La première référence horlogère

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Immersion dans une marque qui évolue au-delà de la seule horlogerie. Le groupe construit à Bienne la manufacture du XXIe siècle.


L'Agefi - 19 mars 2010

Bastien Buss


Immuable, symbolique, prestigieux, voire mythique, mais également si singulier. Rolex, l'un des navires amiraux de l'horlogerie suisse, semble inamovible. Les vagues des 40e rugissants ou celles des 50e hurlants de la récente crise ont bien sûr apporté quelques roulis, mais le plus grand groupe horloger suisse en termes de chiffres d'affaires, a su louvoyer entre ces sévères houles. Seul le sillage derrière ce paquebot est un tant soit peu remué. Et encore. A Baselworld, Rolex affiche sa puissance, avec le plus grand stand de la manifestation, et de loin. Là aussi, cette impression de bateau qui brise les flots s'impose à l'esprit.

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Un géant pourtant si discret, dont on connaît que trop peu les rouages internes. Citer des chiffres relève presque du crime de lèse-majesté pour la marque à la couronne. La discrétion de cette entreprise, appartenant à la fondation privée Wilsdorf, est presque devenue aussi légendaire que certains de ses produits. Loin de l'agitation médiatique de certaines marques, Rolex préfère sacraliser la notion de rareté autour de ses produits (pourtant fabriqués à plus de 700.000 exemplaires par an) ainsi qu'autour de la marque elle-même. Ce qui lui permet d'apporter une note de prestige, un souffle de mystère, de bâtir un branding unique, afin de souligner le caractère singulier de ses montres. Indépendante, la marque l'est également dans son approche par rapport aux tendances, aux modes, au mainstream marketing. Elle ne succombe pas à la pensée unique, s'affranchissant des futilités éphémères. Sa recette? Elle a imposé son identité, sa vision des montres de luxe, avec un zeste d'adaptation au marché, sans toutefois remettre en cause la tradition, la sienne surtout. Résultat: en se nourrissant par elle-même. Sa stratégie interloque parfois, peut occasionnellement donner l'impression d'une sorte de passivité et même être qualifiée par les esprits chagrins d'obsolète.

Certains parlent même d'une esthétique quelque peu surannée de ses montres. Mais c'est en réalité un positionnement, une approche, parfaitement étudié, maîtrisé, voulu. Un mécanisme huilé et éprouvé. La marque entretient et cultive ainsi un mythe autour d'elle-même, et de ses montres. Ses produits ont dépassé le simple statut de montres, évoluant dans la symbolique du prestige, pour ne pas dire de l'icône.

Très présente (ou exposée, c'est selon) aux Etats-Unis, l'entreprise, croyaient les observateurs, aurait dû connaître un exercice 2009 des plus difficiles sur ce marché. Or, il n'en a rien été. Le recul y a même été inférieur à la moyenne de l'industrie, comme en témoigne le panel LGI, qui montre un recul de 20% des ventes, alors que les exportations horlogères pour ce pays se sont effondrées de 38%. Durant les quatre derniers mois de 2009, la situation s'est de plus nettement améliorée, après les huit premiers caractérisés par un fort recul. Novembre et décembre se sont même affichés en hausse. Pas de quoi donc ébranler la marque royale. Surtout que sur les autres marchés, la résilience a encore été supérieure et que 2008 constituait l'année de tous les records.

Voilà pour les quelques informations disponibles quant à la marche de ses affaires. Quant aux évaluations du chiffre d'affaires, lui aussi très secret, il donne tout simplement le vertige: il se monterait à environ quatre milliards de francs, avec une production estimée à 770.000 montres (selon les données 2008 du Contrôle officiel suisse des chronomètres, COSC. Une production en hausse d'un tiers depuis 1999). Ce qui veut dire qu'une montre mécanique suisse sur cinq vendues dans le monde est une Rolex.

