s'en amusaient à leur tour, il fut décidé qu'elle devaient être brisées sur le champ et le métal précieux rendu au propriétaire.

L'acteur Genevois Michel Simon était un grand collectionneur de pièces polissonnes, mais sa collection a été dispersée à sa mort et malheureusement nous n'en avons pas retrouvé, pour autant qu'il en ait existé, de catalogue.

En terre neuchâteloise, nombres de pièces furent fabriquées au grand dam de la Vénérable Classe qui en réfère au Gouverneur en 1816.

« Très humble requête adressée à son Excellence Monsieur le Gouverneur par la Compagnie des Pasteurs, 17 décembre 1816. » « Renvoyé à l'examen et au prompt rapport de Messieurs de Pierre, maire de Neuchâtel, et de Sandoz Rollin, conseillers d'État, 24 décembre 1816. » « Monsieur le Gouverneur,

Le soussigné Doyen est chargé par la Compagnie des Pasteurs de cet État de mettre sous les yeux de votre Excellence l'extrait d'une lettre à lui adressée par Monsieur Duby, Pasteur et Professeur en théologie à Genève, à la date du 25 novembre dernier, et à ce qu'il paroît de la part d'une commission du V. Consistoire de Genève dont il est membre. Voici l'article textuel de la lettre de Monsieur Duby, qui nous paroît réclamer toute la sollicitude de Votre Excellence » :
« Il y a longtemps que dans votre Canton et dans le nôtre l'on fabrique des bijoux obscènes. Ce sont des peintures et des méchanismes représentant des scènes lascives, que l'on place dans des cachets, des tabatières, ou des boetes de montre. Ce n'est que dernièrement que notre Consistoire l'a su ou en a pris connoissance. Il a nommé une commission dont Monsieur Vaucher et moi sommes membres, pour prendre là-dessus des renseignements et voir ce que l'on pourroit faire. Nous avons fait venir les principaux négociants en horlogerie et en bijouterie.
Nous n'avons pas eu besoin de nous étendre beaucoup sur ce sujet avec eux, pour leur faire sentir combien une pareille fabrication doit nuire à la réputation de la Suisse dans l'étranger, combien elle est propre à corrompre les mœurs puisque des jeunes gens, des enfants même voient ces ouvrages et que des femmes y travaillent. Ils nous ont paru honteux, tous disposés à y renoncer, mais nous avons aperçu que pour être assurés qu'ils s'engageassent à n'en plus vendre, à n'en plus établir, il faudroit que nous pussions leur répondre que l'on prendroit dans votre pays le même engagement. Ils renonceroient volontiers à ce misérable trafic, mais ils craignent que le refus qu'ils feroient de le continuer ne détournât d'eux les commissions. Ne pourroit-on pas tenter auprès de vos marchands horlogers du Locle et de la Chaux-de-Fonds une demande pareille? Ne pourroit-on pas attendre de leurs principes et de leur patriotisme les mêmes dispositions que chez nous? Monsieur le pasteur Jaquemot et son collègue du Locle, s'il en a un, ne pourroient-ils pas leur inspirer là-dessus une noble résolution? Ne seroit-il pas au besoin de la dignité de votre Classe de prendre cela à cœur et de s'unir avec notre compagnie pour défendre les moeurs publiques, l'honneur de la Suisse et en particu¬lier des deux Cantons protestants qui lui ont été nouvellement associés? Mandez-moi je vous prie le plutôt que vous le pourrez, ce que vous en pensez, ce que vous en espérez, ce que vous aurez fait, afin que nous ne laissions pas refroidir les cœurs là-dessus et que nos deux Cantons puissent promptement conclure aussi sur ce point leur Sainte Alliance ».
« En donnant communication de la lettre ci-dessus aux Pasteurs du Locle et de La Chaux-de-Fonds pour appeler toute leur vigilance sur une affaire d'une nature aussi grave, la Compagnie n'a pas cru devoir se dispenser de la soumettre à Votre Excellence, dans la ferme confiance qu'Elle saura trouver dans sa sagesse et dans sa piété non moins que dans l'autorité dont Elle est dépositaire les moyens de constater les faits et, s'il y a lieu, de réprimer les attentats aussi subversifs des bonnes mœurs que propres à entacher la réputation d'honnêteté qui jusques ici a honoré ce pays dans l'étranger ».
« Daignez agréer, Monsieur le Gouverneur, l'hommage de ma haute considération et de mon profond respect ».

Berthoud
pasteur à Neuchâtel et Doyen de la Vénérable Classe.

Cette supplique ne changea certainement pas grand chose dans la réalité mais il semble que la fabrication de montres "lubriques" ait été interdite. En 1817, une "affaire" est examinée à La Chaux-de-Fonds. Elle implique un dénommé Samuel Dubois.

C'est donc un juste retour des choses de présenter dans ce lieu, construit par un dénommé Samuel Dubois, ces pièces de notre passé et avenir horloger.

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Superbe montre de poche avec automates à musique et automates polissons cachés. (Coll. privée)
Photographies exposées: Giorgio Savini, Le Locle
Photographies cahier de presse: Pierre Buser