HEURE SUISSE - No 111, mai-juin 2011
Albert J. de Buttes-LaCôte / TàG Press +41
Lionel Ladoire, batteur et horloger
S'il a rasé sa crête, Lionel Ladoire n'a pas renoncé à ses baguettes. Il taquine régulièrement ses peaux et écoute de temps à autre quelque groupe obscur apparenté aux mouvances post-punk zestées de rap. N'attendez pas que ce créateur, issu d'une respectable famille, rentre dans le rang. Sa première dose de rébellion lui a simplement permis de tourner le dos à son destin de pro rider snowboarder extrémiste, pour entrer sans complexe dans l'univers horloger, sous l'appellation connotée label underground Helvet Mechanic. Sa créativité s'en ressent, avec sa dernière série de montres en édition limitée, la Black Widow.
Entièrement dédiée à la vénéneuse Lacrodaectus Mactans, seule araignée de sa race à disposer d'une particularité que l'on croyait réservée à la mante religieuse, la veuve noire est ainsi nommée car elle se réserve le droit de vie ou de mort sur le mâle conquis et repu, au sortir d'actes copulatoires, façon rituels macabres. Soit elle se détourne, soit elle tue, aveuglée par une extrême possessivité. Ainsi, en quatre séries aux appellations interpellatrices, Lionel Ladoire revisite, en langage haute horlogerie, le mythe technique du rouge et du noir. Au fond des cadrans, une toile d'araignée transforme la hantise en challenge. Tout ou rien, jeux avec le feu, performance défiante, tandis que le slogan «Rock Your Time» maintient un suspense dont seule la pulsion ultime connaît l'issue. Modèle Mr Race, peaux sensibles s'abstenir, arts horlogers maîtrisés sur fond de rouge vif arachnéen!
Daniel Strom et Yvan Arpa, pour le rock et pour le pire
Bien qu'il pratique à haut niveau les arts martiaux censés atteindre le nirvana des maîtrises de soi, Yvan Arpa, par ses coups de génie inventifs, incarne la rock'n'roll attitude. Rarement cravaté, toujours «emblousonné» de cuir, ses faits d'armes passés comme les modèles uniques que sa nouvelle marque ArtyA distille sous les flux de l'actu, l'homme manie l'art de la communication provocatrice. La rouille est désormais admise dans une horlogerie qui, durant deux-cents ans, n'a eu de cesse de la traquer. Elle s'est même hissée au rang de légende, avec le modèle Titanic, commis pour la marque Romain Jerome. Puis il y a eu cette matière fécale pétrifiée de dinosaure, servie en revêtement de cadran d'une série ArtyA, depuis l'espace garage des environs de Genève où il s'est érigé un bureau.
Il y a aussi, en fusionnelle collaboration avec Daniel Strom, ce modèle Angonium, récemment proposé en 88 pièces, ponctué de moult skulls. Yvan Arpa, par une oraison funèbre empruntée à la pierre tombale d'un légionnaire romain – «Ce que tu es j'étais, ce que je suis tu seras» –, célèbre le fait d'être en vie, malgré les coups de foudre dangereux ou les persécutions récurrentes. Pétrie à la main par Daniel Strom, la boîte, ornée de reliefs détaillés façon gorgones terrorisées et catacombes éventrées, renferme un cadran peint main par Dominique Arpa-Cirpka, mêlant collages, pigments, feuilles d'or et peintures «gothisantes». Des aiguilles en forme de cette faux qui rend égaux les vivants entre eux. Ici ou là, quelques fluorescences dérangeantes...
Ron Wood chez Armin
Autre vie, autres mœurs, les légendes du bon vieux rock tombent dans les griffes aguicheuses du luxe. A moins que ce dernier ne les utilise pour se refaire une vertu, pour s'approprier jusqu'aux mythes les plus reculés. Ronnie Wood, rockeur reconverti aux joies du pinceau, s'embarque ainsi dans une aventure «horlog'automobile»: peindre une montre Armin Strom – tel fils tel père –, une voiture de F1 brandée Virgin Racing ainsi qu'un casque de pilote. Les trois objets seront vendus aux enchères pour le grand bonheur d'une œuvre caritative. La marque Armin Strom, plutôt connue pour ses modèles à affrioler les univers de la finance ou les amoureux des cinq éléments, pour la frisure soignée de ses squelettages aussi, vire à l'audace et à l'incartade.
Laurent sans pseudo
Au bout de la chaîne, directement connecté avec le consommateur final, un autre rockeur se moque de ce que l'acheteur ou le collectionneur bien sous tous rapports pourrait penser. Laurent Picchiotto, de Chronopassion à Paris, manie le manche de la guitare autant que l'art des tendances horlogères. Et n'hésite nullement à se mettre en scène, tous riffs dehors. Après tout, on a le droit d'avoir des pompes multiplaques, un pignon sur rue en terreau du luxe et des goûts musicaux assumés. La rock'n'roll attitude, il la joue jusqu'au bout des ongles, fussent-ils manucurés. Sans renier son affection immodérée pour des montres d'exception dont les prix pourraient bien servir la cause des révoltes de banlieue: 28 marques, dont, pour les plus allumées, Ladoire, Hublot, Richard Mille, MB&F, Urwerk, Hautlence et Snyper... Le marché a changé, les rockeurs d'aujourd'hui ont les moyens. Ils osent enfin assumer leur souvenirs autant que leurs vieux vinyles.