Pour 2008, période d'avant-crise, Vontobel estimait même les ventes de ce géant à 4,5 milliards de francs, soit une part de marché à l'époque de 16,1%. Son chiffre d'affaires se réparti à raison d'environ un tiers pour l'Europe, un tiers pour l'Asie, un dernier 33% pour l'Amérique du Nord. Au cours de ces dernières années, la part du marché asiatique a nettement augmenté en regard de celle du Vieux-Continent. Une tendance qui va se poursuivre à l'avenir La société, plus que centenaire puisque née en 1905, a très vite réagi dès qu'elle a ressenti les premiers sursauts de la tempête conjoncturelle qui s'est abattue à l'automne 2008. Les contrats avec les intérimaires n'ont pas été reconduits, afin de se donner davantage de marge de manoeuvre. Entre- temps, l'entreprise recrute à nouveau, pas seulement des intérimaires.

Le géant horloger a par ailleurs racheté des stocks importants de montres invendues auprès de certains de ses détaillants. Une pratique que Rolex n'a jamais commentée. Et elle a de plus toujours démenti avoir inondé le marché, avec des pièces qui se seraient ensuite retrouvées sur le marché gris.

Mieux et ce en dépit de la récession de 2009, Rolex a même maintenu son gigantesque projet pour son site de production biennois. «Nous n'avons jamais songé à retarder ce grand chantier, encore moins à le geler. Nous entamons ces travaux dans un esprit de maîtrise des coûts, avec une vision à long terme», déclarait l'an passé Bruno Meier, CEO du groupe depuis fin 2008. En septembre 2006, pour la somme de 18,5 millions de francs, Rolex, symbole de qualité grâce notamment aux 300 ingénieurs qui travaille pour elle, a acheté à la municipalité de Bienne une parcelle de terrain de 46.000 mètres carrés adjacente à deux autres bâtiments qui lui appartenait déjà. Le nouveau site, en construction, doit regrouper les différentes activités biennoise de la société. En termes de taille, le nouveau bâtiment n'aura rien à envier aux dernières constructions de Rolex à Plan-les-Ouates.

Lorsque la nouvelle manufacture ouvrira ses portes, en principe en 2012, elle occupera un volume de 400.000 mètres cubes, sur quatre étages et trois en sous-sol, et une superficie de 92.000 mètres carrés, l'équivalent de plus de treize terrains de football. Le flux de production sera optimisé grâce à un entrepôt souterrain entièrement automatisé et à un système de tapis roulant à commandes centralisée. Un peu à l'image de ce que la société à déjà construit à Planles- Ouates, avec deux silos hauts de 12 mètres où sont stockés tous les composants dont l'horloger a besoin et qui sont gérés par des bras articulés. Oui, c'est bel et bien de l'horlogerie. Le site biennois, devisé par certains à 200 millions de francs (au moins 300 millions, selon nous) pourrait accueillir à terme entre 300 et 500 collaborateurs en sus de ceux qu'il compte déjà aujourd'hui. Les spécialistes n'ont pas hésité à le qualifier de manufacture du XXIe siècle, d'une nouvelle référence dans l'organisation industrielle. Rationalisation, nouvelles technologies, économies d'énergie et augmentation de la productivité sont quelques uns des objectifs recherchés. Un investissement qui suit de près celui d'environ un milliard de francs sur les deux principaux sites genevois du groupe, à Planles- Ouates et au siège des Acacias, dans la cité de Calvin, qui étaient destinés à regrouper des activités dispersées au préalable sur près de 17 lieux différents.

Tous ces travaux, aussi bien genevois que biennois, ont été initiés pour renforcer encore une indépendance quasi-absolue par rapport à l'entier du processus de fabrication. Une autonomie aussi rare dans l'univers horloger que discrètement et progressivement construite au fil des années à coups de rachats de nombre de ses fournisseurs (comme Beyeler & Cie, fabricant de cadrans, Boninchi, couronnes de montres, Gay Frères, spécialiste de bracelets, etc.). La société ne s'est toutefois jamais dispersée, restant concentrée sur son seul objectif, celui de la recherche permanente de la qualité.

