L'Italie, une longue tradition horlogère

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Des horloges astronomiques aux pendules nocturnes, en passant par les Jacquemarts de Venise et d'ailleurs...

par Arnaud TELLIER

L'Italie, berceau de la Renaissance, connut une forte activité horlogère entre le début du XIVe et la fin du XVIIe siècle. Les horloges astronomiques y étaient très prisées. La plus célèbre d'entre elles est l'Astrarium de Giovanni de'Dondi (1318-1389). Achevée à Padoue en 1364, après seize années de travail, sa construction nous est relatée dans des manuscrits rédigés entre 1380 et 1389, l'Opus Planetarium et le Tractatus Astrarium. Cette horloge a été décrite avec tant de détails par son auteur qu'il a été permis d'en exécuter des reconstitutions fonctionnant parfaitement. C'est également la première illustration connue d'une horloge mécanique.


Leonardo da Vinci (1452- 1519), génie universel, qui explora toutes les branches des arts et des sciences, nous a laissé dans ses différents écrits d'admirables dessins des divers composants des montres et horloges; notamment dans le Codex I (1492-1497), le croquis d'une fusée et dans le Codex M3 (1497-1499), celui d'un stackfreed. Ce sont les premières représentations des organes de régulation de la force motrice d'un garde-temps.

La galerie des automates


Non moins érudit et tout aussi impressionnant: les automates. Véritable héritage de l'Antiquité, conservé par le monde Arabe et transmis par Byzance, ils fleurirent en Italie entre le XIVe et le XVIe siècle, avant de se propager à travers le reste de l'Europe. L'automate trouve dans l'horlogerie monumentale une de ses expressions privilégiées sous la forme des «Jacquemarts». Ces androïdes mécaniques destinés à ponctuer le temps sont tout d'abord représentés sous la forme de saints ou d'apôtres, illustrant l'ancien et le nouveau testament, placés au fronton des cathédrales gothiques comme à Strasbourg ou Munich. Ils apparaissent ensuite de façon profane au sommet des tours dominant les places publiques; les deux maures de la tour de l'horloge astronomique de Venise en sont les plus célèbres représentants. Certains fonctionnent encore depuis plus de cinq siècles: à Venise, Strasbourg ou Dijon.


En 1580, Michel Eyquem (1533- 1592) seigneur de Montaigne, dans son Journal de voyage en Italie, décrit avec admiration le spectacle des oiseaux artificiels et des jeux hydrauliques du Palazo Ferrare à Tivoli. La grotte merveilleuse de Pratolino près de Florence, les jardins du roi Roger de Sicile à Palerme, puis ceux des ducs de Bourgogne ou de Henri IV à Saint- Germain-en-Laye (imaginés par Thomas Francini) sont également agrémentés de personnages mobiles, d'animaux artificiels, de musique et de jets d'eau.

L'art de se montre


Il est aujourd'hui attesté à Enrico Morpurgo l'a démontré il y a quelques années à qu'à la cour de Mantoue, vers 1505, un certain Pietro Guido fut le premier à réaliser une montre. L'idée de réduire les petites horloges portatives à des objets d'apparat à porter sur soi en monstrance à d'où le terme de montre à était à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle dans l'air du temps, en Italie comme en Allemagne ou en France. Ceci n'est autre chose que la résultante de la miniaturisation progressive de l'horlogerie; en Allemagne du Sud, la région de Nuremberg et Augsbourg y apportant les prémices d'un caractère industriel. Le professeur Morpurgo, à l'aide de documents iconographiques, avance même la date de 1460 pour la naissance de la montre dans l'Italie du nord.


Quelques grands horlogers s'illustrèrent au XVIe et XVIIe siècle. Citons entre autres, vers 1620, Giovanni Batista Mascarone de Milan et ses montres astronomiques.


