L’avenir de l’homme est-il fait main ?

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Une exposition à Venise dédiée à l’artisanat d’art adopte une approche humaniste de la créativité.

Découvrir les différentes itérations de l’artisanat d’art moderne à travers l’oeuvre de quelques-uns des meilleurs artisans et créateurs d’Europe, tel est l’objectif de l’exposition Homo Faber: crafting a more human future [ndlr: 14 au 30 septembre] qui exploite cette « tendance unique » - pour reprendre les termes de Johann Rupert, Président du groupe de luxe Richemont – associant tout ce que « les êtres humains savent mieux faire que les machines ». 

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

Accessible rapidement avec un bateau-bus qui traverse la lagune depuis le Palais des Doges, Homo Faber est exposée jusqu’au 30 septembre à la Cini Foundation, située sur l’Île de San Giorgio Maggiore rattachée à Venise, dans le cadre d’une vaste exposition occupant 4000 m2 dans un monastère datant du XVIe siècle, comportant 16 pavillons et une piscine asséchée.

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

Lors du vernissage mercredi dernier (12 septembre), les visiteurs se sont émerveillés devant des objets finement ouvragés, allant d’un mouvement de montre miniature, à une Vespa au cuir rembourré, en passant par un bonsaï aux branches ornées de plumes, le tout formant un fantastique ensemble qui incite moins à se remémorer des souvenirs qu’à se plonger dans l’imagination débordante de l’homme guidé par ses mains ingénieuses qui viennent enrichir le secteur du luxe d’aujourd’hui.

Un maître en l’art de la miniaturisation

Dans le pavillon intitulé “Discovery and Rediscovery”, la maison horlogère Jaeger-LeCoultre, l’une des marques du groupe Richemont, démontre sa maîtrise de la micromécanique sur un stand consacré à l’histoire et à l’évolution du Calibre 101, le plus petit mouvement mécanique au monde.

Inspiré du légendaire mouvement Duoplan développé par Jaeger-LeCoultre en 1925, le Calibre 101 créé en 1929 mesure 14 mm de long pour 4.8 mm de large et seulement 3.4 mm d’épaisseur. « Les premières montres-bracelets intégraient un mécanisme de montre dans des bijoux pour femmes », explique Stéphane Belmont, Directeur du Patrimoine chez Jaeger-LeCoultre, présent sur place pour partager des anecdotes et quelques savoir-faire secrets. 

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

« L’élégance et la sophistication du début du XXe siècle ont incité à la création de plus petites montres qui présentèrent un certain raffinement dans lequel l’horlogerie joua un rôle secondaire en matière d’esthétique », confie M. Belmont.

Le mouvement miniature Calibre 101 a permis à Jaeger-LeCoultre d’intégrer une montre dans une bague portée au doigt ou une broche épinglée sur un revers, toutes deux exposées dans les vitrines de l’horloger. D’autres garde-temps historiques, tels que la montre à secrets Feuille avec son mécanisme insoupçonné, permettaient à celle qui la porte de transformer la montre en bijou à une période où regarder l’heure était perçu comme une attitude de mauvais goût.

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

« Le système de remontage du Calibre 101 est dissimulé pour affranchir le garde-temps des contraintes de l’horlogerie », déclare M. Belmont. « Ce fut une innovation esthétique de la part de Jaeger-LeCoultre. »

Une réédition de la montre Calibre 101, inspirée du modèle historique porté par la Reine Elisabeth II lors de son couronnement en 1953, ornait avec élégance le poignet de Catherine Reinier, la nouvelle CEO de la Maison, également présente le jour du vernissage.  

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

« Le Calibre 101 était un cadeau du président français Albert Lebrun à la Princesse Elisabeth, offert quelques années avant son couronnement en Angleterre », raconte M. Belmont. « Comme le protocole n’autorisait pas la princesse à porter une montre-bracelet à cette occasion, elle a porté sa discrète montre Calibre 101 comme un bracelet. »

Les horlogers et joaillers à l’honneur

D’autres marques horlogères de luxe sont également représentées au travers de l’exposition Homo Faber aux côtés de Jaeger-LeCoultre.

