Trajectoire - Été 2012
Siphra Moine et Mathilde Binetruy
C'est le rendez-vous incontournable du Festival de Cannes: la soirée organisée par le fondateur et CEO de De Grisogono à l'Hôtel du Cap-Eden-Roc. Huit cent invités triés sur le volet issus du monde du cinéma, de la musique, de la mode et des médias. A la clé, le cœur qui bat la chamade pendant 24 heures. Définitivement, n'est pas Fawaz Gruosi qui veut.
12h
Atterrissage à l'aéroport de Nice. Sur 100 passagers, je suis la seule à bénéficier d'une voiture avec chauffeur. Cinq minutes sur le sol et je suis déjà accro. C'est la substance addictive la plus répandue au monde: la reconnaissance.
13h
Festival de Cannes: n'y descendent que des gens qui se sont élevés. Méthode Coué pour franchir les portes de l'Hôtel Martinez la tête haute: faire la roue. Il est conseillé de visionner une émission de «30 millions d'amis» avant de se lancer.
14h
Promenade sur la Croisette. Alentour: curieux, journalistes, festivaliers, tous plongés dans des discussions existentielles. «Alec Baldwin a-t-il signé avec Weight Watchers?» «Qui est le réalisateur des mèches blondes de Brad Pitt?» A l'unanimité, ce dernier remporte la Palme d'Or de la meilleure importation américaine depuis le Happy Meal.
15h
Déjeuner à l'Hôtel du Cap-Eden-Roc. La vue sur Benicio del Toro se siffle cul sec, d'un trait. On en reprendrait bien une rasade.
16h
Suite 413 de l'Hôtel Martinez, fief de De Grisogono. Une actrice de Hong Kong fait son shopping. Comprendre, elle choisit les bijoux qu'elle portera ce soir pour la montée des marches. Remplir son caddie au rayon carats est ici monnaie courante.
17h
Les femmes se préparent pour la soirée comme un général anticipe une bataille. Revue des troupes: coiffeur, maquilleur, manucure, couturier, tout le monde doit être au garde-à-vous. Je bats en retraite et opte pour un soin à l'oxygène à l'institut L. Raphaël. En sortant, une collègue me demande: «Tu n'as rien mis?» «Oh si, j'ai mis sur OFF pendant 30 min!»
18h
Relève de quart au pied des marches. Euphorie, yeux écarquillés, attente fébrile, les adultes se comportent comme s'ils avaient 6 ans. C'est mercredi, jour des enfants.
19h
A cette heure-là, tout n'est qu'ascension. La montée des marches répond à une nécessité urgente. Tout le monde voudrait être plus important qu'il n'est. Un jeune homme tient une pancarte jaune «On the Road». Il cherche une invitation pour le film projeté ce soir, adapté d'un des romans phares de Jack Kerouac «Sur la route». L'ambition pied au plancher.
20h
Transhumance chic vers l'Hôtel du Cap-Eden-Roc. D'utilitaires, les téléphones portables deviennent faire-valoir. On dégaine à tout va. Devant l'hôtel, en montant dans la berline, pendant le trajet… Facebook a raté son entrée en bourse mais pas sur scène.
21h
Le protocole de sécurité étant encore à pied d'œuvre, la soirée est retardée. Les véhicules sont priés de faire un tour au risque de provoquer un immense embouteillage jusqu'à Cannes. «Tour de manège gratuit», peut-on lire sur Twitter.
22h
Photocall. L'événement de De Grisogono est réputé pour être un vivier de jolies filles. La belle Irina Shayk fait son entrée aux bras de Fawaz Gruosi, c'est la star de la soirée. Victoria Silvsledt se penche pour embrasser son hôte. Les hommes n'ont plus accès aux mots. Les photographes mitraillent. Un yacht passe.
