Au chevet de l'Altiplano

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L'horloger genevois finance depuis deux ans le déploiement d'outils de télémédecine en Bolivie.


Tribune des Arts, octobre 2012


Jean-Daniel Sallin

 

En partenariat avec les Hôpitaux universitaires de Genève et la Fondation Artères, l'horloger genevois finance depuis deux ans le déploiement d'outils de télémédecine en Bolivie. Le point de la situation.

 

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Alors qu'il fait défiler des images de la Bolivie sur son écran d'ordinateur, Charles Chaussepied, directeur conseil chez Piaget, plante le décor. Et enchaîne les anecdotes. Ce voyage n'avait pourtant rien d'un circuit touristique sur le plateau andin. En avril dernier, il a en effet accompagné le professeur Antoine Geissbuhler sur l'Altiplano pour suivre l'installation d'un réseau de télémédecine dans la région d'Uyuni.

L'Altiplano... Depuis 1998, ce nom est étroitement lié à l'horloger suisse. Depuis la naissance de cette montre au mouvement extra-plat à remontage manuel, mesurant 2,15 mm d'épaisseur, inventé et manufacturé par Piaget. Cette collection est devenue l'une des six familles iconiques de la marque. Il y a deux ans, Philippe Leopold-Metzger, CEO de Piaget, a donc tenu à rendre à l'Altiplano, le vrai, ce qu'il a donné à la maison horlogère. “Nous nous sommes mis en quête d'un projet humanitaire ou écologique dans cette région”, explique Charles Chaussepied. Ça ne manque pas! Membre du Rotary, il finit cependant par assister à une conférence d'Antoine Geissbuhler, médecin aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), sur son projet de télémédecine au... Mali. Banco!


Taux de mortalité élevé

“Il y a plusieurs formes de télémédecine”, reprend Charles Chaussepied. “Il y a celle qu'on développe à l'interne et qui permet d'afficher les données d'un malade au-dessus de son lit. Il y a aussi la ‘bourgeoise' qui consiste à se faire opérer, via un robot, par un spécialiste à l'autre bout de la planète. La télémédecine défendue par le professeur Geissbuhler sert à rapprocher un diagnostic des patients.” Sur l'Altiplano, à plus de 3500 mètres d'altitude, les conditions de vie sont en effet difficiles. Il y a peu de routes. Le trafic aérien reste chaotique. Et le taux de mortalité est plutôt élevé. “À cause des problèmes de circulation sanguine, on meurt très jeune dans cette région: l'espérance de vie dépasse rarement les 50 ans”, précise le directeur. “Tout est loin, tout est compliqué... Avec ce projet, nous cherchons à réduire ce taux de mortalité et à améliorer la santé de la population.”

 

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Depuis deux ans, Piaget finance donc le projet RAFT. Par le biais de la Fondation Artères. L'objectif? Relier les hôpitaux principaux de La Paz et de Potosí aux villages plus isolés de l'Altiplano. Équipés d'un ordinateur, d'une borne wi-fi, d'un échographe et d'un appareil photo digital, docteurs et infirmières ont alors toute latitude de demander des conseils à leurs homologues citadins en cas de doute. Chaque diagnostic sera avalisé (ou pas) chaque soir. “C'est un réseau très simple à mettre en place”, précise Charles Chaussepied. “Mais, surtout, nous tenons à travailler en collaboration avec les autorités locales. À chaque fois, nous prenons la peine de les rencontrer et de leur expliquer que nous ne sommes pas là pour prendre leur place: nous nous servons seulement de leurs structures et nous cherchons à les améliorer.”


10 000 francs par station

Le professeur Geissbuhler n'est pas un missionnaire: il ne force personne à se familiariser avec cette technologie de pointe. “Il y a deux médecins, au bord du lac Titicaca, qui ont refusé d'être équipés”, reprend Charles Chaussepied. “Ils ont le sentiment d'être suffisamment formés pour établir eux-mêmes leurs diagnostics.” En revanche, le projet s'appuie sur deux coordinateurs locaux pour assurer le suivi sur place. Titulaire d'un doctorat en santé publique, passé à Genève, Alejandro Vargas se charge de former ses confrères à la télémédecine. De son côté, Reynaldo Vargas – qui n'a aucun lien de parenté avec le premier – s'occupe de l'aspect informatique.

“Ce ne sont pas les mêmes salaires qu'à Genève”, relève Charles Chaussepied. “Dans cette région, un médecin gagne environ 1200 francs par mois.” Chaque station de télémédecine ne coûte d'ailleurs “que” 10 000 francs. Voyage et formation inclus. “Pour l'instant, nous avons investi 85 000 francs pour la première année et 120 000 francs pour la deuxième. Nous allons poursuivre dans cette voie en 2013. Mais, à terme, et c'est là toute l'intelligence du projet, le gouvernement sera invité à prendre en charge la gestion du système. C'est ce qui s'est passé au Mali et ça fonctionne très bien...”

 

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Approchés par le Pérou

La télémédecine est forcément amenée d'ailleurs à se développer en Amérique latine. En tout cas, elle ne manque pas de séduire les pays voisins de la Bolivie. Pendant deux jours, à La Paz, un premier congrès international sur le sujet a ainsi réuni plus de 200 personnes venant de l'Argentine, du Venezuela ou du Chili. “Nous avons été officiellement approchés par le Ministère de la santé, au Pérou, pour y financer un projet similaire”, confie Charles Chaussepied. “Pour l'instant, même si M. Leopold-Metzger rêve d'avoir l'exclusivité sur l'Altiplano, nous n'avons pas donné suite.”

Piaget ne laissera pourtant pas tomber le professeur Antoine Geissbuhler dans ce dossier chaud bouillant, puisqu'il l'a mis en relation avec d'autres marques du groupe Richemont. Avec le secret espoir de trouver un mécène susceptible de s'intéresser à la problématique péruvienne. Cela débouchera-t-il sur du concret? Il est encore trop têt pour le dire. Mais l'Altiplano n'a jamais paru aussi connecté au reste du monde...

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