Elle nous manque: Urwerk UR-103.01

Image
The One That Got Away: Urwerk UR-103.01 - Urwerk
4 minutes read
Listen now
Dans la rubrique « Elle nous manque », voici un véritable « Elle me manque » : ma première montre coup de cœur, qui ne se fait plus, qui était fantastique, qui m'a ouvert les yeux et des perspectives. Une bombe atomique

Nous avons tous eu une histoire d'amour contrariée mais décisive. Une beauté inouïe que l'on a laissée échapper, bêtement souvent, que l'on regrette, à laquelle on repense toute sa vie. La transposition de cette idylle en horlogerie est l'objet de cette rubrique depuis maintenant neuf mois. Et il m'a fallu le temps d'une grossesse pour accoucher de l'histoire de la montre qui l'a inspirée. Il s'agit donc d'un sujet très personnel, intime presque, puisque l'Urwerk UR-103.01 a été la première montre à me donner un coup de sang. Une flash de désir. Une envie folle de l'avoir, de la porter, de la sentir. Quelque chose de physique, de sensuel, d'autant plus fort que cette pièce est très tactile, à cause de son immense capot rainuré en or gris. 

Je n'étais même pas encore journaliste horloger, mais j'avais fait sur mes propres deniers le voyage à Baselworld 2003. Les stands étaient tous fermés au public. J'étais collé aux vitrines comme un orphelin qui regarde un restaurant dans un conte de Charles Dickens (en moins misérable quand même). Et en quittant la halle 1, le panthéon des grandes marques, je suis tombé sur le stand de l'AHCI, Association des Horlogers Créateurs Indépendants. Stand, c'était beaucoup dire : quelques tables hautes étaient dressées dans un espace de circulation, sans délimitation. Et là se tenait Felix Baumgartner, un des trois fondateurs d'Urwerk et qui en est aujourd'hui encore le cœur, l’horloger, en tandem avec son ami Martin Frei. 

Je m'avance et je la vois. Elle est sensationnelle. Je n'avais jamais rien vu de tel, d'aussi fou, d'aussi grand, d'aussi mat, d'aussi texturé, d'aussi épatant. Et j'engage la conversation avec Félix. Parce que depuis, j'ai obtenu le droit de l'appeler par son prénom. A l'époque, Urwerk débutait à peine et malgré la dinguerie patentée de leurs créations, elles n'attiraient pas les foules. Le public n’était pas encore prêt et moi pas plus. En prime, je n'étais personne, un touriste, un gamin, un passant. Et Félix m'a parlé pendant 10 bonnes minutes. J'ai touché puis essayé la montre, il me l'a expliquée, je n'ai presque rien compris. Et j'en suis tombé raide dingue. L'immense gentillesse et simplicité de ce jeune horloger qui avait encore tout à prouver n'y étaient pas pour rien. Il n'en a d'ailleurs rien perdu depuis.

Elle nous manque: Urwerk UR-103.01

La UR-103.01 n'était pas la première Urwerk mais la seconde. La première, la 101, ressemblait à un Spoutnik de poignet option montée de LSD. Celle-ci était déjà très mûrie. Impossible de se lancer dans une aventure commerciale avec un OVNI de ce niveau de folie mentale sans savoir exactement ce que l'on veut faire... Mais en même temps, ils s’étaient lancés complètement à l'aveugle. Le marché pour de telles pièces n'existait pas. Les clients non plus. On était dans la nouveauté totale.

La couronne à midi, immense comme une bouche de fusil d'assaut, la large fenêtre arrondie et fine dans laquelle progresse l'heure vagabonde, le fond très sculpté avec des indications déportées et même l'option de régler la montre sur l'avance ou le retard (le control board), le contour et le volume de la boite, son bombé, tous ces aspects ont perduré et sont devenus des signes de reconnaissance de la marque. Ce qui a changé, c'est le fait que le capot recouvre tout, sauf la fenêtre de lecture. Les générations successives ont progressivement remplacé ce plein opaque par du vide jusqu'à une ouverture totale. Ce principe de strip-tease sur ce qui a fini par s'appeler le bouclier dans certaines collections Urwerk, est resté un axe d'évolution de chaque référence. 

Et ce capot, il était tout simplement génial. D'abord, il était long comme celui d'une vieille Cadillac. Son ampleur lui donnait une allure folle. Ensuite, il était totalement en or gris. Il y en avait pour une fortune. Mais elle ne semblait pas exagérément lourde puisqu'elle était immense. Son poids était logique, corrélé, attendu. Ensuite, au doigt, le couvercle usiné dans la masse n'était pas abrasif. Il y avait une qualité de finition au service d'une recherche sensorielle forte, et qui faisait contraste entre œil et toucher. Un conflit des sens qui créait une vraie surprise, une de plus. 

Elle nous manque: Urwerk UR-103.01

Elle était trop grande pour moi. D'ailleurs, encore aujourd'hui, la plupart des Urwerk se posent mal sur mon petit poignet. Mais ça n'avait aucune importance. Forcément, je n'avais pas le quart du début de la somme qu'elle coûtait. Et aujourd’hui encore, même d'occasion, elle est bien trop chère pour mes moyens. Mais peu importe. Ces photos datent de 2010, et déjà, j'avais avidement demandé à la repasser au poignet. Chose que j'ai refaite en 2021, parce que la marque venait d'en récupérer une dans le cadre de son programme d’achat vente d'occasions. Et à chaque fois, l’émotion et le désir étaient intacts. Je l'ai aimée, je ne l'oublierai jamais, je l'ai laissée échapper. Et elle me manque pour de vrai.

Marque