Rolf Schnyder s'en est allé

WORLDTEMPUS – 15 avril 2011

Louis Nardin

Toujours en chemin entre l'Asie et la Suisse, Rolf Schnyder détonnait dans l'univers horloger. Il s'en allé hier à 76 ans des suites d'une courte maladie. Avec son décès, l'horlogerie perd un entrepreneur créatif, courageux et visionnaire.
Propriétaire et CEO d'Ulysse Nardin, il était l'un des précurseurs dans l'utilisation du silicium en horlogerie. Motivant, source d'inspiration et d'énergie, il avait constitué autour de lui une équipe aussi soudée que forte et qui a permis le succès que connaît aujourd'hui la marque. Doté d'une excellente intuition, il était l'un des premiers patrons horlogers, et certainement le plus explicite, pour dire qu'une crise débutait et à prendre des mesures drastiques de réduction des coûts. Figure libre de l'univers horloger, il sera inhumé lundi prochain à Kuala Lumpur, sa seconde patrie.
Globetrotter

Né à Zürich en 1935, Rolf Schnyder quitte la maison familiale à 19 ans. En cause, son caractère frondeur qui refuse de se plier aux règles parentales. C'est le début d'une vie d'indépendance. En 1955, il travaille à la publicité de Jaeger-LeCoultre à Genève pour apprendre le français. Expatrié dès 1958 à Bangkok pour travailler dans l'entreprise d'import-export Diethelm, il vit dès lors une vie d'aventures tant professionnelles que personnelles, selon le magazine Watchtime. Devenu un proche de plusieurs rois et princes de pays d'Asie comme celui de Thaïlande par exemple, il alterne son quotidien d'homme d'affaires avec des voyages et des expéditions plus ou moins risquées. Optant de temps à autre pour la casquette de reporter, il photographie notamment la Chine communiste juste après sa Révolution culturelle et l'Assiociated Press diffusera ses photos sur la terre entière. Rolf Schnyder est aussi un aventurier capable de descendre la rivière Kwai sur radeau de bambous construit par lui-même.
Après une expérience chez Philip Morris, il cofonde en 1968 à Bangkok Cosmo dial, société productrice de cadrans pour de nombreuses marques suisses. Mais les relations avec ses partenaires se dégradent et en 1974, il fonde à Kuala Lumpur Precima, sa propre fabrique de cadrans. Bientôt sa production s'étend aux spiraux, ressorts de barillets et glaces saphir pour le compte de Nivarox et Comadur.
Inventer le futur

L'aventure entre Rolf Schnyder et Ulysse Nardin débute en 1983, année durant laquelle il rachète la marque presque moribonde avec une poignée d'investisseurs dont le musicien du groupe Yello, Dieter Meier. Marque réputée pour la fiabilité de ses chronomètres de marine dont plusieurs armées étaient équipées, elle avait souffert de la crise du quartz et avant tout d'une mauvaise gestion. Rolf Schnyder rencontre alors Ludwig Oechslin, philosophe, archéologue, historien de l'Antiquité, astronome mais aussi restaurateur en horlogerie. Il donnera naissance à une trilogie de montres astronomiques baptisé Trilogy of Time Masterpieces et composée del'Astrolabium Galileo Galilei, du Tellurium Johannas Kepler et du Planetarium Copernicus.
Ulysse Nardin débute alors sa renaissance. Elle se poursuivra avec la création d'une unité de production à La Chaux-de-Fonds en plus du site originel du Locle. Intégrant de plus en plus de métiers, la marque gagne en importance. Le modèle Genghis Khan propose pour la première fois une répétition minute Westminster avec tourbillon et jaquemarts. Plus tard, son modèle Freak dont le mouvement tourne en entier à l'intérieur de la boîte devient l'une des icônes de la marque.Surtout, son management se focalise sur l'intégration de nouvelles technologies. Dès 2000, Ulysse Nardin est en contact avec le CSEM, centre de recherche universitaire neuchâtelois spécialiste des micros et nanotechnologies. Le silicium devient un champ d'étude privilégié et se concrétise par la mise au point de l'échappement Dual Direct dont les composants sont réalisés dans cette matière. Cette nouvelle culture d'innovation ne cessera de se développer jusqu'à la création de Sigatec, une joint-venture avec la société spécialisée dans la fabrication de microcomposants en silicium et nickel-phosphore Mimotec. En 2010, Ulysse Nardin fonde une autre joint-venture, Diamaze, spécialisée dans le recouvrement des composants en silicium d'une couche de diamant synthétique, ceci afin de réduire l'usure des composants.
En 2007, Ulysse Nardin est l'une des deux premières, et uniques, marques horlogères à dévoiler une montre sans aucune lubrification, l'InnoVision - restée à l'état de concept watch. Depuis, elle n'a cessé d'intégrer le produit de ses recherches dans ses collections. Dernière annonce en date faite à Baselworld: le montage en série d'un échappement Diamonsil dans le nouveau calibre de base UN118 .

Le bonheur ici et maintenant

Plus que de redonner son lustre à une marque presque éteinte, Rolf Schnyder savait donner envie d'aller conquérir de nouveaux univers. A Baselworld, il confiait à Worldtempus ses excellentes prévisions pour l'année avec une hausse prévue de 30% du chiffre d'affaires jusqu'à 200 millions de francs. D'un caractère fort, passionné et très déterminé, il savait créer autour de lui un climat de sympathie et de convivialité. Mais surtout, il rappelait souvent que l'instant présent est plus précieux que tout et que le bonheur se trouve là où l'on est.