Reuge : nouveau souffle

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Onko © Reuge
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De Bethune a abrité sous son aile la belle endormie Reuge. L’illustre maison de mécanique d’art reprend son envol, offrant une escapade salutaire dans une paysage horloger saturé

Durant la dernière édition des Geneva Watch Days, il fallait faire preuve d’une double vigilance. La première, pour apercevoir Denis Flageollet. Le patron des développements De Bethune, son âme horlogère, s’y fait rare. C’est de surcroît un homme qui aime prendre son temps pour expliquer une démarche, et le faire dans son ensemble. Deux préoccupations peu compatibles avec les agendas sclérosés d’interlocuteurs qui ne le sont pas moins. 

Ensuite, parce que la plus belle parenthèse offerte par Denis Flageollet se trouvait au sous-sol de l’hôtel où siégeait la marque. Il fallait quitter l’étage De Bethune pour descendre retrouver Reuge – à l’image d’un trésor abrité, réservé aux plus curieux. C’est là, sur quelques mètres carrés, que s’est produite la magie. Ou du moins, ses premières étincelles. 

Car Reuge, en 2023, reprend son souffle – et même du souffle. La maison de mécanique d’art, spécialisée dans les automates à musique, est dépositaire d’un leg patrimonial de premier plan. Et même largement séculaire, car l’on rappellera ici que les automates sont l’âme mécanique du temps sonnant. L’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg (1352 – 1354, aujourd’hui disparue) pouvait par exemple reproduire un chant de coq, associé à un événement religieux. La « merveille de Strasbourg », comme on l’appelait, allait avoir un retentissement dans toute l’Europe. L’automate fascine. 

Sauvegarde patrimoniale 

Ce patrimoine, Reuge l’a repris, magnifié. Et aussi miniaturisé, car ce qui se conçoit à l’échelle d’une cathédrale est autrement plus complexe à réduire dans les dimensions d’une pendulette ou d’un petit automate. Il faut allier dextérité, ingéniosité et créativité, pour trouver le compromis parfait entre magie du mouvement et clarté du son, sans rien renier d’une bienfacture que seuls quelques rares artisans possèdent toujours. 

Rares, c’est même un peu trop. Chez Reuge, quatre personnes sont dépositaires, chacune, d’une habileté que plus personne au monde ne maîtrise. Du réglage d’un clavier à musique jusqu’à l’art de mettre un oiseau en plumes, il y a des traditions qui se perdent. Et même si Reuge se projette dans le temps long, il y a urgence à préserver ces gestes. 

Denis Flageollet le sait. L’horloger alchimiste, comme il se définit lui-même dans son magnifique ouvrage éponyme, entretient à l’art et la matière un rapport trop étroit pour les laisser filer avec le temps qu’il décompte depuis 30 ans. Aussi a-t-il créé, en même temps que De Bethune reprenait Reuge, un Institut de la Mécanique d’Art. 

Freedom © Reuge
Liberté © Reuge

Former, partager, inspirer 

L’établissement, qui dispense ses propres cours, à travers l’association Mec-Art, allie théorie et pratique. Elle propose une formation de quatre semaines durant laquelle les étudiants reçoivent des cours théoriques et pratiques sur les différents savoirs de la mécanique d’art. À la fin du cursus chaque étudiant à l’opportunité de repartir avec sa pièce école réalisée par ses soins. 

Quels étudiants ? Des horlogers, des esprits mécaniques affûtés, quelques passionnés en reconversion. Le cursus n’a rien des conventions universitaires habituelles : Denis Flageollet n’aime pas les cases, trop étroites à son goût, pas plus qu’il ne voudrait laisser filer le bon talent, la bonne personne, au titre qu’elle ne serait pas préalablement dotée d’un Master lambda. 

Avec ce dispositif à 360°, Reuge reprend de la hauteur. Les dernières créations en attestent avec une belle image poétique, celle d’un oiseau chanteur en cage...mais sans cage. La métaphore est explicite. Reuge se libère, replonge aux sources de son art mécanique pour produire le beau, le juste. Et par-dessus tout, l’émerveillement. Une démarche salutaire dont la poésie n’a d’égale que l’excellence et la rareté. 

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