23h
L'arrivée d'Adrien Brody réconcilie la gent féminine. A sa suite, Isabeli Fontana, Kelly Brook, Paris Hilton, parées de bijoux, font crépiter les flashs. Hanaa Ben Abdesslem, nouvelle égérie Lancôme, avoue «venir pour la première fois à Cannes». Rompue aux tapis rouges, la journaliste Carine Roitfeld y est pour affaires: «J'organise un défilé de mode demain soir au gala de l'amfAR.» A ses côtés, Heidi Klum explique la signification des quatre petites étoiles tatouées sur le bras: «Ce sont mes quatre enfants.» Parce qu'avoir un corps comme le sien après quatre grossesses tient de l'injustice, on se déploie sur le bar pour oublier le métabolisme à deux vitesses.
24h
Langouste, veau, mara des bois au menu. Les hommes arrosent la première heure du jour d'un Haut-Médoc. Les femmes, couverts en berne, boudent la sauce aux morilles et dissèquent leurs assiettes avec la même précision que, plus tôt dans la soirée, les robes de leurs consœurs sur tapis rouge.
1h
De «tiens-toi bien à table» à «monte dessus», il n'y a qu'un pas. Ruée sur le dance floor. Fawaz Gruosi a convié un groupe de chanteurs-danseurs-transformistes russes qui font revivre les années disco. Toutankhamon ressuscite. Gloria Gaynor will survive. Heidi Klum se déhanche, Tatiana Santo Domingo et Eugenia Niarchos, les deux jeunes héritières inséparables, font provision de champagne. La nuit promet d'être longue.
2h
Taio Cruz prend les commandes. Une allumette se glisse sous les brûleurs. Exit le vernis de la civilisation. Heidi Klum danse en compagnie de Fawaz Gruosi sur scène, un garde du corps à ses talons. La salle est debout et reprend en chœur les titres du chanteur. Le temps d'un concert privé, l'Hôtel du Cap-Eden-Roc devient la terre musicale du hip-hop et du R'n'B. Nul n'est prophète en son royaume.
3h
Carré VIP. Une nuée de jolies filles entourent Fawaz Gruosi. Il en va d'une remise de prix de courts-métrages. Je demande à Fawaz Gruosi le quid du bon dress code. Il me répond: «20 carats.» Rapide calcul de ma tenue: 0.03 carat à l'annulaire, 1.05 carat au poignet. Game over. La question de la plus belle invitée de la soirée me brûle les lèvres, il esquive en souriant et en me faisant tourner autour de lui. Cendrillon a eu tort de rentrer avant minuit.
4h
Echange Barbie(s) contre Dunlopillo®. Une collègue fait le même vœu, avec la compagnie de son chat. Je me demande si Benicio del Toro connaît une berceuse.
5h
Une soirée arrosée est-elle soluble dans une bonne nuit de sommeil?
10h
Matinée camomille. Talons plats, tenue de ville, les jolies filles d'hier soir éclosent à l'état naturel dans le hall de l'hôtel. Rivage en vue, sac de plage à la main, vélo United Cruiser en prince consort. Il est beaucoup question de deux-pièces. Sur la Croisette, le vocabulaire d'agent immobilier est à double sens.
11h
Déferlante de nouvelles stars. Ce soir, c'est le grand rendez-vous de l'amfAR, le gala de charité où les femmes rêvent d'être Sharon Stone et les hommes de l'avoir à leurs bras. Un livreur passe avec une robe sur un cintre. Bientôt, elle sera plus attendue qu'une Palme d'Or.
12h
Mon amie me souffle qu'un sac griffé est ici statutaire. Si seulement j'avais commandé le modèle Paddington de Chloé. Ma besace aux couleurs de l'Union Jack est hors-sujet. Un mois plus tard, elle aurait fait fureur à la Cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. A moi la médaille en chocolat et la promesse qu'on ne m'y reprendra plus.
Home sweet home
Je monte les marches vers mon bureau et tape avec frénésie «Paddington» sur le moteur de recherche. Mon fils me décoche un sourire de lauréat: «C'est l'ours en peluche de mes rêves!» Rendez-vous l'année prochaine, Teddy Bear en bandoulière.
Grand Prix Spécial du Jury à Michèle Reichenbach et Mousse Jaquier pour l'ensemble de leurs œuvres. Palme d'Or à Fawaz Gruosi pour son incroyable opus «Glam Extravaganza».
