Nous ne sommes pas encore tout à fait remis du tourbillon de Watches and Wonders 2024, d’une semaine pleine de réunions et de présentations, des découvertes de nouveaux lancements, des conversations avec des gens que nous ne voyons qu’une ou deux fois par an, du ravissement et de la surprise devant la pure ingéniosité et l’énergie de cette industrie. Même au-delà des murs de Palexpo, le centre de congrès dans la périphérie de Genève où se déroule Watches and Wonders, la ville vibrait d’activité horlogère. Les hôtels au bord du lac ont vu défiler leur part de visiteurs traversant leurs lobbys pour se diriger vers des rendez-vous privés ou des présentations de produits par douzaines. Situé entre Watches and Wonders et les expositions des marques au centre-ville, Time to Watches était le passage obligé pour découvrir les marques montantes : les start-ups d’aujourd’hui qui pourraient devenir les grands succès de demain. Et avant de se rendre aux différents dîners et réunions de la communauté qui ont maintenu ouverts les meilleurs restaurants et bars de Genève bien au-delà de leurs heures habituelles, il fallait absolument s’arrêter à IceBergues, l’espace de galerie en duplex où la toujours enthousiasmante AHCI (Académie Horlogère des Créateurs Indépendants) a accueilli les visiteurs pendant six jours exaltants.
Avec un événement d’une telle intensité, est-il possible de se souvenir de tout ce que l’on a vu ? La réponse est, comme pour tout, oui et non. Cela aide sans aucun doute d’avoir une équipe extraordinaire à ses côtés. Six cerveaux valent mieux qu’un et avec le soutien ponctuel de nos deux collègues de GMT Magazine, les quatre membres principaux de l’équipe éditoriale de WorldTempus ont tenu bon toute la semaine. Et il faut aussi être prêt à faire quelques concessions et à répartir les ressources mentales en conséquence. On peut être capable de se rappeler de toutes les montres qu’on a vues, mais il ne faut pas s’attendre à se souvenir de tous ceux à qui l’on a parlé (même pas quand la conversation a eu lieu quelques minutes auparavant). Et, bien sûr, il y a des montres dont il n’est même pas nécessaire d’essayer de se rappeler, car on serait incapable de les oublier même si on essayait.
Ce ne sera pas la première liste des temps forts horlogers de la semaine dernière que vous verrez, et certainement pas la dernière. A tout le moins pour moi, cependant, c’est la plus marquante. Voici les cinq lancements techniques les plus impressionnants que nous avons vus à Genève du 8 au 15 avril 2024.
Vacheron Constantin Les Cabinotiers Berkley Grand Complication
J’ai une affinité particulière avec la prédécesseuse de cette montre, la réf. 57260, une montre de poche ultra compliquée que Vacheron Constantin a réalisée en 2015. La première fois que j’ai reçu des fleurs pour l’un de mes articles c’est quand j’ai écrit sur cette montre. Contrairement à des centaines d’autres articles consacrés à cette pièce récapitulant et expliquant ses 57 complications, j’ai encouragé les lecteurs à vraiment réfléchir à ce que la réf. 57260 signifiait pour l’horlogerie mécanique et à ce qu’elle leur faisait ressentir. J’adopte la même approche avec la Berkley, parce que je crois qu’à ce stade nous connaissons tous ses divers exploits micromécaniques impressionnants. Ce que nous n’avons pas encore entièrement compris, c’est à quel point elle est importante en tant que force redynamisante dans notre communauté. Vacheron Constantin a fait quelque chose de nouveau dans l’univers horloger en 2024. Il faut s’en souvenir à jamais.
