On se croirait au fin fond d'une vallée du Jura, si ce n'étaient le Mont-Blanc et le Môle encadrés par les fenêtres des ateliers des montres De Witt, dans la campagne genevoise. Des montres qui portent fièrement gravée la mention «Manufacturée à Vandœuvres» et qui font partie du tout haut de gamme de l'art horloger, avec même, présentée cette année à Bâle, une première mondiale: une montre-bracelet tourbillon, répétition minute, chronographe rattrapante avec isolateur et quantième perpétuel bi-rétrograde. Une merveille.
Il est vrai que Jérôme de Witt, le patron, baigne depuis toujours dans ce qu'il y a de mieux en matière d'horlogerie. Bien que portant un nom hollandais, son père était un noble russe blanc, amateur de belles montres, qui a fui la Russie en 1919. Du côté de sa mère, la princesse Napoléon, il est apparenté avec l'ensemble des familles royales européennes et, surtout, il est le descendant direct, après cinq générations, de Jérôme Bonaparte, frère de l'empereur, dont la passion pour les montres permit la création d'une extraordinaire collection. Jérôme de Witt a ainsi hérité d'une partie de cette collection, enrichie au cours des siècles par ses différents propriétaires.
C'est dire s'il est connaisseur et s'il lui est impossible de signer de son nom des montres qui ne soient pas exceptionnelles.
Jérôme de Witt, le patron des montres éponymes. DR
Sous le regard complice de Napoléon 1er
Il a ainsi réuni des horlogers de grand talent et leur a offert, à Vandœuvres, un cadre magnifique, des ateliers aux planchers cirés, aux boiseries en mélèze, dont les fenêtres donnent à la fois sur le calme d'un bucolique verger et sur le Mont-Blanc. Les machines d'autrefois s'y marient harmonieusement avec l'électronique de pointe et les ordinateurs les plus modernes. Un havre de paix propice à la naissance, chaque année, de 400 à 500 montres hors du commun. D'autant plus que le centre de Genève, ses magasins de luxe où se fait la mode horlogère, ses clients cosmopolites, son creuset d'idées, est à deux pas.
Quant à l'ancêtre Napoléon 1er, il n'est évidemment pas oublié: son immense portrait en pied par David (une reproduction bien sûr) trône dans l'atelier. La famille, directe avec le fils, Valéry Bollier-de Witt qui élabore et gère le marketing, ou «élargie», avec les horlogers et les autres collaborateurs, est en effet essentielle pour le patron des montres de Witt. Il ne conçoit en effet pas de travailler autrement que dans cette ambiance de confiance et de respect mutuel qui fit la fortune des cabinotiers genevois au XVIIIe siècle. C'est pour lui le seul moyen de parvenir à la perfection car chacun engage en permanence toute sa responsabilité, signant même personnellement les mouvements qu'ils retravaillent de A à Z.
Jean-Marc Bengler, directeur de la production. DR
Jean Dubrova, outilleur et prototypiste. DR
Presque tout est fait sur place
Des horlogers très expérimentés et exclusivement formés à l'école des plus fameuses marques, se partagent entre la manufacture de Vandœuvres et l'atelier traditionnel que Jérôme de Witt a racheté à la Chaux-de-Fonds et où se construisent quelques-unes de ses grandes complications horlogères.
La manufacture De Witt, de par sa taille et de par sa manière de travailler, évoque ainsi l'âge d'or de l'horlogerie genevoise, quand tout le quartier de Saint-Gervais vibrait au rythme des centaines de cabinotiers qui réalisaient ces merveilles de finesse et de précision pour lesquelles se battaient les Russes, les Chinois, les pionniers Américains ou les rois européens qui, tous, rêvaient de les posséder. Pratiquement tout se fait sur place, de la conception aux prototypes des boîtes, de la taille des roues à colonne aux cadrans réalisés dans un atelier spécialisé genevois que Jérôme de Witt partage avec deux autres marques prestigieuses. Les montres De Witt sont en effet non seulement ultra-compliquées mais elles sont aussi des œuvres d'art aux cadrans épurés, aux formes aussi sensuelles que rigoureuses. Et quand la mécanique se laisse entrevoir, c'est toujours avec élégance et raffinement extrême. Juste pour participer à la beauté de l'ensemble plutôt que pour l'écraser.
La noblesse ne s'acquiert pas, elle pénètre lentement, génération après génération. C'est ce que rappellent, avec force et sobriété, les montres De Witt.
