Chanel a un don pour exploiter son univers. Que ce soit en faisant allusion aux objets précieux possédés par sa fondatrice Coco Chanel ou en métamorphosant les métiers de la couture en thème horlogers, la maison convoque des thèmes esthétiques exogènes avec un doigté certain. C'est ainsi qu'après les paravents de Coromandel, le lion, les camélias ou les boutons, la voici qui rend un hommage horlo-joaillier à un accessoire des couturières, et aux métiers que celles-ci pratiquent. Dans le cadre de la ligne Mademoiselle Privé, qui rassemble ses créations de haut artisanat, voici Pique-Aiguilles.
L'association peut sembler incongrue. Après tout, il n'y a pas de noblesse particulière dans un pique-aiguilles, petit sac rempli de grains, dodu, rembourré et plutôt vilain. Pas plus que dans un dé à coudre ou une bobine de fil. Ce sont des objets banals en apparence. Ce qui compte, c'est le geste que ces outils assistent. La référence aux petits coussins rembourrés est donc un hommage indirect à celles qui s'en servent, ces ouvrières d'atelier qui ont de l'or dans les mains.
Le respect pour l'objet et sa fonction va jusque dans une similitude de dimensions, soit l'adoption d'un gabarit très particulier. La boite en or jaune est une grande chose bombée, qui dépasse largement de son petit bracelet en satin. Ses dimensions, 55 mm de diamètre, sont absolument hors normes. Comment leurs propriétaires les porteront-elles ? Par-dessus la manche ? Prises dans un lacet et transformé en pendentif ? Sur la peau nue ? Ou alors peut-être certaines de ces pièces ne quitteront-elles jamais leur coffre, ce qui serait bien dommage. Car tout autant qu'une montre, la collection Pique-Aiguilles est un espace de présentation immense, une vitrine qui met en exergue les cadrans. Ils sont au nombre de cinq, pour autant de modèles édités à vingt exemplaires.
A la métaphore de la boite succède une autre, plus spécifique à Chanel. Ces cinq cadrans sont chacun une allusion, plutôt littérale, aux métiers et aux produits-phare de Chanel. L'un est un patron de tailleur en tweed, avec fil, dé à coudre, mètre ruban. Un autre est un entrelacs de sacs matelassés en nacre noire, avec leur fermoir recouvert d'un diamant baguette. Un troisième est serti neige, de 650 brillants de diverses tailles tandis qu'un autre encore imite la dentelle.
Les techniques convoquées sont diverses, reflétant ainsi la richesse des savoir-faire du cadranier de cette série, en l'occurrence Les Cadraniers de Genève. Ils sont aussi les auteurs du petit galon d'or perlé qui encercle ces cinq cadrans. A noter également, les aiguilles des cinq modèles, qui sont en réalité...des aiguilles à coudre. Il ne leur manque qu'un chas. Il serait amusant de comparer pour savoir si ce sont bien les plus grandes aiguilles que l'on a jamais vues tant celle des minutes est longue.
La collection Pique-Aiguilles est donc une mise en abyme de Chanel et de son identité couture. De son savoir-faire dans la création artisanale, transposé à l'intérieur d'une montre. Une transfiguration du tissu en techniques précieuses, rigides et durables, or, perles, nacre, émail et diamants. Ainsi, malgré son allure peu gracieuse, la petite boule accrochée au poignet des couturières s'est transformée en montre d'une élégance folle et très riche de sens.
