Royal Oak: histoire d'une montre à huit vies

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Royal Oak, the watch with eight lives - Audemars Piguet
Bien qu’ayant été dessinée à la hâte et lancée pendant la pire crise que l’horlogerie traditionnelle ait jamais connue, la Royal Oak octogonale d’Audemars Piguet est devenue une montre culte.

De fait, elle ne devrait même pas avoir vu le jour. La Royal Oak, la célèbre montre-bracelet octogonale d’Audemars Piguet, est née dans un monde qui n’en voulait pas, ne la comprenait pas et a choisi de l’ignorer. Bien qu’il soit difficile aujourd’hui de l’imaginer, il a fallu quatre longes années à Audemars Piguet pour vendre le premier millier de Royal Oak. Dans ses très nombreuses déclinaisons, la montre qui a aidé à définir une génération se vend à présent en autant d’exemplaires chaque mois.

Les explications de sa survie résident dans le genre de curieuses anecdotes dont l’industrie horlogère a le secret.

Sa naissance fut plutôt chaotique. En 1971, à 16 heures, la veille de la foire horlogère de Bâle, le directeur d’Audemars Piguet de l’époque, Georges Golay, passe un coup de fil à Gérald Genta. Depuis 20 ans déjà, Genta travaillait en indépendant pour la marque en tant que « styliste de montres », avant même que le terme « créateur de montres » ne soit apparu.
 

Royal Oak: histoire d'une montre à huit vies


Golay lui confie la mission de créer une montre pour le marché italien – pour le lendemain. Les Italiens, explique-t-il , souhaitent une montre de sport luxe, un modèle qu’ils peuvent porter aussi bien sur les plages de Capri que dans ses restaurants chic.

Genta passe une nuit blanche d’anthologie, et le lendemain matin, il présente son dessin à Golay. La montre octogonale de ses premiers dessins s’inspire des casques de scaphandres traditionnels – et les Italiens adorent ! Une année plus tard, Audemars Piguet lance la première Royal Oak à Bâle.

Alors que le dessin de 1971 lui-même a un petit air de gribouillis sur un coin de nappe, la stratégie commerciale accompagnant son lancement en 1972 semble encore plus aléatoire. Non seulement la Royal Oak est incroyablement chère pour l’époque, mais elle est également façonnée en acier, une matière industrielle que peu de gens associaient au monde du luxe…

Elle coûte la bagatelle de CHF 3’650 (l’équivalent d’à peu près CHF/US$ 10'000 ou £6'500 de nos jours), ce qui en fait tout simplement la montre sport en acier la plus chère jamais proposée. À titre de comparaison, une Rolex Submariner coûte environ CHF 1'000 à cette même époque.
 

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Le boîtier est taillé dans un seul bloc d’acier afin d’en améliorer son étanchéité. Le développement de la production de boîtiers monobloc en est encore à ses balbutiements – un peu comme le carbone, autre matière actuellement plébiscitée par Audemars Piguet – et donc assez cher. Cela nous semble improbable aujourd’hui, mais Audemars Piguet produit les prototypes de la Royal Oak en or blanc parce que c’est moins onéreux!

La montre est également grande par rapport aux tendances de l’époque. Avec ses 39mm et tout en angles et sa lunette massive octogonale, elle semble gargantuesque à côté de bon nombre de modèles à trois aiguilles nettement plus modestes alors sur le marché. Le look « industriel » se poursuit dans les vis de lunette bien visibles et le bracelet acier articulé qui ne cherche nullement à dissimuler les techniques derrière sa construction.

À côté de tout cela, la crise pétrolière se profile, le prix de l’or est en train de grimper à toute vitesse, et l’inflation handicape gravement l’économie globale. C’est une période d’austérité et les designs horlogers deviennent plus petits et moins ostentatoires, ce qui semble sans doute familier au public contemporain à la lumière des évènements des cinq dernières années.

Et puis, il y a le quartz. En 1972, la période désormais connue comme la Crise du Quartz est bien amorcée. Des technologies venues de l’Extrême Orient portent ombrage à l’industrie horlogère mécanique, et la Royal Oak, malgré son excellence mécanique, est tout sauf tendance…
 

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C’est alors que survient un renversement de situation inattendu. En 1974, le grand boss de Fiat et arbitre des élégances Giovanni Agnelli se fait remarquer avec une Royal Oak au poignet. La marque aime à raconter que cela a représenté le signal de confiance dont la montre avait besoin afin de convaincre une plus grande clientèle de l’adopter ; quoi qu’il en soit, elle vit alors un tournant radical au niveau de sa popularité et on connaît la suite…

En 1993, elle donne naissance à une montre sœur, la Royal Oak Offshore. Cette dernière, avec son diamètre de 43 mm et son boîtier bien plus massif, est un précurseur de la tendance des montres sportives masculine à grande taille qui vont dominer l’industrie jusqu’à récemment. Au SIHH 2013, la nouveauté phare d’Audemars Piguet était d’ailleurs une collection de modèles Royal Oak Offshore 20ème anniversaire.

En 2012, la Royal Oak a fêté son 40ème anniversaire, et Audemars Piguet a présenté un modèle extra-plat reproduisant le look de l’original en tous points, jusqu’au logo AP à 6 heures. Comme le dessin originel de Genta, il est également surnommé Jumbo et présente le même cadran bleu au motif tapisserie et la même finition en acier brossé. Il lui manque également la trotteuse centrale de la série des automatiques d’Audemars Piguet.

Elle a été maintes fois imitée, sans doute avec le plus de succès par Genta lui-même, qui signait dans les années 1970 la Nautilus de Patek Philippe ainsi que l’Ingenieur d’IWC – toutes deux affichant un look plutôt fonctionnel. Les trois modèles sont très recherchés par les collectionneurs, mais il est raisonnable de conclure que la Royal Oak a été la clé de leur longévité collective.
 

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Se bonifiant avec l’âge, la Royal Oak est devenue une des grandes montres icônes. Un ami écrivain a récemment décrit la Royal Oak comme l’ultime carte de visite du gentleman racé et qui montre que celui-ci n’a nul besoin de complications ostentatoires pour afficher au monde sa réussite. S’il peut naturellement tenir de tels propos car il en possède une, j’aurais personnellement tendance à lui donner raison.

 

 

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