Si l'évolution des montres de la marque procède d'améliorations qualitatives presque imperceptibles à l'oeil nu année après année, du moins pour les profanes (parmi d'autres l'écran magnétique de l'Oyster Perpetual Milgauss ou le spiral Parachrom), toujours dans ce souci et cette quête d'atemporalité, la véritable révolution de la marque est peut-être survenue il y a maintenant cinq ans. C'est à ce moment là que Rolex Genève s'est emparé de Rolex Bienne, deux entités étroitement liées mais juridiquement indépendantes jusque-là. La deuxième fournissait exclusivement en mouvements la première. Il était donc logique à terme que les deux entreprises fusionnent un jour. Grâce à ce rapprochement, de nouveaux développements, notamment au niveau des calibres, sont attendus pour les années à venir. Comme Rolex l'avait fait, parmi d'autres, avec la fonction compte à rebours de la nouvelle Yacht-Master.

L'entité Rolex est donc aujourd'hui basée à Genève. Mais elle exporte quelque 95% de sa production dans plus de 100 pays à travers 26 filiales. Aux dernière nouvelles officielles, la société employait 4000 personnes à Genève, 2000 à Bienne et 3000 à travers le monde. En octobre 2009, Bruno Meier confiait à la Berner Zeitung que 2010 devrait être meilleur que l'an passé. Il disait compter sur une amélioration notable en Asie, en Amérique latine et sur certains marchés européens. La tempête retombée, le navire poursuit donc son cap. Et accélère même certainement son allure.

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Oyster Perpetual Explorer. Nouveau modèle présenté à Baselworld 2010
© Rolex

 




Origines et évolution d'un géant


L'empire Rolex a été créé en 1905 par Hans Wilsdorf. En 1963, le Chaux-de-Fonnier André Heiniger en prend la direction. Modèle anti-actionnarial peut-être unique au monde, la fondation Wilsdorf, dirigée par plusieurs notables genevois, voit quant à elle le jour en 1945. Elle détient 100% du capital du groupe. En 1993, Patrick Heiniger, fils d'André, accède à la tête de la société. Fin 2008, Bruno Meier, actuel CEO, lui succède. Le conseil d'administration de Rolex SA est aujourd'hui composé d'une palette de personnalités, tels l'industriel Pierre-Yves Firmenich, Gérard Bernheim, l'ancien skieur Jean-Claude Killy, Daniel Trèves et Henri Turrettini. associé-gérant et fondateur de De Pury Pictet Turrettini & Cie.

Rolex doit sa réputation à son esprit pionnier. Plusieurs premières horlogères sont d'ailleurs entrées dans l'histoire de cette industrie. Notamment en 1926 avec l'invention de l'Oyster, première montre-bracelet étanche, et du premier mécanisme de remontage automatique à rotor Perpetual, en 1931. Depuis, la marque est restée dans le peloton de tête en ce qui concerne les montres de plongée. Entre autres avec le lancement de la première montre de plongée grand public, la Submariner, en 1953, suivi en 1967 par la version plus professionnelle, la Sea- Dweller. Sans parler du modèle Deep Sea Special qui est descendu à 10.916 mètres de profondeur dans la fosse des Mariannes en 1960 et dont la marque fête cette année le cinquantième anniversaire.

Rolex a aussi accru sa notoriété via le monde du sport, de l'exploration et de la culture. La société s'est ainsi associée à certains exploits sportifs de taille: l'ascension de l'Everest par Sir Edmund Hillary, le premier franchissement du mur du son par Chuck Yeager, le record de victoires en Grand Chelem de Roger Federer, les nombreuses victoires d'Arnold Palmer, Gary Player et Jack Nicklaus, les «Big Three» de l'univers du golf, et les triomphes des navigateurs dans des courses de renom. La marque s'enorgueillit en outre de son rôle avant-gardiste dans le domaine du mécénat et de la philanthropie, comme le Prix Rolex à l'esprit d'entreprise. La société se conjugue désormais aussi au pluriel.

