La disruption est une forme particulière d’innovation, qui consiste à bouleverser un ordre établi. Il ne s’agit pas que d’inventer, modifier ou parfaire. La disruption est une stratégie de conquête par la cassure. Elle est ensuite imitée et, dans une certaine mesure, devient une nouvelle norme. L’horlogerie n’en est pas coutumière. Elle préfère l’amélioration incrémentale et le progrès. Mais elle s’expose d’autant plus à la disruption qu’elle la considère comme une altérité complète. Elle se voit alors obligée de changer ses modes de fonctionnement dans l’urgence. En tant qu’objet technique, produit d’une forme particulière d’ingénierie, ses fondements technologiques sont difficiles à remettre en question. Par contre, les méthodes de fabrication, de communication et de commercialisation ont été directement impactées.
Electrochoc
Le plus profond facteur disruptif dans l’horlogerie est l’irruption brutale, massive, de nouveaux acteurs puissants, avec un produit hyper fonctionnel : la smartwatch. Se retrouver du jour au lendemain avec Apple, Google et Samsung comme concurrents a choqué l’industrie. Un pico-ordinateur de poignet, connecté, multifonctionnel et axé sur la satisfaction de besoins du quotidien a représenté un bouleversement profond. Avec le recul, ces produits ont d’abord attaqué les montres les plus vulnérables, celles qui sont le moins bien protégées par leur statut d’objet de luxe. L’entrée de gamme de l’horlogerie suisse et japonaise continue de souffrir. Quant à la réponse, portée par TAG Heuer, Louis Vuitton et Hublot et par la T-Touch Connect de Tissot, elle représente des volumes cumulés minuscules. Face à la disruption, la réponse a donc été la montée en gamme généralisée de l’industrie suisse.
Vente éclair
Le second facteur de disruption a été la montée en puissance des médias sociaux. Instagram s’est révélé être un outil révolutionnaire. Il a encore fallu des années avant que l’industrie horlogère en comprenne les atouts. Elle a eu du mal à dépasser ses propres limites pour enfin accéder à une diffusion de masse, ciblée, capable de transformer une vue en vente. Et encore seules quelques marques ont accompli cette dernière étape. Il faut être léger et/ ou opportuniste et/ou se sentir en danger pour basculer. Mais pour ceux qui l’ont fait massivement, les modes de vente ont été bouleversés : ils épuisent leurs séries limitées en quelques jours, voire quelques heures.
Multi-focus
L’activation de ces ventes repose sur une coordination com/produit inédite. Il a fallu abandonner les séquences traditionnelles (présentation produit en petit comité, communiqué de presse envoyé par e-mail, relais dans la presse) et passer en mode guérilla, apprendre à travailler avec de micro-célébrités, dans de multiples univers pour élargir l’impact des messages. La disruption marketing consiste à passer d’un positionnement unique à une multiplication d’affinités émotionnelles. Le pionnier de cette stratégie est le Hublot des années 2010: une annonce par jour, des douzaines de séries limitées par an, des micro-partenariats à forte résonance. On est à des années-lumière de la com’ institutionnelle, bien plus près du drop permanent à la mode sneakers et son corollaire, la collab’. Les doubles signatures tirent profit du croisement des identités, des audiences, des impacts. La rupture est ici dans l’abandon du dogme de la marque toute puissante et seule à régner sur le mix marketing.
Danger
La disruption ne sert que ceux qui veulent innover. Or en matière de produit, les quatre dernières années ont été concentrées sur une typologie unique. La domination de la montre sport-chic en acier (et de préférence à bracelet intégré) a servi de martingale à une industrie qui n’a plus trouvé de place, ou d’intérêt, à l’invention de nouveaux formats. Ce terrain est propice à la disruption, qui voit s’agrandir ses espaces d’opportunité. Gare donc à ceux qui sont endormis. Une nouvelle révolution peut surgir à tout instant…
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