Mécaniques architecturales

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Alain Carlier et Sigfrido Lezzi, associés de la CLM Architectes confrontent trois bâtiments à trois nouveautés horlogères.
GMT - Automne-hiver 2009
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Corum

La montre: Ti-Bridge

Un pont tendu entre tradition et innovation… Difficile en effet d'être plus explicite que la Ti-Bridge d'Only Watch quand il s'agit de lier passé et avenir. Son esthétique résolument contemporaine taillée dans le titane lève le voile sur le deuxième mouvement maison de Corum. Le nouveau calibre linéaire CO 007 qui anime la Ti-Bridge s'inspire du calibre Golden Bridge, le tout premier présenté par la manufacture.

Si sa forme est en effet reconnaissable, les dimensions, les composants et les caractéristiques techniques du dernier-né de la marque sont néanmoins différents, témoignant d'un esprit à la fois sobre et moderne. Drapés de titane, les ponts et platines du calibre font l'objet de finitions ultra-soignées, rappelant celles du boîtier galbé de forme tonneau, également en titane. Un matériau réputé tant pour sa légèreté que pour les difficultés qu'il pose en termes d'usinage mais dont l'utilisation par Corum révèle une parfaite maîtrise des contraintes techniques. Les croisillons en titane qui maintiennent le mouvement à l'intérieur du boîtier participent à l'esthétisme précieux et exclusif de ce modèle unique.

 

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Son pendant architectural: Siège social de la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation à Hong Kong par Norman Foster

«Le rapprochement que nous avons établi entre les deux objets cités a mis en évidence divers points de concordances. Le volume des objets, leurs spatialités intérieures, sont donnés à voir, ils sont volontairement révélés au grand jour et ils sont des révélateurs de quelques principes de formalisation: ce processus propose de relier entre eux les espaces intérieurs et extérieurs de ces objets et, ce faisant, de réduire l'impact visuel de la «peau» ou les limites des volumes. Le recours à la transparence a par ailleurs pour effet de mettre en scène la structure interne des objets. Des opérations qui ont pour conséquence de modifier la valeur graphique du traitement de la façade puisque celleci est supplantée et remplacée par une esthétique de l'ingénierie: les rouages et la structure portante des objets deviennent les supports d'une valeur axée sur la raison d'être et la fonctionnalité plutôt que sur le décor.

Les diverses stratifications internes des objets sont visibles. Des éléments qui sont disposés selon un effet de superposition: la paroi transparente qui s'établit comme une interface entre l'intérieur et l'extérieur, la signalétique et les informations visuelles que l'on souhaite transmettre: la charpente ou la structure portante, ainsi que la machinerie qui permet à l'objet de fonctionner. La démarche trouve sa source dans le développement d'une esthétique industrielle. Initiée au milieu du XIXe siècle, elle trouve parmi ses interprètes les architectes P. Behrens W. Gropius, Mies Van der Rohe, M. P. Johnson ou encore R. Piano ou R. Rodgers

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F.P.Journe

La montre: Centigraphe Souverain

Quand il a présenté le Centigraphe Souverain, sacré Aiguille d'Or au Grand Prix d'Horlogerie 2008, François-Paul Journe a une fois encore frappé un grand coup en repoussant les limites du concevable. Son chronographe mécanique à remontage manuel permet en effet de mesurer théoriquement un objet allant à une vitesse de 360'000 km/h. Soit une vitesse dépassant largement celle de libération d'une fusée atteignant la vélocité de satellisation minimale!

Une jolie prouesse qui s'illustre grâce aux trois compteurs du chronographe habilement disposés sur le cadran. Les secondes foudroyantes, à 10h, font ainsi un tour de cadran en une seconde sur une échelle de centièmes de seconde. Sur le cadran situé à 2h, l'aiguille fait son parcours en 20 secondes. Le troisième cadran, à 6h, sur lequel l'aiguille tourne en 10 minutes, est quant à lui cerclé d'une échelle tachymétrique de 1 à 10 avec les vitesses correspondant aux divisions de 20 secondes.

Cette nouveauté a fait l'objet de deux brevets. Le premier pour la mise en marche, l'arrêt et la remise à zéro du chronographe par une bascule à 2h. Le second brevet a été accordé pour la configuration ingénieuse du mécanisme qui sert à isoler la fonction chronographe du mouvement afin que ce dernier n'ait aucun effet sur l'amplitude du balancier.



