L’essor de l’horlogerie mécanique en Suisse n’est pas facilement attribuable à une raison spécifique. J’avais l’habitude de dire (en plaisantant à moitié) qu’il faut essentiellement remercier le mauvais temps pour les montres suisses. Nous connaissons tous l’histoire selon laquelle les hivers rudes et isolés de la Vallée de Joux - berceau des complications horlogères suisses – ont obligé ses habitants à se tourner vers l’horlogerie pendant les mois les plus froids afin de subsister. Il est moins probable que l’horlogerie, un métier spécialisé à la fois méticuleux et répétitif, se serait enracinée dans une région aux cieux plus cléments. Mais, évidemment, un peu de mérite revient à François Ier, dont la politique religieuse a déclenché l’exode massif des Huguenots de France et contribué à faire de la Suisse un havre de paix pour les réfugiées de foi protestante. Ces réfugiés étaient principalement des commerçants et des artisans avec des niveaux d’éducation et de formation élevés, par exemple des horlogers.
Il existe un facteur qui n’est pas toujours reconnu, et s’il peut sembler un contributeur mineur à l’hégémonie horlogère de la Suisse, je crois qu’il s’agit de l’un de ces détails qui finissent par devenir très importants. Nous avons déjà pris en compte l’impact des hivers rigoureux caractéristiques de la Vallée de Joux, mais il y a aussi ses forêts. Avant que l’horlogerie ne s’implante dans la région, les industries primaires présentes à la Vallée de Joux étaient les aciéries et les entreprises de soutien à la production de charbon de bois, alimentées par les abondantes forêts entourant la région. De nombreuses histoires sur la Vallée de Joux soulignent la nature inflexible du terrain, le décrivant comme un « sol ingrat » ou une « terre ingrate ». Plutôt que sur l’agriculture ou l’élevage, l’activité économique était donc axée sur des artisanats sophistiqués soutenus par les métiers de la métallurgie et les ressources naturelles (minerais de fer et bois) disponibles localement.
Il y a une ligne de causalité directe à établir entre la production d’acier et de charbon de qualité supérieure dans la Vallée de Joux, l’accumulation de savoir-faire en métallurgie et la rapide adoption de l’horlogerie comme activité de remplacement après que la protection des forêts promulguée entre 1709 et 1762 a asphyxié les scieries et les fonderies de fer de la région. Cette suite d’événements survenus il y a plusieurs siècles résonne encore en 2024. Nous voyons ses effets persistants aujourd’hui dans l’existence de grandes maisons d’horlogerie mécanique et la vaste forêt d’épicéas du Risoud, la plus grande survivante des ravages écologiques provoqués par les charbonniers.
Je sais ce que vous pensez. « Merci pour la leçon d’histoire, Suzanne, mais qu’est-ce que cela a à voir avec la montre en photo en haut de cette page ? » Ma chère famille WorldTempus, ce petit détour dans les obscures annales de l’économie jurassienne du 18ème siècle a tout à voir avec la Blancpain Villeret Quantième Perpétuel et son nouveau cadran d’un vert intense.
Nul besoin de préciser ce que fait un calendrier perpétuel. Si vous avez lu l’article jusqu’ici, vous n’êtes probablement pas un novice en horlogerie. Ce qui importe ici, c’est qu’il s’agit d’une grande complication mécanique, un domaine de compétence hautement adapté à la Vallée de Joux, dont les autochtones étaient décrits par l’historien Daniel Aubert comme possédant un talent pour l’artisanat précis et réplicatif qui se prêtait naturellement aux aspects les plus minutieux de l’horlogerie (la dextérité […] dans les gestes précis et répétés […] favorisant l’éclosion des talents horlogers »).
Nous devons aussi nous rappeler que Blancpain a été fondée en 1735, faisant d’elle la seule marque actuellement située à la Vallée de Joux (même si son lieu de naissance, Villeret, se trouve dans une partie différente du Jura suisse) qui existait lorsque l’activité économique de la région a commencé à se tourner inexorablement vers le secteur horloger. Le cadran de la nouvelle Blancpain Villeret Quantième Perpétuel est de la même nuance que les conifères à feuilles persistantes qui ont dominé le paysage arboricole depuis que la déforestation massive des siècles passés a décimé la croissance des feuillus. C’est un vert qui symbolise les débuts de l’horlogerie à la Vallée de Joux, avec un message sous-jacent en faveur de la protection des choses qui nous sont précieuses (les savoir-faire traditionnels, l’environnement naturel).
Une indication de phase de lune se trouve à six heures, renforçant le lien entre l’expertise horlogère de Blancpain et ses valeurs essentielles de préservation du patrimoine horloger. L’horlogerie classique était gravement menacée après l’introduction en 1969 de la montre à quartz produite en masse, frôlant l’extinction comme les forêts de la Vallée de Joux un siècle auparavant. L’auteur et historien Samuel Aubert (ils ont tous le même nom de famille là-bas) a présagé ce grave péril et le désespoir de l’industrie horlogère dans son essai de 1928 sur les forêts de sa région bien-aimée : « Plus un arbre debout ! Rien que les ruines, des pierrailles mises à nu par la pluie, le vent ou le gel. Quoi, l’image de la plus absolue dénudation ! ». Face à cette crise, Blancpain est devenu un porte-drapeau de la pertinence et de la résurgence perpétuelles de l’horlogerie mécanique dans les décennies suivantes, l’affichage des phases de lune étant étroitement identifié avec la mission de la marque durant cette période.
Que pouvons-nous apprendre de tout cela ? Comme la lune croissante et décroissante, nous perdons peut-être parfois de vue ce qui est important pour nous, mais il y a toujours ceux qui feront de la préservation des trésors de ce monde l’œuvre de leur vie. Et s’il y a peut-être nombre de marques capables de produire un calendrier perpétuel avec un cadran vert, il n’y en a aucune qui peut le faire exactement comme Blancpain.
