Interview avec Nicolas Bos, CEO de Van Cleef & Arpels

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CEO of Van Cleef & Arpels - Nicolas Bos © Van Cleef & Arpels
À la croisée des métiers d’art et de la technique horlogère, la Maison raconte de nouvelles histoires poétiques qui seront révélées pendant Watches and Wonders

En quoi le métier de Van Cleef & Arpels a-t-il évolué ?

Dans un sens, il n’a pas évolué, et dans l’autre, il continue à se transformer. L’identité de la maison reste vraiment la même, ancrée dans des sources d'inspiration propres, avec une attention à des savoir-faire spécifiques, un intérêt pour la narration des thèmes qui nous sont chers et que nous essayons de maintenir et de renouveler dans une logique de continuité. Par ailleurs, c'est un métier qui s’est beaucoup développé du fait de l'ampleur prise par nos collections d'horlogerie, qui nous a vraiment poussés à creuser bien plus les savoir-faire et la sophistication dans certains domaines. Notamment toutes les techniques liées aux cadrans, les savoir-faire autour de l’émail et de la gravure, de la peinture miniature, à des niveaux devenus inaccessibles ailleurs et qu’il a fallu internaliser. Ce fut un challenge plutôt agréable et intéressant car nous avons dû créer des capacités techniques, créatives, mais aussi de formation et d'intégration de jeunes artisans. Et donc aujourd'hui, nous disposons dans nos ateliers de Meyrin (Genève) d’une plateforme avec plusieurs dimensions, qu’il s’agisse des savoir-faire liés aux cadrans, et notamment à tout ce qui peut être la représentation au sens large sur des cadrans en deux ou trois dimensions, ou du développement et de la conception des mécanismes pour les complications poétiques. Il y a quelques années, Van Cleef & Arpels était un créateur et un client d’un réseau technique et industriel ; maintenant, je pense que la marque est vraiment devenue un acteur y compris dans ces dimensions-là. 

Comment parvenez-vous à accompagner la hausse de la demande ?

Cela passe par le développement de nos capacités, dans la fabrication, le recrutement, la formation. Cela prend des années. Nous avons aussi mis l’accent sur la mutualisation des savoir-faire pour les pièces compliquées, les automates par exemple : il y a des parties qui sont faites à Paris dans l'atelier de haute joaillerie, d’autres dans notre atelier de Lyon, d’autres encore à Meyrin, certaines chez nos partenaires à Sainte-Croix. Nous sommes par ailleurs très attachés à la dimension de formation et d'apprentissage, que nous souhaitons partager du mieux possible, en interne mais également auprès de nos clients et du public. On peut en effet admirer un cadran et le trouver extrêmement riche, esthétique ou complexe, mais, comme avec n'importe quelle discipline technique ou artistique, cela devient plus intéressant quand on reçoit des explications. Décrire, par exemple, ce qu’implique le plique-à-jour, à quel endroit on a utilisé de l’émail cloisonné, pourquoi ces éléments se complètent, comment on fait les couleurs, pourquoi cela requiert du temps et du talent… Autant d’exercices pédagogiques sur ces techniques qu’il a fallu insuffler aux équipes de vente, dans nos 150 boutiques, ou aux équipes de communication, au siège et dans les filiales.

Est-ce un frein ou une stimulation pour l’innovation ?

Ce que je trouve génial dans l'innovation appliquée aux métiers traditionnels, c'est le nombre d'itérations, parfois de petits accidents, d’éléments que vous prenez d'un domaine pour les transférer dans un autre. Dans le cas du sertissage, on peut imaginer que, probablement, tout a déjà été fait depuis très longtemps. Nous avons beaucoup d’exemples de réalisations joaillières que nous réinterprétons dans des métiers plus proches de l’horlogerie, comme le fait d'intégrer directement des pierres dans l’émail. Il peut s’agir de besoins esthético-techniques, sur des échelles minuscules, avec une volonté de conserver l'intégrité du dessin, en faisant disparaître la présence de métal afin de garder la couleur de l’émail et sa translucidité. L’innovation confère aussi une motivation, une émulation au sein de l’atelier. Cet esprit-là est partagé par les équipes qui travaillent beaucoup en commun, et se challengent sur des disciplines et des dimensions différentes. La solution technique ne sera pas du tout la même, mais la volonté reste identique. Au final, nous mettons toujours la technique au service de l’histoire. 