IWC Schaffhausen Portugieser Eternal Calendar
A propos de choses à ne jamais oublier, la manufacture de Schaffhouse nous rappelle opportunément que l’horlogerie existe aussi en-dehors des régions francophones de Suisse. D’autres montres bracelets à calendrier séculaire ont été faites avant, mais aucune avec une telle clarté d’expression et simplicité de forme, quelque chose que je ne peux qu’attribuer à la propension allemande au design direct et fonctionnel. Le mot « Eternal » dans le nom de la montre n’est peut-être pas une référence exacte à sa fonction de calendrier séculaire (le niveau supérieur de précision calendaire après le calendrier perpétuel), puisqu’il requerra quand même un ajustement en l’an 4000. L’affichage des phases de lune, néanmoins, accumulera seulement un jour d’erreur après 45 millions d’années. Nous n’aurons peut-être même plus de lune d’ici là, mais au moins l’IWC Portugieser Eternal Calendar sera encore exacte.
Jaeger-LeCoultre Duomètre Heliotourbillon Perpetual
J’ai déjà écrit un article sur cette montre au début de la semaine dernière, mais ce serait folie pour quiconque de croire qu’il y a une fin au panégyrique que je peux consacrer à cette montre. C’était une priorité absolue pour moi de la voir le premier jour de Watches and Wonders 2024, et j’estime que c’est l’une des meilleures décisions que j’ai prises de toute l’année. On pourrait s’interroger sur le nom de la montre, ce que j’ai fait au début. Parce qu’il s’agit sûrement d’une référence au spiral cylindrique en forme d’hélice. Auquel cas, le préfixe correct aurait dû être Helico- (relatif à une hélice) plutôt qu’Helio- (relatif au soleil). Mais cela n’a rien à voir du tout avec le spiral. Heliotourbillon est le nom parfait pour une montre dotée d’un centre aussi spectaculaire : ce tourbillon multiaxial qui dicte tous les rythmes de cette montre et génère une telle attraction gravitationnelle que vous risquez d’être attiré à l’intérieur en un seul regard. La résistance est vaine avec celui-là.
Hermès Arceau Duc Attelé
La chose que je préfère avec les montres comme l’Hermès Arceau Duc Attelé n’est pas le fait qu’elles sont compliquées. La complication est la raison pour laquelle elle se trouve sur cette liste, mais ce n’est pas son meilleur atout, du moins je ne le crois pas. Le meilleur de cette montre c’est la façon dont elle pousse les gens à considérer Hermès autrement qu’ils ne le faisaient auparavant. Il y a deux semaines, si vous aviez mené une enquête demandant quelle marque lancerait un tourbillon central triaxial à haute fréquence associé à une répétition minutes arborant des gongs de forme singulière, je doute que vous auriez obtenu beaucoup de réponses avec le nom d’Hermès. C’est dommage, parce que nous savons tous qu’Hermès crée des montres à la personnalité unique et nous n’avons certainement pas constaté un manque de tourbillons ou de répétitions minutes dans leurs créations passées. On pourrait même avancer que réaliser cette montre novatrice et mécaniquement prodigieuse est assez simple comparé à la tâche de changer la manière dont la (notoirement obtuse) communauté horlogère perçoit Hermès. La Arceau Duc Attelé a fait les deux à la fois. Que pensez-vous de cela ?
Bovet Récital 28 Prowess 1
J’ai grandi à peu près au niveau de l’équateur. Je n’ai jamais vraiment compris l’heure d’été, parce que nous n’en avions pas besoin là-bas. Je veux dire, je comprends ce que c’est et ce que cela suppose. Mais sa justification, relative à l’élevage d’animaux et à l’agriculture afin que les éleveurs puissent tirer profit de l’alignement de leur journée de travail avec les heures de lumière naturelle, ne m’a jamais semblé tout à fait pertinente. Je suis aussi le genre de personne à être irritée par l’inutile perturbation de routines quotidiennes au service de systèmes qui ne font pas particulièrement sens, donc le pragmatisme de la Bovet Récital 28 Prowess 1 m’a immédiatement plu. Voilà une montre qui prend en compte la mise en œuvre irrégulière et incohérente de l’heure d’été dans le monde entier, élimine l’ennui d’ajuster une montre aux heures du monde en pleine conformité avec les standards variables de l’heure d’été et le fait d’une façon mécaniquement intuitive et magnifique. Enfin une montre aux heures du monde avec un affichage de l’heure d’été qui fait véritablement l’effort d’être précise et claire dans ses indications. C’est une sorte de superpouvoir.
