Philippe Stern, l'éternel conquérant

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Champion de ski et de voile, perfectionniste à l'extrême, le président de Patek Philippe mène sa vie et son entreprise comme une compétition où la seule place envisageable est celle du meilleur.

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C'était le début des années soixante. Philippe Stern, champion du monde universitaire, était membre de l'équipe suisse de ski, passionné de descente. «Un mélange de réflexion et de courage. Il fallait analyser la piste et décider du niveau de risque qu'on était prêt à courir; une formidable école qui forge la volonté d'atteindre son but, et la nécessité de s'en donner les moyens.»

Assis dans son bureau à la porte toujours ouverte, la septantaine conquérante, le patron de Patek Philippe évoque aujourd'hui ces souvenirs avec plaisir, mais sans nostalgie. Il a pratiqué le sport, comme tout le reste, avec un esprit compétitif, la volonté d'être toujours le premier, le meilleur, et la conscience du travail qu'il faudrait fournir pour y parvenir. Des sacrifices à consentir aussi, car «le sport de haut niveau use le corps». Il y eut donc quelques chutes, dont une mémorable sur la piste de Kitzbuehl, et quelques blessures: le ménisque, les ligaments, une épaule cassée. «J'ai toujours le dos un peu raide», sourit-il. La voile aussi l'enthousiasme. Il a à son palmarès de nombreuses régates sur le lac et plusieurs championnats à l'étranger. «La voile est un jeu d'échecs, la science du placement y est fondamentale, tout comme l'observation. Il faut savoir deviner le vent en regardant les nuages, la forme des vagues.» Mais plus encore que le sport, la passion qui le dévore, c'est celle de l'entreprise familiale qu'il dirige.

Des Patek Philippe plein la sacoche

Après un premier emploi en Allemagne, dans l'informatique, puis dans une société qui fabriquait des boîtes de conserves («Mais j'étais côté gestion, on était en train d'informatiser»), Philippe Stern rejoint donc Patek Philippe dans la distribution, à New York, entre 1963 et 1966. «C'était encore l'époque où l'on se déplaçait personnellement avec une ou deux sacoches remplies de montres, pour présenter la collection.» De retour en Suisse, il passe par tous les ateliers de l'entreprise, la découvre dans ses moindres détails: «Dans ces années-là, on connaissait tout le monde, nous étions 150», environ dix fois moins qu'aujourd'hui! «La culture était encore celle de l'artisanat», se souvient son patron, dont le titre universitaire, décroché au terme d'études économiques et commerciales, était une première dans la maison. Fort de ces connaissances, il se lance dans le développement de la marque, poursuit son expansion internationale que son père avait déjà amorcée, notamment au Japon, et investit beaucoup de son temps en Asie. «On partait pour quatre à cinq semaines à la fois; on prenait, dans ces années-là, davantage de temps avec le client.»

Collectionneur passionné, Philippe Stern achète des montres, des Patek Philippe bien sûr, depuis le milieu des années soixante, écumant les ventes aux enchères. Dans les années quatre-vingt, il élargit ses recherches, acquiert des pièces anciennes, françaises, allemandes, conçues au milieu du XVIe siècle. C'est l'une de ses rares dépenses, car l'homme n'est pas précisément adepte du shopping: «Je n'achète pratiquement rien pour moi, je n'en ai pas le temps. En fait, j'ai toujours un but, même dans mes loisirs: il me faut nécessairement aller quelque part, et y aller sans perdre de temps!»

Il pense sa marque de la même façon, obsédé par la recherche de la perfection «qui est une quête sans fin». Cela ne le dérange pas, il aime le changement, l'innovation, il aime cette nécessité de voir ses produits évoluer, d'y apporter «chaque année, parfois même chaque mois, de nouvelles améliorations.»

Armé contre la crise

Au poignet, il porte un quantième perpétuel, référence 3940. Une montre qui a pour lui une signification particulière: elle a été imaginée après la crise de 1972, «quand, en Suisse, tout le monde jetait son outillage et ne parlait plus que de quartz». Pour lui, c'était clair, si quelqu'un devait rester dans le domaine de la montre mécanique, ce serait Patek Philippe. C'est peut-être là que se trouve le point de départ de son extraordinaire succès, «quand, dans les années quatre-vingt, il y a eu un regain d'intérêt pour la montre mécanique, nous avons pu démarrer avant les autres, nous étions prêts».

La crise actuelle n'est donc pas, loin s'en faut, la première qu'il affronte. Il y fait face avec sa philosophie habituelle: un but clair, une vision à long terme, et du travail. Le tout garanti par l'indépendance de la marque, à laquelle il tient férocement et qu'il protège en pariant toujours sur un autofinancement total, quitte à se montrer un peu plus prudent que certains dans les périodes euphoriques. «Grâce à cela, nous pouvons penser dans la durée, nous ne sommes pas tenus de produire tous les trimestres des chiffres qui plaisent aux actionnaires.» C'est aux clients qu'il veut plaire, surveillant la production de ses ateliers, se faisant présenter personnellement par les horlogers chaque pièce de haute horlogerie qui en sort.

Marco Cattaneo

Tribune des Arts - Mars-avril 2009 - No 370

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