Les millenials n'existent pas. Je le sais, je les ai rencontrés !

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Millennials don’t exist. I know, I’ve met them! - Editorial
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Catégorie floue et fourre-tout, on nous bassine avec les millenials comme s'ils représentaient la bouée de sauvetage de toute l’horlogerie. Or, il se pourrait qu'on nous ait pris pour des truffes.

Le millenial est partout. C'est votre neveu, la fille de votre voisin, le livreur d'Uber Eats qui vous livre votre Pad Thai froid avec 20 minutes de retard. Mais c'est aussi l'archétype du client qu'il faut absolument cibler pour avoir un avenir. On résume, il est né entre 1980 et 2000, il consomme, il est engagé dans son acte de consommation qu'il infuse de considérations éthiques et en particulier écologiques, il est nonchalant, il a un pouvoir d'achat de dizaines de milliards de dollars à l'échelle planétaire. En clair, ce caméléon aux contours extrêmement lâches marche sur l'eau. Le millenial, c'est un peu la pierre philosophale de l'horlogerie de luxe. Il transforme tout ce qu'il touche en or...même s'il ne touche à rien. C'est l'accès supposé à cette clientèle qui a fait qu'une société de montres bas de gamme comme MVT se soit vendue 100 millions de dollars au groupe Movado pour un chiffre d'affaires de...17 millions de dollars. Et encore, avec la promesse qu'il remettra la main au portefeuille en cas de succès. 

Or, il faut arrêter de se voiler la face et d'écouter tout ce qu'on raconte. Le millenial n'existe pas. Pas plus que la génération X ou Z, le bobo, le yuppie, le dink et le métrosexuel. Derrière ces concepts vastes et vagues se dissimule une industrie de donneurs de leçons, d’identifieurs de tendances, qui renouvellent sans cesse leur discours. Ils font tourner une machine à englober, à forcer le trait, à ranger derrière un mot qui claque des gens dont on prétend qu'ils claquent de l'argent. Les écouter, reprendre leur refrain, est au mieux une paresse de l'esprit. Au pire, une certitude que le monde est divisé en quelques petites catégories. C'est ce constat un rien énervé que fait notre confrère Vincent Cocquebert dans millenial Burn-out, un livre sorti mi-février aux éditions Arkhê.

Parce que quand même, il faut se calmer. On ne va pas nous faire croire que des gens qui en sont au mieux à leur premier job représentent une masse de pouvoir d'achat capable de faire pencher la bascule de l'horlogerie de luxe, où le seuil d'accès se situe environ à 1000 €. Sans compter le nombre de marques qui veulent toucher cette clientèle et qui facturent le triple comme premier prix. Leurs parents sont riches ! Ils peuvent se faire offrir la montre, rétorquez-vous. Non, ce n'est pas ce qu'on nous dit. Ils achètent en ligne (mais c'est un canal de vente négligeable dans l'horlogerie). Ils font leurs propres choix (vu comme ils se scrutent sur Instagram et les effets d’entraînement qui ont fait exploser la cote de marques comme Balenciaga, Gucci ou Supreme, on en doute). Ils se renseignent à fond sur internet (et ils achètent des Apple Watch qu'ils vont jeter dans 6 mois ? Belle démonstration d'analyse). Ils sont soucieux de l'environnement (dans quelques pays développés, oui, mais dans les pays où la course à l'aisance fait vibrer des milliards d'individus, comme la Chine, ou l'Inde, pas trop).

A nouveau, déboussolées par ces difficultés commerciales, les marques horlogères sont tombées dans un panneau marketing. En plus, c'est une des plus vulgaires ficelles qui soit : le jeunisme ! A force de voir des sous-smartphones se vendre par millions sous prétexte qu'il y a une pomme dessus alors que leurs belles montres en métal traditionnelles et pleines de rouages sont à la peine, ils se sont dit qu'ils ne sont plus dans le coup. Qu'ils sont aussi ringards que le mot ringard. Qu'ils sont sortis du radar mental de toute une génération, sur toute la planète, de quelques centaines de millions d'individus, d'un coup d'un seul, comme un seul beau, gros bloc homogène.

Mais voilà, entre un confectionneur de poke bowl californien de 19 ans et un vendeur de pneus du Guangxi de 39 ans, il n'y a pas grand-chose de commun. Entre une Norvégienne végane tatouée qui vend des lattes à 55 Krn et un petit binoclard brésilien dont les parents financent à grand peine les études de mécanicien, aucun rapport (au grand désespoir de ce dernier). Entre ma sœur qui étudie en Angleterre et la fille qui lui remplit son sac de courses, des années-lumière. Ils consomment ces mêmes objets et services dont la visibilité planétaire colossale semble les relier. Apple, Facebook, Tinder, Nike, Chipotle et les cosmétiques au CBD, ça ne suffit pas à faire une communauté de pensée, ni une unité de comportement. Les millenials, ça n'existe pas. Au fond, vous le savez bien, vous les avez rencontrés aussi.

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