180 ans de savoir-faire horloger

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La maison «Frères Baume» devient rapidement l'une des plus importantes entreprises horlogères du Jura

 

L'horlogerie moderne en est à ses débuts, avec l'adoption de nouvelles techniques et une production qui s'organise en un réseau d'artisans spécialisés, remplaçant petit à petit les maîtres horlogers du siècle précédant, qui fabriquaient eux-mêmes l'intégralité de la montre. Les manufactures horlogères n'existent pas encore, il faudra attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour les voir se développer.  C'est dans ce contexte que la famille Baume ouvre aux Bois dès 1830 l'un des premiers comptoirs horlogers du Jura suisse, assemblant des montres à partir de composants produits par de nombreux petits ateliers à domicile de la région, les paysans-horlogers jurassiens s'étant chacun spécialisés dans une partie de la montre. Les Baume assurent ainsi, selon le mode dit de «l'établissage», la fabrication du produit fini et sa commercialisation en Suisse et en Europe.

«Frères Baume»

Après la reprise du comptoir familial en 1834 par les deux fils aînés, Louis-Victor et Joseph-Célestin Baume, la maison «Frères Baume» devient rapidement l'une des plus importantes entreprises horlogères du Jura, grâce à l'habileté commerciale et à la rigueur industrielle des deux frères, qui ont pour stricte devise de «ne rien laisser passer, ne fabriquer que des montres de la plus haute qualité».

 

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"Baume Brothers" s'établissent à Londres en 1848. DR



Dès le début, l'objectif de «Frères Baume» est de réaliser des montres traditionnelles de grande qualité et riches de toutes les inventions technologiques de leur temps. La maison est ainsi la première dans le Jura à adopter, dès 1840, le calibre Lépine, une nouvelle construction de mouvement qui rend les montres nettement plus plates et plus fiables. Les Baume innovent aussi commercialement, l'un des deux frères, Joseph-Célestin, établissant dès 1848 une succursale à Londres sous le nom de «Baume Brothers». L'implantation en Grande-Bretagne permet à Baume d'être au plus près des goûts du marché anglais et de pratiquer une forme de «marketing» avant l'heure de ses produits fabriqués en Suisse. Baume Brothers s'étendra rapidement dans tout l'Empire britannique, des Indes à l'Afrique en passant par Singapour ou la Birmanie. Baume est même précurseur dans la commercialisation de montres sur des marchés émergents comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande.


En 1876, alors que la seconde génération prend les commandes, Frères Baume a déjà acquis une solide renommée internationale pour ses montres simples, à chronographes ou à grandes complications, répétitions minute, calendriers et tourbillons. Et ce sont à nouveau deux frères, les fils du fondateur Louis-Victor, qui se partagent la direction de l'entreprise: Alcide Baume à la production aux Bois, Arthur Baume à Londres pour la commercialisation internationale. La maison a bientôt des succursales à Genève et à Philadelphie, aux Etats-Unis.   



Distinctions internationales

Le succès et la reconnaissance des montres Baume s'accroît encore sous l'impulsion de la seconde génération. La maison s'illustre aux expositions nationales et universelles qui fleurissent dès la seconde moitié du XIXe siècle, à Paris (1878 et 1889), Melbourne (1880 et 1895), Zurich et Amsterdam (1883), Londres  (1885 et 1890) ou Chicago (1893). Elle obtient dix grands prix et six médailles d'or.  

Les montres Baume établissent également des records de précision aux concours de chronométrie, en particulier celui de l'observatoire de Kew près de Londres. Lorsque la maison Baume se présente pour la première fois en 1885, trois de ses montres figurent parmi les sept meilleures. L'année suivante, quatre d'entre elles sont primées. En 1887, Baume obtient la note la plus élevée du concours (85,1 points sur 100) avec un chronographe à rattrapante. En 1892, sa montre chronomètre sans clef avec échappement à tourbillon triomphe avec un total de 91,9 points, le record absolu de toute l'histoire du concours, qui restera inégalé pendant dix ans. Jusqu'au début du XXe siècle, la marque est constamment primée pour ses montres simples ou à complications, toujours dotées des dernières avancées technologiques.

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Ces réussites consacrent également les deux frères Baume: aux Bois, Alcide Baume, qu'on surnomme «le millionnaire », est un notable très sollicité et un acteur politique influent. Il participe au développement des routes régionales et fait dévier le tracé de la nouvelle ligne de chemin de fer entre La Chaux-de-Fonds et Saigneleigier juste à côté de ses ateliers, afin de pouvoir plus facilement acheminer sa production.

 

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A Londres, Arthur Baume devient une personnalité de premier rang. Il sera nommé chevalier puis officier de la Légion d'honneur et décoré par deux fois par le président français Poincaré en personne. Le roi des Belges le fit Grand Membre de l'Ordre de Sa Majesté Léopold II. Il est reçu au dîner officiel donné en l'honneur du roi d'Angleterre George V et de la reine Mary. Membre de la Royal Geographical Society, Arthur Baume  est nommé président en 1922 du Bristish Horological Institute de Londres, la fédération horlogère d'Angleterre.  

