Quels prochains défis pour l’horlogerie ?

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The Next Challenges for Watchmaking? - Challenges
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Quels sujets font actuellement bouillir les neurones des horlogers, pour les 3 à 5 ans à venir ?

L’horlogerie ? Un paradoxe ! Voire un milieu schizophrène. Avec d’un côté un secteur éminemment conservateur, qui s’échine à produire des objets totalement inutiles, hors de prix, et dont les lignes directrices demeurent inchangées depuis...deux siècles. De l’autre, une industrie de pointe, dotée d’une expertise micro-technique hors norme, avec une capacité d’innovation concentrée sur deux centimètres carrés et qui laisse pantois.

L’horlogerie du XXIe siècle, c’est donc cela : résoudre des problèmes qui n’intéressent personne et que, pour la plupart, elle se crée elle-même. Et pourtant...

Sortir de sa réserve

Et pourtant, la montre existe et il faut bien la faire vivre. Comment ? C’est la question que se posent, principalement, les responsables de Recherche et Développement. Et leurs chantiers ne manquent pas.

Le premier est l’un des plus évidents, et pourtant l’un des moins considérés : la réserve de marche. Il y a 30 ans, Longines, Tissot, parmi d’autres, avaient déjà en catalogue des pièces avec 5 jours de réserve de marche. Certes, leur chronométrie pouvait laisser à désirer, mais l’effort était là, et le résultat également.

Depuis, tout s’est écroulé. La réserve de marche est une victime collatérale de l’hyper standardisation – celles des « bases ETA » qui, entres autres, ont opté pour une limite à 42h dont la dissémination a fini par en faire un standard de facto.

Aujourd’hui De Bethune, Hublot, Chopard, Tissot, Bovet, sont des marques coutumières des 4 à 5 jours de réserve de marche, voire plus. Pour le reste, c’est-à-dire l’écrasante majorité de la production mondiale, il est urgent d’apporter des réserves de marche qui doublent les 42h habituelles. Car rien de sert d’apporter au client une ultra-précision si la montre qu’il a remontée le lundi matin s’arrête le mardi après-midi...

Quels prochains défis pour l’horlogerie ?

S’échapper de l’échappement

Autre grand chantier : l’échappement, cœur battant de la montre. A ancre suisse, il a été conçu il y a deux siècles. Or, depuis, d’innombrables alternatives ont été inventées. La plus disruptive : l’hybride quartz / mécanique. En 1999, Tissot inventait déjà l’Autoquartz, avec 100 jours de réserve de marche ! Ce fut un échec commercial : le client de l’horlogerie suisse est trop conservateur. Il faudra donc attendre l’avènement d’un acteur non Suisse (Grand Seiko, japonais) pour imposer, de l’extérieur, un équivalent qui ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation (le Spring Drive).

Quels prochains défis pour l’horlogerie ?

Durant les 25 dernières années, les maisons suisses ont donc travaillé à des échappements sans ancre, et ces travaux doivent être poursuivis pour sortir de l’ornière de la tradition (pour rappel, un échappement à ancre suisse n’offre, en la plupart des cas, qu’un rendement énergétique de 30% à 40%). Les travaux de Girard-Perregaux (Constant Escapement), Armin Strom (Résonance), Frédérique Constant (Monolithic), Vincent Calabrese (Calasys), Zenith (Defy Lab), Parmigiani Fleurier (Senfine) ou encore Greubel Forsey (Mechanical Nano) sont parmi les plus prometteurs. Et pourtant, trois d’entre eux sont à l’arrêt, deux sont encore au stade R&D. Ils aboutiront...sous réserve que le client final accepte de ne plus entendre le « tic tac » des palettes de son ancre suisse !

Quels prochains défis pour l’horlogerie ?

La montre, trop « compliquée » ?

Quelques voix s’élèvent, complètent, rectifient. « Avant d’inventer de nouveaux échappements, on peut déjà aller beaucoup plus loin avec l’existant. Rien qu’en travaillant sur l’angle de palette, nous avons gagné 20% de réserve de marche », explique Denis Flageollet, tête pensante de l’horlogerie De Bethune. « Il faut pousser le bouchon plus loin, réduire les frottements inutiles, travailler sur les inerties, améliorer l’usure des matériaux. Ce sont des petites choses qui n’intéressent pas le grand public mais qui permettront d’offrir des mouvements beaucoup plus performants, au bénéfice final du client. Car, au final, l’amélioration doit toujours être faite en gardant l’idée que la montre est portée. Chaque évolution de l’horlogerie doit être intégralement tournée vers le client ».

Quels prochains défis pour l’horlogerie ?

Mathias Buttet, chez Hublot, se rapproche de cette position, avec un angle alternatif : « Tout le monde cherche la nouvelle complication qui fera date, mais je pense que l’on a fait le tour. Certaines choses récentes pouvaient même être puériles, au mieux inutiles. Je pense qu’il faut remettre de l’animation au cœur de la montre. Pourquoi pas de la 3D ? De la poésie, c’est certain. Évidemment, une animation consomme beaucoup d’énergie, mais c’est un problème que nous, les horlogers, savons résoudre. Il y a 25 ans, j’avais développé un mouvement avec 31 jours de réserve de marche chez Jacob & Co, puis 14 jours chez Vacheron Constantin. Aujourd’hui, nous avons le record absolu chez Hublot pour une montre bracelet, avec 50 jours. Disposer d’une bonne réserve d’énergie dans une montre, on sait faire, ce n’est pas le problème. Toute la question est de savoir quoi en faire de nouveau ! ». Et la boucle est bouclée : l’éternel chantier horloger reste...la créativité. 

Quels prochains défis pour l’horlogerie ?