Avant l'industrie horlogère

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Before The Watch Industry - Editorial
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Les meilleures leçons sont souvent les plus difficiles à apprendre...

J'ai toujours été étonnée de voir que tant de marques horlogères suisses se distancient de leur côté industriel. Je veux dire, je comprends que les gens aiment cette idée romantique d'un vieux Suisse fabriquant des montres à la main dans un chalet alpin, mais soyons honnêtes, si c'était vraiment le cas, les montres coûteraient au moins cent fois plus cher qu'elles ne le sont déjà et personne ne voudrait les acheter. L'industrialisation de l'horlogerie suisse est une histoire fascinante ; le processus d'horlogerie industrielle lui-même est une chose magnifique à voir. Le récit du "fait main" doit compléter et non éclipser le récit de l'industrialisation, qui est une histoire remplie d'ingéniosité et d'efforts. En outre, il n'a pas été facile pour l'industrie horlogère suisse d'arriver là où elle est aujourd'hui. Nous rendrions un très mauvais service à l'ensemble du monde de l'horlogerie et nous déshonorerions son histoire, si nous persistions dans cette représentation biaisée d'une approche entièrement artisanale de l'horlogerie.

Vous devez savoir qu'avant 1870, le paysage horloger suisse pouvait être caractérisé comme un réseau lâche d'entités spécialisées discrètes. Il y avait les ébaucheurs, les emboîteurs, les cadraniers, les artisans qui travaillaient exclusivement sur les aiguilles, les artisans qui se concentraient uniquement sur la finition. Il y avait les établisseurs, qui effectuaient l'assemblage final des mouvements, ou les cabinets, qui étaient des ateliers employant des personnes (appelées cabinotiers) pratiquant l'horlogerie et ses métiers connexes. Les ouvriers qui partageaient une compétence particulière étaient organisés en guildes, pour accroître leur économie et sa protection, mais c'était à peu près la seule chose qui ressemblait à des entreprises ou institutions horlogères intégrées.

Cela ne veut pas dire que des organisations plus importantes n'existaient pas. Il y avait des fabriques d'ébauches, comme Japy Frères en France et la Fabrique d'Horlogerie de Fontainemelon (l'une des pierres angulaires du colosse moderne qu’est ETA, le fabricant de mouvements). Juste de l'autre côté de la frontière suisse, à Ferney, il y eut l'éphémère commune usinière créée par Voltaire, mais il s'agissait de l'exception plutôt que de la règle. Même si la révolution industrielle modifia de façon permanente le paysage économique et social de l'Europe, l'horlogerie suisse resta presque exactement comme elle l'avait toujours été, avec des guildes fortes et des systèmes bien établis qui résistèrent au tsunami de la mécanisation.

Au cours des 30 dernières années du 19e siècle, deux événements eurent lieu, brisant le conservatisme du monde horloger suisse et déclenchant le moteur de la réforme. Tout d'abord, il y eut l'Exposition universelle de 1876 à Philadelphie. Il s'agit d'une démonstration stupéfiante de la puissance industrielle des États-Unis. La délégation suisse fut profondément ébranlée par la capacité des entreprises horlogères américaines à surpasser leurs homologues helvétiques. Les Américains firent mordre la poussière à leurs concurrents en produisant des montres en plus grand quantité, plus rapidement, à moindre coût et - ce qui fut le plus difficile à avaler pour les Suisses - avec de meilleures performances.

L'antipathie que les horlogers suisses avaient jusque-là manifestée à l'égard de l'industrialisation et de la mécanisation s'évanouit rapidement face à cette menace existentielle. La Société Intercantonale des Industries du Jura (l'actuelle Fédération de l'industrie horlogère suisse), une organisation créée pour sauvegarder les intérêts de l'horlogerie suisse, prit en main les efforts de réforme.

Le deuxième événement fut l'Exposition universelle de 1893, également connue sous le nom d'Exposition universelle de Chicago. Déterminé à ne pas se laisser distancer par les autres pays, un contingent suisse revigoré arriva, les armes à la main. Ils n'apportèrent avec eux que les meilleurs instruments de mesure du temps fabriqués en Suisse, convaincus que leur succès était une question de fierté suisse. La foire permit de rétablir la réputation de l'horlogerie suisse en tant que leader mondial. Un des effets secondaires fut qu’on donna raison à leurs nouvelles directives industrielles, balayant ainsi les objections des derniers résistants de Terra Helvetia.

En d'autres termes, ce fut à la fin du XIXe siècle que l'horlogerie suisse commença à se comporter comme une industrie.

L'une des personnalités clés impliquées dans ce changement radical fut Jacques David, le directeur technique de Longines, qui visita l'exposition universelle de Philadelphie en 1876. À son retour, il rédigea un rapport de 108 pages sur ses découvertes. Ce rapport comprenait ses observations sur les usines horlogères américaines, leurs processus de production, leurs systèmes de contrôle de qualité et les pratiques de la chaîne d'approvisionnement. Il conclut en recommandant aux horlogers suisses de se moderniser rapidement afin de rester pertinents sur la scène internationale. En tant que membre de la Société Intercantonale des Industries du Jura, Jacques David pu influencer un grand nombre de grands esprits avec son rapport, et Longines fut l'une des premières entreprises à adopter une approche totalement moderne et industrialisée.

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Cette histoire n'est pas assez racontée, mais de temps en temps, j'aime l'évoquer durant les cours d’histoire du Collège WorldTempus. J’ai bien peur qu'il y ait un test, mais je vous assure que les questions ne sont pas difficiles et que le prix vaut bien les 10 minutes de lecture que avez dû faire. Et même si vous n'obtenez pas les meilleures notes, la connaissance sera votre propre récompense.

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