Le fabricant du temps

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The Maker of Time - Louis Vuitton
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Dans un entretien accordé à WorldTempus, Michel Navas, maître horloger à La Fabrique du Temps Louis Vuitton, évoque le dernier lancement de la marque et les défis à relever pour asseoir la réputation horlogère de Louis Vuitton.

Nous sommes ici à Gstaad avec Louis Vuitton pour découvrir vos nouveautés. Y en a-t-il une en particulier que vous aviez hâte de dévoiler ?
Oui, la Tambour Curve Tourbillon Volant Poinçon de Genève. C'est un nouveau pas en avant pour Louis Vuitton, car tout est nouveau dans cette montre, à commencer par le matériau du boîtier, le CarboStratum. Vous n'en avez encore jamais entendu parler car il a été spécialement développé pour Louis Vuitton. 

Il est fait d'une multitude de couches de carbone comprimées avec un polymère et du titane comprimés ensemble. Les feuilles de carbone sont disposées au hasard, de sorte que le dessin produit des courbes toujours aléatoires et différentes, rendant chaque boîtier unique. J'ai toujours trouvé que le carbone était un matériau froid de nature, et c'est la première fois ici que je trouve le carbone "chaud". A la lumière du jour tout particulièrement, le motif ressemble à celui des veines du bois, ce qui lui donne une qualité beaucoup plus chaleureuse. 

Le créateur du temps

Le mouvement est-il nouveau aussi ?
Le mouvement est nouveau, oui ; le traitement NAC noir lui donne des tons plus sombres qui s'harmonisent avec le carbone et le titane. Le tourbillon volant est à 9 heures. Nous avons fait ce choix esthétique afin que le pont LV ne soit pas obscurci. Et le "LV" n'est pas uniquement décoratif - nous l'avons rendu fonctionnel ; il fait office de pont maintenant en place les roues du mouvement. 

Le créateur du temps

Louis Vuitton insiste beaucoup sur le fait que ses mouvements de haute horlogerie portent le Poinçon de Genève. Qu'est-ce que cela implique au niveau production ?
Actuellement, seules cinq marques produisent des mouvements estampillés du Poinçon de Genève, car il faut bien sûr être basé à Genève, et nous le sommes depuis 2014. Mais il faut aussi respecter toutes les règles fixées par le Poinçon de Genève, qui sont très, très strictes. Tous les composants de la montre doivent être finis par un seul et même horloger, et sont ensuite envoyés et contrôlés dans les bureaux du Poinçon de Genève pendant au moins 15 jours. Les finitions, mais aussi le réglage mécanique sont contrôlés. Ils ont un kit comprenant chacun de nos composants afin de pouvoir comparer chaque nouveau composant envoyé avec l'original. En conséquence, une montre qui devrait normalement être assemblée en quatre ou cinq jours prend six semaines…

Pourquoi, à votre avis, est-il important que Louis Vuitton ait le Poinçon de Genève ? 
Parce que Louis Vuitton est, comparativement, une marque nouvelle dans l'horlogerie ! Nous n’avons commencé qu’il y a 18 ans, en 2002 et beaucoup se sont interrogés sur ce tournant. Je pense que le Poinçon de Genève confère une énorme légitimité à notre travail - de par sa difficulté à l’obtenir - et pas seulement sur ce mouvement-là, car c'est notre troisième mouvement estampillé de ce sceau.

Travailler pour une marque qui ne possède pas de riches archives horlogères contrairement à d’autres, rend-elle les choses plus faciles ou plus difficile ?
C'est un peu des deux. Parfois, cela peut être un handicap, car étant si nouveau sur la scène horlogère, trop peu de gens nous connaissent et tout le monde attend de voir ce que nous allons faire. Et il faut le faire bien, parce que quand Louis Vuitton crée des parfums, il le fait bien. Et quand Louis Vuitton fabrique des montres, il le fait bien. Ainsi, nos concurrents nous attendent au tournant, parce que Louis Vuitton exige l'excellence dans tous les domaines. Nous devons être audacieux, créer des pièces exceptionnelles, belles et séduisantes. 

Ceci dit, c'est aussi un gros avantage. Le monde nous est ouvert et nous pouvons nous permettre de faire plus et de créer des pièces audacieuses car rien ne nous lie au passé. Cela ne signifie pas que nous n'avons pas de codes esthétiques ; nous en avons, bien sûr, que nous suivons tout en respectant l'horlogerie traditionnelle. Mais nous pouvons nous permettre de fabriquer une World Timer, aussi bien qu’une montre qui fonctionnerait à l'envers, si nous en avions envie. Il y a tant à faire ! C'est un magnifique défi que j’ai beaucoup de plaisir à relever.

Quel est l’aspect de votre travail que vous préférez chez Louis Vuitton ?
Bien que je passe moins de temps à mon établi d'horloger que je le souhaiterais, je dois avouer que deux choses me plaisent tout particulièrement. Premièrement, le contact avec le client est extrêmement utile, et deuxièmement, bien que Louis Vuitton n'ait pas de patrimoine horloger, les archives sont une énorme source d'inspiration pour tout le reste de ses activités. Je suis une personne naturellement curieuse, et j’aime parler aux clients et aux collectionneurs et partager avec eux ce que nous faisons. Mais j'aime aussi apprendre à les connaître et souvent nos conversations m’inspirent des idées. 

Et puis Louis Vuitton est aussi l'un des meilleurs pour le travail du cuir et la réalisation des malles. Nous avons pu visiter leur manufacture de malles ; tout y est fait à la main avec un énorme savoir-faire artisanal. A cet égard, c'est la même chose que l’horlogerie. J'adore leur rendre visite à Paris, c'est inspirant !

Le créateur du temps

Comment voyez-vous le futur de Louis Vuitton horlogerie ?
On me pose souvent cette question (rires). Concernant l'avenir de l'horlogerie, je ne pense pas qu’il faille avoir peur des montres connectées, comme ce fut le cas. Les montres connectées sont juste d’autres choses à porter au poignet, et je ne pense pas que cela dévalorise notre travail. Après tout, nous avons aussi une Tambour connectée. 

Au contraire, je pense qu'elles peuvent habituer les jeunes à porter quelque chose au poignet - le téléphone donne l'heure, et on pourrait simplement utiliser cela. Mais les montres connectées les habituent à avoir l'heure au poignet, et peut-être se tourneront-ils alors vers quelque chose d'autre, de plus mécanique, pour les futures montres. Il y a de la place pour les deux sur le marché. 

Pour la haute horlogerie de Louis Vuitton, nous avons beaucoup d'idées et de projets en cours. Nos horlogers travaillent déjà sur des pièces pour 2023-2024. Et je suis enthousiaste à l'idée de continuer à être créatif.

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