Quelle est pour vous la meilleure illustration de cette philosophie dans vos nouveautés de Watches and Wonders ?

Je pense que la montre Brise d’été s'inscrit vraiment dans cette idée des complications poétiques, comme on les appelle, avec cette dimension proche de l’automate, avec un mouvement mécanique déconnecté de la lecture du temps. J’espère que c’est la sensation qui s’en dégagera, avec son mélange de mystères et de mouvements très doux : ces grandes herbes qui viennent légèrement en arrière-plan, survolées par deux papillons, ce cadran très clair, comme un paysage de prairie en été. Nous avons tenté de nous rapprocher au plus près de la douceur d’un mouvement qui est initié par le vent, quelque chose de très fluide dans les herbes. Je pense que personne ne réfléchit immédiatement à la manière dont c'est construit, où se trouve le pivot, comment c’est motorisé. Naturellement, cela implique un développement technique compliqué pour obtenir la réserve de marche suffisante à l’allocation d'énergie pour la mesure du temps et l’animation dessur les herbes, pour le débrayage de l’ensemble, car il s’agit d’un mécanisme à la demande que le porteur active avec le poussoir. Nous sommes dans cette logique de technique au service de l’histoire. Il y a beaucoup de choses qui sont issues de l’esprit du serti mystérieux, même notre « serti supporté » que l’on retrouve sur notre nouveauté brevetée et présentée à Watches and Wonders.

Cette logique a été récompensée plusieurs fois au GPHG, quel prix en particulier retenez-vous ?

Je pense que le Prix de la Montre Dame du GPHG décerné au Pont des Amoureux en 2010 revêt une signification particulière, d’ailleurs vérifiée avec d’autres distinctions internationales. Certains trouvaient aberrant de développer des complications pour les montres dames, mais cette pièce emblématique a sans doute contribué à créer la catégorie Complication pour Dame du GPHG en 2013, d’ailleurs attribuée la première fois à notre Lady Arpels Ballerine Enchantée, une autre de nos complications poétiques. Van Cleef & Arpels a initié un cercle vertueux car de nombreuses marques ont suivi le mouvement, alimentant la demande également. C’est gratifiant pour les équipes, car, à notre échelle, nous avons apporté un point de vue un peu différent sur la manière dont pouvait évoluer l’horlogerie, notamment féminine. 

Genève et la Suisse sont-elles importantes pour la marque ? 

Bien sûr, et pas seulement parce que le siège social de Van Cleef & Arpels s’y trouve. La boutique de Genève est l’une des plus anciennes, de très nombreuses histoires y sont nées. C’est à Genève que notre essor horloger a pris forme. Une horlogerie qui est dorénavant au cœur de la maison, non seulement d’un point de vue administratif et corporate, mais aussi artisanal et créatif. C'est un pays avec de multiples aspects où nous possédons un ancrage local fort. Cette clientèle très discrète et un peu réservée correspond assez bien, je pense, à notre état d’esprit.

Quelle clientèle s’intéresse aux objets Van Cleef & Arpels, dont on entend de plus en plus parler ?

Elle est très variée ! Il y a eu des pièces qui ont été vendues en Europe et en Asie, au Moyen-Orient. À des clients d’origine et d’âges très différents, qui sont des grands collectionneurs ultra pointus sur des objets d’art, des objets mécaniques ou des voitures. Ils sont à la recherche de l'excellence, ce qui les incite à rencontrer tous les artisans. Mais on trouve aussi des amoureux de beaux objets déconnectés de toute collection, qui ont été séduits par la poésie du mouvement. Cela engendre à chaque fois des discussions très différentes et des motivations très personnelles, toutes guidées par l’émotion. Ça fait rêver.

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