Il est également utile de rappeler la découverte de la loi de l'isochronisme des oscillations du pendule par le florentin Galileo Galilei (1564-1642) et le fait qu'il aurait conçu une horloge munie de cet organe. Vincenzo, son fils, et Vincenzo Viviani, son disciple, nous ont laissé plusieurs dessins (1641-1659) de cette machine dont il semble qu'aucune n'ait été réalisée du vivant de Galilée. Fin 1656, le mathématicien hollandais Christian Huygens (1629-1695), travaillant de consort avec l'horloger Salomon Coster de La Haye, réalisa une horloge à pendule. Elle est aujourd'hui conservée à Leyde, au Boerhaaven Museum. Ce nouveau procédé apporta une amélioration spectaculaire de la marche des garde-temps. La précision de plus ou moins 15 minutes par jour passa à 10 ou 15 secondes. La diffusion de cette invention provoqua un véritable tollé lorsqu'on en prit connaissance en Italie. De vifs débats s'ensuivirent et Huygens fut accusé d'avoir plagié Galilée. Cette controverse historique, encore d'actualité, est sujette à de nombreuses publications depuis le XVIIe siècle.


Dans son traité Horologi Elementari (Venise, 1669), Domenico Martinelli nous explique une des caractéristiques de l'affichage de l'heure en Italie, à savoir: la division par 6 et non par 12 des cadrans des horloges et des montres. Il les appelle «horloges de 6 heures à la manière de Rome». Un procédé qui remonte aux temps médiévaux. Son origine semble venir de la tradition monastique de division du jour et de la nuit en rapport aux heures de prière; la journée débutant à midi. Courant dans toute l'Italie, sur les horloges du XVe au XVIIe siècle, cet affichage passa d'usage dans le nord de la péninsule au début du XVIIIe siècle avec l'adoption du temps duodécimal. Mais il fut d'un emploi régulier dans le centre et les parties méridionales de la péninsule jusqu'aux guerres napoléoniennes.



Pendules pour noctambules


La fin du XVIIe siècle vit l'apparition des pendules «nocturnes». Elles furent mises au point à Rome, par les frères Matteo, Pietro Tommaso et Giuseppe Campani, pour le pape Alexandre VII. Elles remplacèrent progressivement les horloges «lanternes », domaine où excellait entre autres, vers 1650-60, Camerini à Turin. Les pendules «nocturnes», chefs-d'àuvre richement décorés, étaient de véritables petits autels baroques souvent équipés d'échappements silencieux, d'où leur nom de Orologi della Morte. Elles permettaient la lecture de l'heure dans l'obscurité grâce à une bougie placée à l'intérieur de la pendule. Un disque ajouré des heures et de ses fractions tournait à la place des aiguilles, indiquant le temps par transparence. On alla même jusqu'à imaginer un système de projection des heures sur un mur. Outre celles réalisées par les Campani, citons aussi les pendules «nocturnes» de Giovan Pietro Callin de Gênes et de Ludovico Manelli de Bologne.


La fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle a vu l'émergence de vigoureux échanges entre Genève et l'Italie. Des maisons telles que Bautte & Cie, Vacheron Constantin ou les frères Wyss y exercèrent un commerce florissant, au même titre que la maison Breguet de Paris.


Les guerres napoléoniennes, suivies de l'arrivée des Bonaparte et des proches de l'empereur à la tête des états italiens à constituant la République cisalpine en 1797, devenue République italienne en 1801 puis Royaume d'Italie en 1805 à, contribuèrent beaucoup au développement des affaires de l'horloger Abraham-Louis Breguet et de son fils. Morcelée après les traités de 1815, dominée par l'Autriche qui s'attribue la Lombardie et la Vénétie, l'Italie accéda douloureusement à sa formation étatique (1859-1870). En partie grâce à Camillo Benso, comte de Cavour (1810-1861). Cavour était le ministre plénipotentiaire du roi de Piémont- Sardaigne Victor Emmanuel II (1820-1878). Celui-ci devint souverain d'Italie en 1861. Son fils Umberto Ier (1844-1900) lui succéda en 1878. L'Europe vit ainsi renaître une nation prospère.

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