Les progrès techniques des machines horlogères sont colossaux. Les simulations 3D calculent les tolérances maximales pour évider chaque composant aux limites de ses tolérances fonctionnelles et physiques. Les CNC creusent la matière avec autant de rapidité que de dextérité. Les machines de découpe par électro-érosion taillent et cisèlent avec une précision diabolique. La main de l’homme gagne encore quelques microns. Elle polit, finit, termine. Une longue séquence, mi-humaine, mi-mécanique, pour créer...du vide. Seulement du vide ?
Vide extrême
Dans certains cas, oui. Nous l’avons vu à Watches and Wonders. Dans un déroutant élan dont elle garde le secret, la belle horlogerie, qui n’a jamais misé que sur ses mouvements, entreprit de les faire disparaître. Accompagnant son grand retour parmi les exposants, Hysek a de nouveau présenté sa IO Skeleton Tourbillon, probablement l’un des squelettes les plus extrêmes. Il n’y siège plus qu’un mouvement, et encore, squeletté à l’extrême. Non loin, au cœur de Genève, la jeune pousse Artime dévoilait sa ART01. Tout aussi extrême, la pièce est même dépourvue de platine, avec un mouvement directement arrimé à la boîte. Un barillet, un train de rouages, un tourbillon : circulez, il n’y a rien à voir !
Le roi saphir
Mais la transparence ne consiste pas (seulement) à évider la matière, en mode squelette. Paradoxalement, ajouter de la transparence peut revenir à ajouter...de la matière ! Contre-intuitif ? Non, répond Hublot, si la matière elle-même est translucide, comme le saphir. C’est tout l’objet de la Square Bang Saphir. La boîte est là, mais presque invisible. Le bracelet l’est aussi. Au final, la pièce donne l’illusion de porter son mouvement directement à fleur de peau. Déroutant !
L’exercice le sera d’autant plus chez Chanel. Là, avec la Première Camélia X-Ray, Chanel a non seulement doté sa pièce d’une boîte saphir, mais a également squeletté son délicat mouvement. Ce qu’il en reste, gracieux et chic, se trouve serti. Le calibre a disparu. Du vide n’émergent que quelques rangs de diamants en apesanteur, sous lesquels se cache le mouvement.
Point de focus
Au-delà de ces approches radicales – faire disparaître le mouvement ou sa boîte – certaines marques visent un équilibre, un entre-deux. L’idée : n’évider que certaines parties de leurs créations, afin d’attirer le regard sur des points précis de leur composition. L’approche est particulièrement nette chez Cartier. Dans sa surprenante Santos Dumont Micro-Rotor Squelette, toute la surface sous le micro-rotor a été évidée entre 6h et 9h, afin de faire converger les regards vers l’avion qui l’orne. Astucieux !
Chez Louis Moinet, l’approche est assez similaire. L’inventeur du chronographe a évidemment vocation à attirer tous les regards sur l’éminente complication. Dans sa récente Time To Race, l’atelier de Saint-Blaise a donc supprimé la partie supérieure de son cadran. Là, entre 8h et 4h, l’ambitieuse mécanique se dévoile, hypnotique, avec un point de focus très clair sur la roue à colonnes, savamment positionnée à midi. Difficile de sortir de cet effet tunnel pour regarder ailleurs !
Chez Jaeger-LeCoultre, la composition de la Reverso Hybris Artistica Calibre 179 est exécutée en miroir de celle de Louis Moinet : le haut du cadran est plein, mais le bas est évidé. Objectif : créer le vide maximal au sein duquel bat et s’ébat le magnifique tourbillon semi-sphérique (à détente horizontale, et non verticale comme un tourbillon cylindrique, d’où son nom), en rotation sur plusieurs axes. Le regard plonge, l’heure s’échappe.
Le principe est d’ailleurs le même chez Vacheron Constantin avec sa nouvelle Tradition Tourbillon : malgré son impeccable cadran soleillé vert olive, rien n’y fait, le regard plonge instinctivement vers le tourbillon à croix de Malte suspendu dans le vide, à 6h. La pièce a été conçue pour cela : créer le vide pour y disposer une complication en apesanteur qui attirera immanquablement le regard.
