La création est un espace de liberté, parfois un des rares au sein de grandes entreprises au management structuré et au storytelling formalisé. Et parfois, cette liberté ouvre la voie à un mode créatif rare : l'humour. C'est rien moins que cela que l'on retrouve dans les nouveautés de Chanel horlogerie.
Une montre robot. Une boite pixelisée. Un cadran cartoonesque. Un gabarit tellement grand qu'il en devient divertissant. Le tout s'emparant des codes de la maison pour les rendre amusants. Le studio de création sous la direction d'Arnaud Chastaingt vient de livrer avec la collection capsule Interstellar une salve de blagues. Les montres, dans leur conception, restent tout à fait sérieuses. Mais leur thèmes, les libertés qu'Interstellar se permet par rapport aux codes de la marque, du secteur même, sont partis dans une direction que l'on attendait pas.
C'est ainsi que la Première, montre rectangulaire à coins coupés comme la place Vendôme, très sérieuse, très couture, se voit coiffée d'une tête et même de bras de robot. Exploitation intelligente des codes Chanel, ses pinces sont en forme de C, ses yeux et ses épaules en diamant et son corps, laqué noir comme le cadran. Au final, la Première Robot s'apparente à un Charm comme ceux que les grandes marques de mode de luxe accrochent à leur it-bags. Fusion des genres et des vocabulaires avec pour résultat une montre qui arrachera un sourire au plus terne visage.
C'est ainsi que la J12, montre fondamentale dans le dispositif horloger de la marque, vantée, objet de livres et que Chanel a élevée au rang d’icône, voit son design bousculé. Une corne et la carrure de la J12 Hyper Cybernetic perdent leur ligne continue et effilée et deviennent pixelisées. Un crantage bien appuyé les remplace, souligné par un sertissage de diamant, comme si une partie avait pénétré dans l'univers de Minecraft. On est à la croisée de l'art numérique et du maquillage, et on touche là à un fondement de l'identité Chanel. En effet, J12 est plus qu'un design, qu'un produit, c'est une marque en soi.
C'est ainsi que la Boy.Friend reçoit un cadran au motif d'un circuit imprimé. Il y avait déjà quelque chose de digital dans l'insertion du point dans son nom, comme www.chanel, ou horlogerie 3.0, mais on se situe bien au-delà du gadget. La Boy.Friend Cyberdata se rit de la smartwatch, intègre les codes de son époque et les imprime dans sa matière même.
C'est ainsi que mademoiselle Chanel, intouchable, vénérée, noyau solaire qui irrigue toute la marque, a été caricaturée. Sa silhouette, tailleur et chapeau, de profil, avait déjà fait son apparition sur la Mademoiselle J12 en 2017, ballon-sonde où les bras de la dame servaient d'aiguilles. Elle flotte désormais dans l'espace de la J12 Cosmic, au milieu de satellites, de Saturne et de ses anneaux. Coco est un astre, de manière presque littérale, et la blague est bilingue. C'est une star.
C'est ainsi que la métaphore couture appliquée à l’horlogerie de métiers d'art a donné naissance à la collection Mademoiselle Privé Pique-Aiguilles. Cette série de cinq modèles, dont l'immense cadran interprète les métiers des ateliers Chanel (couture, patronage, dentelle...), s'anime grâce à des techniques horlogères : sertissages de diverses natures, émaillage, guillochage, sculpture miniature... Transposition des métiers, détournement des méthodes, clins d'oeil dans les détails, tout en elles est intriguant, même leur taille de 55 mm de diamètre.
On pourrait penser qu'il faut du courage, un peu d’inconscience pour se permettre de jouer avec des codes généralement intangibles, au point de les tourner en dérision. De les intégrer dans des saynètes horlogères qui les détournent. Or l'auto-dérision, justement, est la marque des grands esprits. Il faut réellement qu'une marque soit puissante, solide et d'une intégrité conceptuelle à toute épreuve pour que l'on s'autorise à en détourner les attributs. Au point de faire sourire, se réjouir, et même rire de surprise.
