Mécanique du temps Monaco V4

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V4 : Retour aux pionniers


Revolution #6 - Décembre 2009Fabrice Eschmann

 

 

Courroies à la place des rouages, masse oscillante linéaire, barillets inclinés en V : cinq ans de recherche et de développement, ainsi que la mise en place d'une équipe entièrement dédiée au projet ont été nécessaires à la naissance de la Monaco V4. Un scénario qui donne la mesure de l'effort consenti. Parti d'une feuille blanche, Tag Heuer a joué au pionnier de l'horlogerie moderne.

 

 

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TAG Heuer - V4 - Parti d'une feuille blanche, Tag Heuer a joué au pionnier de l'horlogerie moderne © Revolution

 

C'est une histoire comme il en existe trop peu dans l'horlogerie, un véritable récit d'aventures, qui renvoie aux pionniers d'une époque où tout restait à inventer. Un authentique roman policier, où le plus intéressant n'est pas de débusquer le coupable, mais de savoir comment on y est parvenu. Quoiqu'on pense du résultat final, en concevant la Monaco V4, TAG Heuer a sans conteste écrit l'une des pages les plus passionnantes des annales de l'horlogerie moderne. Baselworld 2004. TAG Heuer fait sensation avec un prototype des plus improbables. L'horloger Jean-François Ruchonnet, inventeur du concept, l'a imaginé comme un bloc moteur : quatre barillets inclinés, une masse oscillante linéaire plutôt que circulaire, et surtout des courroies de transmission à la place des roues dentées. Son nom : Monaco V4, en référence à sa boîte en forme de V et à ses quatre barillets.

 

Du buzz au challenge

Seulement voilà : le scepticisme est de mise parmi les professionnels. Jusque-là, personne n'avait osé intégrer des courroies à un mouvement, et nombre d'horlogers prédisent à ce concept des lendemains qui déchantent. Piquée au vif, la marque chaux-de-fonnière va alors réagir: ce qui avait été imaginé au départ comme un buzz se mue rapidement en véritable challenge.

Et les choses ne vont pas traîner. A l'été de la même année, TAG Heuer s'adjoint les services de Guy Sémon. Carrure imposante et cheveux ras, cet ingénieur a pour le moins un parcours atypique: pilote d'essai, il teste entre 1983 et 1988 tout ce que l'armée de l'air française met au point d'objets volants. Revenu à la vie civile, il est ensuite professeur de mathématiques et de physique à l'université de Besançon, spécialisé dans la mécanique des fluides et la modélisation des turbulences. Puis il se met à son compte, proposant son expertise dans la simulation de vol pour des hélicoptères, des avions de combat et des missiles. Ses clients sont notamment EADS et Lockheed Martin.

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TAG Heuer - V4 - Courroies à la place des rouages, masse oscillante linéaire, barillets inclinés en V © Revolution

Des méthodes propres à l'aéronautique“On est venu me chercher pour mettre au point les courroies”, dit aujourd'hui celui qui a finalement travaillé sur l'ensemble du mouvement. D'abord consultant, il est en effet engagé quelques mois plus tard pour mettre en place une cellule R&D entièrement dédiée à la Monaco V4. Outre ses compétences,il amène dans ses bagages une méthode de développement quasiment inconnue en horlogerie : il remplace la méthode de travail traditionnelle - dite itérative - par de l'ingénierie dite prédictive. Fini les prototypes successifs et les corrections répétées. Guy Sémon met au point, avec des spécialistes de l'aéronautique, un logiciel fonctionnant sur le principe de la “programmation par contraintes”.Cinq ans et passablement de crayons rongés ont été nécessaires au développement de la Monaco V4. Car, simple à première vue, l'utilisation de courroies va vite se révéler un casse-tête. En effet, en remplaçant certains rouages par une courroie, le sens des roues entraînées est le même, contrairement à un engrenage traditionnel. “Pour le coup, c'est une nouvelle complication, explique Guy Sémon. Pas forcément spectaculaire, mais qui remet en question toute l'architecture du mouvement ! ” Mesurant 0,07 millimètre, soit l'épaisseur d'un cheveu, les filaments crantés en polymère viscoplastique - dont les compositions (car il y en a plusieurs) restent secrètes - sont obtenus par micro-injection en multipoints. Connue dans l'industrie mais adaptée à l'horlogerie par TAG Heuer, cette technique consiste à injecter à 3000 bars la matière chauffée à 180°C dans un moule en acier de 600 kilos. De plus, les deux courroies de la chaîne de barillets, sollicitées à la limite de leurs possibilités, sont renforcées par un brin d'acier central.TAG Heuer_327241_2

La Monaco V4 ne fera que 150 heureux. La série limitée, boîtier en platine, au prix unitaire de 100'000 francs suisses © Revolution

Une machine de guerreComme une culasse au milieu du moteur, la masse linéaire relève également de la prouesse technique. La distance d'oscillation très courte, de même que le petit volume de la masse, ne sont pas allés sans poser quelques problèmes à l'équipe de développeurs. C'est finalement monté sur roulements à billes - 2,2 à 4 millimètres de diamètre et 0,6 à 1 millimètre d'épaisseur, les plus petits jamais conçus - qu'un lingot en tungstène - d'un poids de 12 g - se déplace selon un mouvement de haut en bas. A chaque passage, il vient activer un système d'engrenages qui convertit le déplacement linéaire en mouvement rotatif. Cette force vient armer deux paires de barillets disposées en V à 13°, associés en série et montés en parallèle. La Monaco V4 ne fera que 150 heureux. La série limitée, boîtier en platine, au prix unitaire de 100'000 francs suisses, est déjà entièrement vendue, dit-on chez TAG Heuer. Mais sa conception a permis la mise sur pied d'un “bureau d'étude mouvements” sans équivalent, véritable “machine de guerre”. Une cellule R&D qui nous promet d'ores et déjà d'autres nouveautés de la même inspiration pour Baselworld 2010. A suivre.

    

 

 

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