Vacheron Constantin dispose d’un artisan sur place pour faire une démonstration, sous l’œil attentif de Christian Selmoni, son Directeur Style et Héritage, de l’art de l’émaillage et de la magie avec laquelle, après une multitude de couches de couleurs et des cuissons successives, une scène tirée d’une peinture de Tintoretto est transposée sur un cadran de montre émaillé.

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

Juste à l’extérieur du pavillon “Discovery and Rediscovery” est amarré sur l’île le magnifique Eilean restauré. Ce voilier construit par les Écossais en 1936 et acquis en 2006 par l’horloger italien Officine Panerai, accueille les visiteurs à bord pour admirer l’artisanat avec lequel il a été remis à neuf par les artisans du chantier naval Francesco Del Carlo situé à Viareggio, en Italie. En tant qu’ancien fournisseur d’instruments de plongée et de garde-temps professionnels pour la Marine italienne, Panerai a équipé l’Eilean de nouveaux instruments de navigation, à savoir une horloge murale, un baromètre et un chronomètre de marine, spécialement commandés dans le cadre du projet de restauration. 

Van Cleef & Arpels présente, quant à elle, l’art du Serti MystérieuxTM des pierres précieuses sur des rails.

Chanel est représentée par sa brodeuse attitrée, la Maison Lesage, à l’origine de certains des cadrans de montres de la maison de couture relevant des métiers d’art les plus complexes. Sur le stand Lesage, les visiteurs ont la possibilité de prendre un bref cours de couture donné par un artisan de chez Lesage et d’apporter ainsi leur pierre à l’édifice d’une grande vue aérienne de Venise réalisée sur une toile étendue.

En faveur de l’éternel

De la mécanisation à l’industrialisation, à l’intelligence artificielle, les machines ont menacé l’homme en diminuant sa charge de travail. Cette évolution à double tranchant, dont le danger est peut-être nulle part ailleurs autant visible qu’à Venise, où la plupart des artisanats locaux, tels que le travail du verre à Murano, ont pratiquement disparu, balayés par la production de masse, ainsi que par les biens fabriqués en Chine puis vendus dans tous les magasins disséminés sur les îles. Bien que les habitants de la région affirment que la plupart des arts ancestraux de Venise existent encore aujourd’hui, ils se sont majoritairement retirés dans des salles d’exposition à l’étage et ne disposent plus de devanture.

Pour de nombreux artisans exerçant des savoir-faire ancestraux, « fait main » ne signifie pas renoncer à l’utilisation d’outils sophistiqués.

« Ce qui a forgé la réputation de Jaeger-LeCoultre et celle de l’horlogerie suisse, c’est que nous avons toujours inventé des machines visant à produire des composants utlra-précis pour fabriquer des garde-temps plus fiables et pouvant être réparés », estime M. Belmont. « Nous tirons profit du meilleur de la modernité pour créer des objets traditionnels qui reflètent notre capacité d’innovation. »

Contrastant avec la beauté intemporelle de Venise, l’exposition Homo Faber mise sur pied par la Michelangelo Foundation for Creativity and Craftsmanship, une institution privée à but non-lucratif basée à Genève et fondée en 2016 par M. Rupert et Franco Cologni, un ancien dirigeant de Richemont, vise à préserver l’artisanat et à recruter du sang frais pour les savoir-faire en danger.

L’avenir de l’homme est-il fait main ?

« Nous avons choisi Venise non seulement parce que c’est un des bastions de la culture, ainsi qu’un lieu d’une beauté inégalée », précise M. Cologni, Co-Fondateur de la Michelangelo Foundation, « mais aussi parce que Venise reste, comme elle l’a été au cours de son histoire, un lieu de rencontres et d’échanges internationaux ».

La journée radieuse de mi-septembre sur l’Île San Giorgio Maggiore était un début prometteur pour un événement qui devrait devenir une biennale et transformer Venise, conjointement avec les biennales sur l’art contemporain et l’architecture qui se tiennent également ici, en une destination de référence en matière d'art et d'artisanat.  

« Nous célébrons tout ce qui n’est pas éphémère », a déclaré Alberto Cavalli, un des directeurs exécutifs de la Michelangelo Foundation et le commissaire principal de l’exposition Homo Faber, dans son discours d’ouverture. « Et sur ce, nous vous souhaitons une bella giornata. »