Un monde, une heure

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One World, One Time - Editorial
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La voie vers le temps universel.

A mon retour en Suisse après d’excellentes vacances de Noël auprès de ma famille (que je ne vois qu’une fois par année en ces temps compliqués), j’ai dû faire un voyage en train inhabituellement long entre Zurich et Genève, un trajet qui dure normalement un peu plus de trois heures. N’importe quel autre jour, un voyage de 6 heures à travers la magnifique campagne suisse ne semblerait pas vraiment désagréable, mais comme je venais d’effectuer un vol de 13 heures et que j’avais de nombreux bagages, j’ai vu les choses différemment. Confortablement installée dans mon train (quoique d’humeur un peu grincheuse), je contemplais le paysage vallonné de Fribourg et je réfléchissais à la façon dont les incidents ferroviaires ont modulé la manière dont nous appréhendons le temps, particulièrement l’heure standard et les fuseaux horaires.

Avant le milieu du 19ème siècle des villes différentes conservaient toutes leur propre heure locale, déterminée par le midi solaire à leur emplacement géographique. Cela signifiait que des villes séparées de plus de quelques degrés de longitude présentaient des différences significatives en heure locale. Par exemple, Zurich étant à 2,3985 degrés de longitude plus à l’est que Genève, le midi solaire (lorsque le soleil est à son zénith, malgré le ciel couvert en hiver) se produit 9 minutes et 35,64 secondes plus tôt à Zurich qu’à Genève. C’est déjà assez ennuyeux d’essayer de coordonner les heures pour les rendez-vous sur Zoom : imaginez si nous n’avions pas de fuseaux horaires standardisés et devions prendre en compte de petites différences d’heure comme celle-ci. Inconvénients mis à part, il est facile de voir comment ce manque de standardisation de l’heure pourrait conduire à des conséquences encore plus sérieuses.

En 1853, une catastrophe ferroviaire s’est produite aux Etats-Unis lorsque deux trains roulant l’un vers l’autre sur la même voie sont entrés en collision car les montres de leurs contrôleurs respectifs étaient réglées sur des heures différentes. Cet accident a fait 14 victimes. Après cette tragédie, les horaires des trains ont été élaborés selon une seule référence horaire et la General Time Convention a été établie : une commission réunissant les différentes compagnies de chemins de fer des Etats-Unis afin de mettre en œuvre un horaire des trains commun à tout le pays.

Plus de vingt ans plus tard, en 1876, l’ingénieur des chemins de fer canadiens Sandford Fleming voyageait en Irlande et il rata le train à cause d’un horaire mal imprimé, indiquant « pm » au lieu de « am » après les heures listées. Légitimement agacé par cette erreur qui le forçait à passer la nuit coincé dans une gare, l’idée lui vint de diviser le monde en 24 fuseaux horaires basés sur une horloge de 24 heures et il défendit ce système avec ferveur lors de plusieurs conférences. Fleming fut un personnage central dans l’organisation de la Conférence internationale de Washington en 1884 lors de laquelle le système de temps universel fut adopté.

Au début, le système central de référence de l’heure a connu des résistances à travers le monde. Déjà en 1840, les compagnies de chemins de fer en Grande Bretagne avaient tenté de mettre en place un système standard basé sur l’heure de Londres, mais plusieurs villes refusèrent d’adopter « l’heure du train » car elles n’aimaient pas qu’une autorité centrale leur dicte leur conduite (ça vous rappelle quelque chose ?) même si cela donnait naissance à un système national mieux régulé et plus efficace. Pourtant, finalement, les pays du monde entier ont saisi l’importance d’adopter un temps unifié, créant ainsi le système conventionnel que nous avons aujourd’hui.

Cela me donne des raisons d’être optimiste lorsque je réfléchis à la façon dont le genre humain a toujours été capable de tirer les leçons d’événements malheureux pour créer de meilleurs systèmes pour le futur. Cela ne semble pas le cas en ce moment, alors que nous continuons à traverser une pandémie mondiale qui a largement prolongé son séjour (et qui n’avait jamais été invitée d’ailleurs…), mais tout comme les trains de Zurich à Genève, nous finirons par arriver à bon port, en dépit de tous les obstacles.

Prenez soin de vous et soyez prudents, chers membres de la famille WorldTempus !