De prime abord, il faut être un peu fou pour vouloir entrer dans le monde de la haute horlogerie : un savoir-faire concentré sur quelques kilomètres carrés, un marché ultra-verrouillé, passablement encombré, dont le ticket d’entrée est excessivement élevé et dont le retour sur investissement peut parfois prendre...des décennies. Pourtant, Chanel, Gucci, Hermès, Louis Vuitton, Ralph Lauren ont tenté leur chance, estimant avoir trouvé la bonne réponse à la seule et unique question qui vaille : qu’est-ce que l’horlogerie leur apporte ?
Chanel : l’horlogerie, poursuite de l’héritage Coco
Le cas Chanel est l’un des plus délicats. Parce que la maison de la rue Cambon vit sur l’héritage d’une styliste de talent, Gabrielle Chanel, connue en large majorité pour sa griffe de couture. Mais ce serait méconnaître que l’illustre femme, de son vivant, avait déjà développé un vocabulaire beaucoup plus large : le parfum (1921), le maquillage (1924), le soin (1927), la joaillerie (1932), la maroquinerie (1955), etc. Lorsque Jacques Helleu devient directeur artistique de Chanel en 1965, il est donc clair que la maison n’a plus beaucoup de chemin à faire pour aborder l’univers horloger. Et pourtant, pendant plus de 15 ans, le projet est plus ou moins mis en sommeil : au décès de Gabrielle en 1971, Chanel reste concentrée sur son héritage couture, tendance que Karl Lagarfeld (qui rejoint la marque en 1983) incarne et confirme. Chanel Horlogerie ne naîtra donc qu’en 1987, avec une première collection intitulée...Première. La montre a donc permis à Chanel d’explorer un territoire créatif que Gabrielle Chanel n’a pas défriché de son vivant, mais dont elle aurait, à coup sûr, aimé renouveler les codes. C’est ce que fait aujourd’hui la maison qui porte son nom.
Hermès : la montre comme nouveau vecteur créatif
Le cas Hermès est différent : la maison familiale est arrivée à la montre...par son bracelet. En 1912, Jacqueline Hermès, fille d'Emile Hermès, arbore au poignet une montre de poche pour laquelle Hermès avait réalisé un bracelet. De sellier, Hermès devient l’artisan de bracelets en cuir. Arrive Jean-Louis Dumas qui, en 1978, ouvre l’horizon horloger de la marque. « Visionnaire, curieux de tout et de toutes les cultures, il orchestre avec audace et fantaisie la conquête de nouveaux métiers », explique Laurent Dordet, Directeur Général de l’Horlogerie Hermès. La marque habille alors des montres, horloges et pendules faites par Jaeger, Universal, Vacheron & Constantin. La montre permet donc à Hermès de développer une créativité artistique déjà bien ancrée dans son univers natif, la maroquinerie. Hermès est d’ailleurs restée fortement centrée sur les métiers d’art, comme le travail sur le bois, la paille, le verre, la pierre, etc. « Hermès Horloger est aujourd’hui une manufacture horlogère à part entière avec l’intégralité des métiers maîtrisés à l’interne et une production 100% suisse, tout en restant fidèle aux valeurs fortes de la maison et à l’authenticité qui la caractérise », conclut Laurent Dordet.
Ralph Lauren : enrichir l’univers luxe de la griffe « RL »
Ralph Lauren n’est plus, depuis longtemps, une marque uniquement de prêt-à-porter. C’est une marque tout court, une griffe, un univers. Que lui apporte spécifiquement la montre ? « L’horlogerie est une catégorie de produit haut de gamme dans le portefeuille luxe de la marque lifestyle, qui traduit l’une des passions de M. Lauren : les montres intemporelles et raffinées, qui enrichissent la proposition produit pour notre clientèle internationale », dit-on au sein de la marque. En d’autres termes, l’horlogerie prolonge l’esprit Ralph Lauren, lequel a vocation à s’incarner dans de multiples univers. Créée en 2009, la montre RL a toutefois noué une relation particulière avec M. Lauren, reflétant au premier chef sa passion automobile, avant de s’ouvrir progressivement à d’autres univers connexe, comme le Teddy Bear ou l’univers safari. « Montres et Joaillerie représentent certes une niche par rapport à la taille de notre marque multinationale, mais dont l’expression esthétique et le niveau de qualité et de service contribuent à l’élévation de l’expérience client ».
Louis Vuitton : la montre comme extension naturelle
Reste Louis Vuitton, né comme malletier. Traduction : c’est une marque entièrement orientée vers le voyage. Quoi de plus naturel que de se tourner vers l’autre accessoire qui permet de voyager, la montre ? Mais alors que Vuitton aurait pu se concentrer sur GMT et WorldTimer, elle s’invente une éloquence horlogère sans frontière. La Fabrique du Temps sera l’instrument de sa démesure. Car Vuitton ne voyage pas, mais explore : la montre compliquée, la montre connectée, la montre joaillière, la pendulette, etc. L’horlogerie est un terrain de jeu pour une maison sérieuse qui ne s’interdit rien, du baby-foot au prix d’une voiture, au hamac à 37'000 euros, en passant par l’inaltérable malle à sneakers, pour 165'000 euros. Une démesure permanente dans laquelle s’inscrivent des créations horlogères totalement libérées.
