Le Matin - 16 septembre 2010
Christian Humbert
«C'est une partie du patrimoine historique d'Audemars Piguet qui a été volée.» Mme Juliane Gauthier, porte-parole de la manufacture horlogère de la Vallée de Joux (VD), ne le cache pas: «Les malfaiteurs qui ont cambriolé mardi le musée de la fabrique du Brassus ont emporté des pièces de collection au coût inestimable.» Des experts pourraient les chiffrer en millions de francs. Voire plus.
Trop bien renseignés
Selon notre enquête, ce sont plusieurs dizaines de montres qui ont été dérobées dans les vitrines renforcées: l'une des six pièces du musée a été presque vidée en quatre minutes!
«Le Matin» a reconstitué ce qui constitue sans doute le casse du siècle dans la paisible vallée de Joux.
Quatre heures du matin au Brassus (VD), la nuit de mardi à mercredi. La route de France, juste devant le Musée Audemars Piguet, voisin de la manufacture, est en chantier. Aucune voiture n'y circule à cette heure-là. Seules deux ombres portant une échelle en bois arrivent devant le musée. Elles sont filmées par les caméras de sécurité de la société, fondée en 1875. L'échelle est posée contre une marquise au-dessus des deux portes d'entrée. Les malfrats montent sur cet auvent.
Ils savent exactement où ils vont pénétrer: au premier étage, dans une salle contenant des pièces historiques uniques au monde. Ils utilisent un petit marteau pour casser la vitre renforcée mais non blindée. Ils pénètrent à l'intérieur.
Les gardiens qui y patrouillent régulièrement ne s'y trouvent pas.
Les cambrioleurs se jettent sur les vitrines, les brisent, toujours avec le marteau, et emportent un maximum de pièces dans de grands sacs. En fuyant pour une raison inexpliquée, ils cassent une deuxième vitre puis descendent l'échelle et rejoignent leur voiture.
Un troisième homme s'y trouve-t-il? Personne ne veut le confirmer. Mais la caméra a aussi filmé la voiture.
Visiteurs à contrôler
Les voleurs perdent des pièces métalliques et des présentoirs dans leur fuite. Il s'agit de faire vite car la police est déjà en route: elle a été alertée par les alarmes dès l'intrusion.
Les gendarmes ont mis seulement six minutes pour être sur place.
Mais les cambrioleurs, eux, roulent déjà en direction de la France toute proche.
S'agit-il de professionnels, fort bien informés? Christian Buffat, juge d'instruction du Nord vaudois, l'ignore. Il confirme le vol de plusieurs pièces à un prix non défini. «Je n'ai pas encore d'inventaire. Mais la valeur du butin est sans doute importante vu le contenu du musée», commente-t-il.
Son enquête va consister à examiner attentivement la longue liste des visiteurs du musée. Ils ne peuvent y accéder que sur rendez-vous après s'être inscrits, sur présentation de leurs papiers. Le personnel fera aussi l'objet d'attentions particulières.
Considéré comme l'un des plus importants du monde, ce musée privé contient en effet des montres extra-plates, de nombreuses variations de la légendaire Royal Oak et de Grandes Complications qui ont créé la légende Audemars Piguet.
La montre la moins chère de cette manufacture familiale se vend 6000 francs.
Petits voyous ou filières mafieuses?
Avec un milliard de francs d'exportation horlogère, la vallée de Joux attire les malfrats.
En 2007, c'est Jaeger-LeCoultre qui était attaqué à la voiture bélier. Vingt montres d'une valeur de 460 000 francs étaient emportées. Les voleurs ont été arrêtés. Les experts les classent en deux catégories. D'un côté les voyous à la petite semaine profitant d'un tuyau. De l'autre, des bandes organisées (comme le gang des Panthères roses d'origine serbe), liées à des mafias. Seules ces organisations sont susceptibles d'écouler des pièces de collection connues des spécialistes du monde entier.
