* Voici la suite de notre précédent article sur la Speedmaster Moonwatch 321 Stainless Steel "Ed White" que vous pouvez lire ici.
Les Anciens croyaient que l'histoire était écrite dans les étoiles, que nous pouvions connaître notre destin en déchiffrant les mouvements célestes, en apprenant leur syntaxe, leur grammaire et leur vocabulaire. Les systèmes astrologiques existent depuis l'époque pré-chrétienne, et bien qu'il existe des théories expliquant la façon dont l'humanité en est venue à associer les confluences célestes aux confluences terrestres, la réalité est telle que nous n’avons aucune certitude. Peut-être fallait-il simplement pouvoir justifier notre admiration des étoiles.
Il existe un dicton commun concernant l'ambition humaine qui se présente de la façon suivante : il faut toujours viser la lune car même si ce but est manqué, on parvient toutefois à atteindre les étoiles. Celui qui a défendu cela n'avait manifestement aucune connaissance des concepts astronomiques de base. Heureusement que, lors du voyage sur la lune, l'intrépide équipage d'Apollo 11 prit ce dicton au second degré et ne se basa pas sur cette faible compréhension de la science.
Recréer le cal. 321, le mouvement chronographe à remontage manuel qui habitait les Speedmaster des astronautes tels que Neil Armstrong et Buzz Aldrin, était la mission lunaire d‘Omega.
Le mouvement que nous connaissons sous le nom d'Omega cal. 321 a été produit pour la première fois en 1946 et représente une évolution du mouvement chronographe Lemania CH 27 (qui existait depuis 1942). Il comprenait des améliorations techniques par rapport au mouvement original, des perfectionnements tels que des composants antimagnétiques, un système de protection antichoc Incabloc pour le balancier et un ressort qui permettait aux horlogers de mieux ajuster les pièces relatives au compteur de minutes du chronographe.
C'est ce mouvement, distinct de toutes les autres variantes des mouvements de chronographe Lemania CH 27, qui est allé sur la lune, et a ainsi acquis un statut quasi-mythique dans l'esprit des collectionneurs et des aficionados de montres spécialisées. À l'époque où le cal. 321 a été produit, Omega et Lemania faisaient partie du même groupe d'entreprises horlogères, la Société Suisse pour l'Industrie Horlogère (SSIH), dont faisait également partie Tissot. Il va de soi que les mouvements Lémania équipaient les montres Omega.
En 1968, la production du cal. 321 a cessé et il a été remplacé par le calibre 861. Deux différences essentielles distinguent ces deux mouvements: d’une part, le cal. 861 utilisait un levier à coulisse (généralement perçu comme plus robuste et plus économique) alors que le cal. 321 utilisait la roue à colonnes (traditionnellement considérée comme plus prestigieuse). D’autre part, selon les critiques, la construction du cal. 861 n'était pas esthétiquement aussi élégante que celle du cal. 321. En dépit du fait que les missions lunaires aient eut lieu après ce changement de production, les Speedmasters lunaires abritaient toujours le cal. 321. Sur le marché, il a fallu un certain temps pour que les Speedmasters au cal. 321 soient entièrement remplacés par celles au cal. 861.
Lorsqu’ Omega a décidé de recréer le cal. 321, deux ans avant le 50ème anniversaire de l'alunissage en 2019, la marque a du faire face à de nombreux défis. Bien qu'une version du chronographe Lemania CH 27, utilisée par une poignée d’autres sociétés horlogères haut de gamme, était toujours en production, ce n'était pas l'itération historique spécifique du chronographe qui alimentait les montres lunaires. La raison à cela est que le mouvement en question était un élément fondamental dans l'histoire culturelle. Il ne suffisait donc pas de le substituer avec un équivalent moderne et de s’en contenter. Non, Omega devait trouver un moyen de ramener la version exacte du Lemania CH 27 qu'ils désiraient - la variante connue sous le nom de cal. 321.
L'une des pièces principales du puzzle consistait à scanner en profondeur la véritable Speedmaster portée par Eugene Cernan, le dernier homme à avoir marché sur la lune. Un balayage numérique tridimensionnel et à haute résolution du mouvement présent à l'intérieur de cette montre a été obtenu, pour une somme estimée à environ 1 million de francs suisses. Une autre pièce importante du puzzle fait allusion aux schémas techniques d’origine de la Lémania illustrant de manière fascinante la façon dont l'histoire se répète (surtout dans des industries aussi concentrées géographiquement que l'horlogerie). Lémania a quitté le groupe SSIH en 1981, s'est rebaptisée Nouvelle Lémania et a été rachetée par Breguet en 1992. En 1999, juste avant le tournant du millénaire, la société mère d'Omega, le Swatch Group, a racheté Breguet. Ainsi, les deux anciennes sociétés de la SSIH ont été à nouveau réunies au sein du même groupe.
Au fil des années, les montres Omega abritant le calibre 321 se sont rendues à la Manufacture d’Omega pour leur maintenance et leur entretien, permettant aux techniciens et aux horlogers d'Omega de maintenir cette familiarisation avec le mouvement. Leurs archives comprenant les mouvements et les composants contenaient encore des stocks de pièces détachées pour le calibre 321.
Le moment était venu pour le cal. 321 de retourner chez lui, soit chez Omega, non pas sous la forme de mouvements remis à neuf et récupérés auprès de vieilles montres, mais en tant que mouvement de production issu d’un processus de fabrication entièrement modernisé. Cela a pris deux ans, mais l'annonce a été faite au début de l'année 2019. L'Omega cal. 321 renaît.
Pour Omega, l'histoire ne s'est pas écrite dans les étoiles mais sur la lune. Et leur dernier chapitre, celui du retour du cal. 321, a été réalisé lorsque leurs horlogers ont déchiffré ce mouvement historique - comme les anciens astrologues qui cartographiaient les cieux - en apprenant sa syntaxe, sa grammaire et son vocabulaire horloger.