Baume devient Baume & Mercier

La fin de la Première Guerre mondiale en 1918 suscite de profondes mutations dans l'industrie, les arts et la société en général. Les femmes s'émancipent et portent des montres-bijoux, en broche, en sautoir ou au poignet, rendues possibles par la miniaturisation des mouvements d'horlogerie. Consacrée par les militaires, la montre-bracelet supplante petit à petit la montre de poche chez les hommes. L'Art déco influence l'horlogerie, qui après plusieurs décennies de course à la performance mécanique s'intéresse de nouveau à l'esthétique des montres. Chez Baume, c'est l'avènement de la troisième génération. William Baume reprend de son père Alcide la direction de l'entreprise aux Bois, tandis que son frère Alexandre seconde Arthur Baume à Londres. Visionnaire et horloger hors pair, le jeune William Baume entend profiter des nouvelles opportunités offertes par l'effervescence de l'époque, mais il se heurte à l'incompréhension et à la rigidité de son oncle à Londres. Dès lors, les deux entités se séparent et William Baume transfère l'entreprise des Bois à Genève, capitale cosmopolite de l'horlogerie de luxe. Il s'associe à un personnage haut en couleur, Paul Tchereditchenko, qui prendra le patronyme de sa mère française pour s'appeler Paul Mercier. De père russe, né à Odessa, Paul Mercier est un homme passionné et raffiné qui aime les arts, parle sept langues et possède un sens du commerce hors du commun. Après une carrière à Paris et à Londres, il dirige à Genève le magasin d'horlogerie de la maison Haas Neveux, manufacture genevoise de renommée internationale qui possède ses propres boutiques à New York, Paris, Cannes, Besançon et Genève.

 

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De tempérament très différent, mais complémentaire, et partageant une même vision de l'horlogerie contemporaine, les deux hommes s'associent en 1918 pour créer Baume & Mercier. William Baume s'occupe des aspects techniques et Paul Mercier du design et de la partie commerciale. Ils établissent à Genève une véritable manufacture horlogère, qui fabrique des montres de la plus haute qualité ainsi que des mouvements qui sont exportés aux États-Unis. En 1919, un an à peine après la création de l'entreprise, les mouvements Baume & Mercier reçoivent la certification du «Poinçon de Genève», la plus haute distinction de bienfacture horlogère. Un an et demi plus tard, Baume & Mercier était même devenue la marque horlogère produisant le plus grand nombre de mouvements certifiés par ce prestigieux label de qualité. En effet, le 21 mars 1921, Le Département du Commerce et de l'Industrie de la République et Canton de Genève délivrait à «Messieurs Baume et Mercier, fabricants d'horlogerie à Genève», un diplôme «attestant que leur maison vient en premier rang pour le nombre de pièces poinçonnées au Bureau officiel de l'État pour le contrôle facultatif des montres de Genève au cours de l'année 1920.»

 

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En 1924, Baume & Mercier apparaît dans l'Indicateur général d'horlogerie Davoine, le registre de référence des entreprises horlogères, comme l'une des quatre manufactures genevoises avec Patek Philippe, Vacheron Constantin et Haas Neveux.  
Misant sur l'horlogerie de haute qualité combinant excellence technique et raffinement esthétique contemporain, l'entreprise connaît un rapide succès malgré les profondes crises qui frappent l'horlogerie suisse au début des années 1920 et après le krach de 1929.   



Chronographes et Marquise

La période de la fin des années 1930 aux années 1950 est marquée par le passage de témoin à une nouvelle personnalité forte à la tête de Baume & Mercier, le comte Constantin de Gorski. En effet, William Baume se retire en 1935 pour raisons de santé, et Paul Mercier vend ses parts en 1937 à la famille Ponti.


Ces célèbres orfèvres piémontais sont spécialisés dans les boîtes de montres et les bijoux et possèdent des succursales à Gêne, Genève, Zurich et Lyon. Puissant industriel, Ernesto Ponti est par ailleurs consul d'Italie à Genève, et Constantin de Gorski a épousé l'une de ses petites-filles. Aristocrate polonais, richissime propriétaire terrien et fils de diplomate, Constantin de Gorki a dû fuir la Pologne devant l'avancée des Bolchéviques durant la guerre soviético-polonaise de 1920 et s'est réfugié dans la famille de son épouse à Genève. Les connexions italiennes des Ponti ouvrent à Baume & Mercier les portes du marché italien, qui restera longtemps le plus important de la marque et influencera son orientation vers des montres très tendance. Dans les années 1940 et durant la Seconde Guerre mondiale, Baume & Mercier s'illustre en outre par ses chronographes, des pièces aujourd'hui encore très recherchées par les collectionneurs. Au sortir de la guerre, Constantin de Gorski délègue toujours plus les affaires à son directeur, Marc Beuchat, et s'adjoint les compétences d'André Juillerat, un dynamique horloger neuchâtelois établi à Genève et membre du comité directeur de la Fédération horlogère. Celui-ci, avec le soutien de Constantin de Gorski, sera un acteur prépondérant de l'un des grands succès de Baume & Mercier: la Marquise. Cette montre-bijoux, insérée dans un bracelet rigide de type «esclave», s'impose comme une montre féminine phare de l'après-guerre, et restera un best-seller de la marque jusqu'au début des années 1960.