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Son pendant architectural: Implantation pour l'élimination des phosphates, Tegel (Berlin) par Gustav Peichl

«Engagés dans le jeu des confrontations, le rapprochement que nous avons établi entre un objet raffiné, en l'occurrence le Centigraphe Souverain, et l'usine pour l'élimination des phosphates peut prêter à sourire. Puisque la tentation serait grande de comparer l'instrument horloger à une réalisation architecturale d'une ostentatoire «beauté».

Tel n'est pas le cas ici. A y regarder de plus près, on perçoit pourtant très vite des points de convergences. A l'instar du bâtiment enfoui dans le sol de Berlin, la première impression qui émane du regard porté sur le Centigraphe est celle d'une forte présence des trois cadrans qui accompagnent l'indication de l'heure. Paradoxalement, la présence des cadrans, des compléments à l'usage usuel de la montre, éclipse la fonction principale de cet objet et confère à ce dernier un caractère énigmatique. Ainsi, plusieurs clés de lecture sont offertes au spectateur attentif: l'insertion des cadrans (ou des trois conteneurs de liquides) qui «transcendent» le support sur lequel ils sont appliqués; le détournement des fonctions établies au profit d'une imagerie particulière; le jeu subtil établi entre les éléments disposés sur le site de l'usine ou la surface de la montre.

Et, enfin, la position qui est conférée aux éléments circulaires, ceux-ci étant disposés sur un «support» particularisé et étant caractérisés par le recours à des principes géométriques dont la symbolique suggérée peut faire l'objet de diverses interprétations».

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Greubel Forsey

La montre:
Invention Piece 3

Greubel Forsey s'ancre dans le temps comme partie prenante des inventions micromécaniques parmi les plus créatives de leur époque. Directement issue des recherches menées sur le Double Tourbillon 30°, la troisième Invention présente un tourbillon incliné à 25° effectuant une révolution rapide en 24 secondes. Un mécanisme résolument inédit qui dévoile ses fonctions sur un cadran à l'architecture tout à fait atypique. Ce sont en effet les platines qui servent de supports aux différents indicateurs.

Le cadran horaire occupe la majeure partie de l'espace en se déroulant sur 24 heures, tandis que celui des minutes est concentrique à celui des heures, des couleurs d'index différentes permettant de les différencier. Une construction esthétique savamment orchestrée et dont l'équilibre est encore souligné par la réserve de marche à 2h et le tourbillon à 8h. En outre, quatre plaques en or sont gravées d'une partie du message de Robert Greubel et Stephen Forsey, détaillant le parcours de création de cette montre et de son mécanisme. Un message que l'on retrouve dans son intégralité au verso de la montre dans lequel les créateurs soulignent le lien particulier qui peut naître avec le possesseur de ce garde-temps d'exception édité à seulement 33 exemplaires – 11 en or gris, 11 en or rose et 11 en platine.



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Son pendant architectural: Banglanagar, centre gouvernemental de Dacca au Bengladesh par Louis I. Kahn

«Louis I. Kahn s'est toujours imposé la discipline d'employer les matériaux conformément à l'essence qu'ils possèdent par nature. Selon lui, les acquis de la technique doivent être vivifiés par le sens des réalités et par le goût personnel. En outre, revisitant le débat initié par les architectes modernes sur le rapport établi entre le contenant et le contenu, Louis I. Kahn a postulé que les formes, les structures et les règles existent dans la tradition; cependant, l'oeuvre nouvelle, tout en se conformant à cellesci, doit être empreinte d'originalité pour être valable. La vision planimétrique du Palais de l'Assemblée de Dacca est composée d'un bâtiment (la salle principale de l'assemblée) disposé au centre de la composition et autour duquel gravitent plusieurs volumes (des formes diverses qui accueillent tous les locaux qui complètent la construction centrale).

Sur le plan formel, le design du cadran de la montre «Invention Pièce 3» comporte des similitudes avec l'édifice cité. Ainsi qu'une similitude avec les préceptes de la formalisation artistique décrite par Louis I. Kahn. Selon le postulat de Louis I. Kahn, l'unicité de l'oeuvre est atteinte par la mise en évidence de principes formels reconnus par le plus grand nombre de personnes et la réinterprétation de ces derniers. Des principes que l'on peut retrouver dans le design de la montre éditée par Greubel-Forsey.»

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