La tentation de la revente

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The Temptation Of Resale - Editorial
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De récents événements relancent le débat sur les tendances malsaines sur le marché de seconde main …

Quelque chose d’important s’est produit la semaine dernière. Important pour le monde de l’horlogerie, je veux dire.  (J’adore l’horlogerie, mais même moi je ne me risquerais pas à dire que les événements horlogers ont un impact international. Ce temps-là est révolu.) Que s’est-il passé ? Une montre en acier qui se vend normalement pour un peu plus de 30'000 euros a été vendue aux enchères pour 400'000 euros.

Vous savez à quoi je fais allusion. A la Patek Philippe Nautilus réf. 5711/1A-014 qui vient d’être adjugée lors de la vente aux enchères d’Antiquorum à Monaco. Les réactions en ligne ont été vives, et c’est un euphémisme. Evidemment, au niveau le plus superficiel, c’est un résultat extraordinaire pour une montre emblématique, félicitations à toutes les personnes concernées, beaucoup de publicité a été faite autour de l’événement et c’est très bien pour le monde horloger.

Malheureusement je ne peux pas limiter mon point de vue au niveau superficiel. Je dis « malheureusement », parce que je crois que je serais beaucoup plus heureuse si j’étais moins analytique.
Quelqu’un m’a envoyé une publication Instagram tirée d’un compte célèbre, tenu par un critique horloger satyrique anonyme. Il (ou elle) déclarait que porter cette montre était désormais une preuve de stupidité, parce que le porteur est soit quelqu’un qui a payé 400'000 euros pour une montre à 30'000 euros, soit quelqu’un qui a acheté une montre à 30'000 euros et a renoncé à un bénéfice potentiel de 370'000 euros à la revente.

Même si je ne suis pas d’accord avec la sévérité et l’approche simpliste de cette publication, je reconnais que son but est l’humour cinglant, et les gens ne devraient pas s’en formaliser plus que cela. Je suis d’accord sur le fait que c’est un signe que le marché horloger devient « ingérable » ou « sauvage », comme j’ai pu le lire dans certains commentaires en ligne. Mais c’est davantage qu’ingérable. C’est davantage que sauvage. C’est dangereux.

Une vente sur le marché secondaire pour plus de dix fois le prix de détail n’est pas seulement une question d’offre et de demande. C’est de la spéculation. Cela fait fuir les véritables passionnés de montres. Cela encourage la marchandisation des montres d’une façon déconnectée de leur valeur intrinsèque. Cela met outrageusement en lumière une très petite quantité de montres sélectionnées et occulte le mérite authentique de 99,9% des montres. Cela augmente la volatilité du marché et diminue la confiance du consommateur. Cela récompense le comportement de mauvaise foi connu comme le « flipping » : acquérir des montres très recherchées (souvent en trompant le vendeur sur ses intentions) avec le seul but de les revendre immédiatement.

J’ai des amis dans les plus grandes maisons de ventes aux enchères. J’aime ce qu’ils font et je crois qu’ils ont accompli un travail remarquable pour attirer l’attention sur la valeur et la beauté durables des montres mécaniques. Mais dans ce cas précis, la valeur et la beauté durables de la montre mécanique est peut-être le facteur le moins pertinent. Lorsque Patek Philippe a annoncé l’arrêt de la Nautilus réf. 5711, l’un des effets escomptés était précisément de couper court à une inflation incontrôlée des prix et d’attirer l’attention sur leurs autres pièces.

J’entends déjà les gens dire : ne soit pas naïve, Suzanne. Si les maisons d’enchères respectées ne le font pas, cela arrivera de toute façon sur un quelconque marché en ligne. Prendre position ne fait aucune différence.

Et bien moi je pense que cela fait une différence. La montre est toujours vendue à un prix choquant, c’est vrai. Mais la perception que nous pouvons perpétuer, la perception que nous devrions perpétuer, c’est que ceux qui affirment aimer et soutenir l’industrie des montres mécaniques respectent le principe d’agir de façon à véritablement montrer leur amour et leur soutien à l’égard de l’industrie horlogère. Nous ne pouvons pas établir des équivalences éthiques ou morales entre ce que font les marchands sans scrupules sur le marché gris, et ce que font les maisons d’enchères reconnues. C’est pourquoi la réputation compte. Voilà ce que signifie être une entité responsable (et potentiellement dirigeante) dans le monde de l’horlogerie.