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En 1952, Baume & Mercier se dote d'un nouvel appareil de production pour ses mouvements chronographes en acquérant la manufacture C.H. Meylan Watch au Brassus, à la Vallée de Joux. En 1958, à la mort de Constantin de Gorski, Marc Beuchat devient actionnaire majoritaire. Suite à des divergences de vues, André Juillerat quitte Baume & Mercier en 1963. Marc Beuchat cherche alors à vendre. Après des manoeuvres d'investisseurs allemands et américains cherchant à acquérir ce fleuron de l'horlogerie suisse avec un héritage de plus de 130 ans déjà à l'époque, Marc Beuchat cède Baume & Mercier à Piaget pour que la marque reste en mains suisses. Le destin de Baume & Mercier va dès lors être lié à celui de Piaget pour les 25 prochaines années.

Sous le signe de Phi


Baume & Mercier bénéficie sous le règne de Piaget du dynamisme d'une marque en pleine expansion et de toute la puissance industrielle d'une manufacture de premier ordre. Piaget gagne en retour le réseau de distribution et la créativité de Baume & Mercier dans le domaine de la montre-bijou. Pour renforcer et incarner la nouvelle identité de Baume & Mercier, la maison horlogère choisit dès 1964 comme nouvel emblème visuel de la marque le symbole grec Phi, nombre d'or de l'Antiquité représentant la perfection des proportions. Le Phi apparaît dès lors comme logo de Baume & Mercier sur tous les cadrans de ses montres.

C'est de cette époque que date le statut de marque de luxe abordable de Baume & Mercier, un positionnement qu'elle revendique toujours aujourd'hui. La marque accentue également son statut avant-gardiste et innovant, particulièrement durant les années 1970. En 1971, Baume & Mercier est l'une des premières marques à adopter les nouveaux mouvements électroniques à diapason, précurseurs du quartz, dans son modèle Tronosonic. En 1973, la marque innove avec la Riviera, qui compte parmi les premières montres de sport en acier, avec son design dodécagonal novateur. La Riviera sera le best-seller de Baume & Mercier et son modèle emblématique pendant vingt ans. En 1972, la créativité de la marque fait sensation dans les montres pour femmes, avec ses modèles Mimosa et Galaxie, primés de la Rose d'Or au concours international de Baden-Baden à Düsseldorf, le plus important concours d'horlogerie-bijouterie de l'époque. En 1973, Baume & Mercier y obtient à nouveau la distinction suprême de la Rose d'Or avec son somptueux modèle «Stardust» au cadran en onyx et serti de 138 diamants.

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Les années 1980 sont marquées par le succès planétaire du modèle féminin Linea, ainsi que les modèles Avant-Garde et une nouvelle génération de Riviera.

En 1988, le destin de Baume & Mercier prend à nouveau un tournant quand le groupe de luxe qui deviendra Richemont acquiert Piaget et Baume & Mercier.
 

Nouvelle indépendance

Au sein de Richemont, Baume & Mercier acquiert une nouvelle indépendance et un nouveau souffle. La marque fait preuve d'une créativité débridée, multipliant les modèles à succès dans les registres de la montre bijoux, la montre classique ou la montre sportive: Catwalk (1997) réintroduit la montre manchette, CapeLand (1998) joue les aventurières, et Hampton (1994) devient un classique de la montre rectangulaire en acier et le nouveau modèle phare de la marque.
 
Dès 2002 Baume & Mercier fait un pas de plus vers l'autonomie avec l'ouverture de ses propres ateliers aux Brenets, dans le Jura. Il s'agit là d'un véritable retour aux sources à plus d'un titre: retour de la production dans le Jura, région d'origine de la maison Baume (le siège de Baume & Mercier restant cependant à Genève), et retour à un mode de fabrication, l'établissage, utilisé par les « Frères Baume » tout au long du XIXe siècle, mais avec tous les avantages modernes (voir ci-dessous).

Animée par ses trois valeurs fondamentales que sont l'authenticité, la créativité et la proximité, véhiculés par le slogan «Baume & Mercier & Moi» et une campagne de communication caritative qui a depuis fait des émules, la marque poursuit son succès avec des nouveaux modèles comme Classima Executives, Diamant, iléa, ou les collections de Haute Horlogerie William Baume et les modèles magnum sportifs et racés, déclinés en version Riviera et Hampton.  

Fidèle à ses origines, Baume & Mercier propose aujourd'hui comme hier des pièces d'horlogerie authentiques dans une interprétation contemporaine, avec une attention aux détails, une exigence de qualité et un respect des règles de bienfacture qui font sa réputation internationale depuis 1830.

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