A côté de sa marque phare, le groupe entend également faire décoller sa petite soeur Tudor. Présente essentiellement en Asie, la deuxième marque doit désormais acquérir davantage de visibilité et partir à la conquête de l'Europe et des Etats-Unis. Pas évident avec un pareil référant.   (BBS)

 

 

Duel mondialisé avec Omega


Le mano à mano entre les deux rivaux de toujours, Rolex et Omega, se poursuit sur internet. Basé sur l'analyse de plus 500 millions d'intentions de consommateurs collectées annuellement, le World- WatchReport a décrypté la demande internet pour 25 des plus prestigieuses marques horlogères dans les marchés clés d'exportation, dont pour la première année les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Premier constat, les deux marques continuent leur combat à distance. Comparée à l'édition précédente du rapport, la demande pour Rolex s'est renforcée en France (+118%), où Rolex devance désormais Omega, et en Italie (+87%), ressort-il de l'étude d'IC-Agency. En revanche, elle a diminué de 3% aux Etats-Unis et de 3% également au Japon, pays dans lequel Omega (23,5%) a rattrapé Rolex (23,4%) suivi de près par Cartier (19,6%).

Dans les pays BRIC, la demande pour Rolex (8%) est en moyenne très proche celles des autres marques de sa catégorie (10%). A titre de comparaison, la marque la plus performante est à 16% de la demande globale en provenance du BRIC. Le tout se répartit entre 41% pour le Brésil, 33% pour la Chine, 15% pour l'Inde et 11% pour la Russie. Rolex reste ainsi la marque la plus plébiscitée par les internautes au Brésil et en Russie, alors qu'Omega domine les marchés chinois et indien. En Chine, l'écart diminue entre Omega et Rolex, qui détiennent respectivement 24,8% et 18,4% de la demande online, contre 23,1% et 13,3% selon l'édition 2009 du rapport. L'étude prend en considération 25 marques horlogères suisses ainsi que dix marchés clés. (BBS)



L'art de se muer en symbole



Pour Kalust Zorik, consultant en stratégie et marketing, Rolex jouit d'un prestige rare dans l'industrie horlogère. Il s'agit d'une entreprise cohérente, dotée d'un logo royal avec un modèle visible et reconnaissable. «Rolex a été une des premières marques qui a été reconnue comme un status symbol», selon le spécialiste, par ailleurs président des Journées Internationales du Marketing Horloger. Le «status symbol», une sorte d'inclination à se faire voir sans se faire remarquer, trouve sa légitimité dans les yeux et la reconnaissance que lui attribuent les autres. «La marque présente la montre traditionnelle dans sa simplicité mais également dans sa visibilité», renchérit Kalust Zorick. Arrivés à un statut de personnalité, certaines personnes veulent montrer leur goût, leur pouvoir et leur raffinement. Rolex, notamment à travers son modèle phare Oyster, dégage une harmonie avec son logo royal et cultive une image de qualité de service délivrée à son client, selon le spécialiste.

«Aujourd'hui Rolex est la montre de celui qui a réussi et qui est envié des autres pour cette ascension justement». Avec un nombre très élevé de personnes sensibles aux statuts partout dans le monde, ainsi que le trafic généré par les nouveaux entrants dans cette catégorie et ceux qui y font un passage rapide, tous des clients possibles, le potentiel de Rolex reste très important, d'après le consultant. De plus, avec sa politique de communication, de sponsoring et d'ambassadeurs, la marque genevoise, mais tellement internationale, continue à alimenter cet esprit de réussite pour garder sa place enviée de leader de «status symbol». La stratégie marketing de Rolex se décline de plus dans la continuité et la cohérence depuis des décennies. La même orientation de la satisfaction du client, le même esprit de communication ainsi que la garantie d'un produit de très bonne manufacture expliquent la position actuelle de la marque, conclut le président de JIMH. (BBS)

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