«Pas de risque de saturation»

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«Pas de risque de saturation» - Audemars Piguet
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La semaine horlogère genevoise s'est achevée sur une perspective solide. Entretien post-SIHH avec Jasmine Audemars

L'Agefi - 28 janvier 2013


Propos recueillis par Stéphane Gachet



Jasmine Audemars est arrière-petite- fille de Jules Louis Audemars, co-fondateur en 1875 de la manufacture d'horlogerie Audemars Piguet, dont elle préside aujourd'hui le conseil d'administration depuis 1992. Jasmine Audemars, toujours (re)connue pour sa carrière de journaliste (23 ans, dont 12 à la rédaction en chef du Journal de Genève) est surtout une figure de la haute horlogerie (elle fait aussi partie du conseil culturel de la Fondation de la Haute Horlogerie) et une figure de la logique familiale à haut niveau. Plusieurs informations sont déjà parues pendant les événements de la semaine dernière sur la manufacture indépendante basée au Brassus - avec unités de production à Genève et près de 1200 collaborateurs. En particulier que 2012 a été une année record avec plus de 600 millions de chiffre d'affaires et que l'objectif est de doubler ce chiffre sur un horizon de dix ans. Rencontre dans le cadre du SIHH.

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Stéphane Gachet: La semaine genevoise est achevée. Une question demeure: l'existence de deux salons horlogers, à Genève et Bâle, se justifie- t-elle encore?
Jasmine Audemars: Les deux événements ont leur raison d'être. Pour nous, Genève est idéal en termes de logistique et de conditions de travail. Je suis aussi parfaitement en ligne avec la nouvelle politique du SIHH. La prochaine présence à Hong Kong démontre que la fonction du salon évolue, avec la volonté de se rapprocher de la clientèle finale - un peu sur le modèle d'Art Basel d'ailleurs.

Pour une marque comme Audemars Piguet, quel est le défi majeur après une décennie de développement continu?
Continuer à se développer dans un contexte très concurrentiel. Le relais de croissance prioritaire? Les produits.

Dont la Royal Oak, le modèle iconique par excellence. Comment composer avec un tel héritage?
Le potentiel de développement est très conséquent. Nous devons y réfléchir en permanence. C'est à la fois une chance et une responsabilité. Nous sommes forcément entrainés par la Royal Oak, mais il ne faut pas que cela obscurcisse les autres collections. Nous devons aussi nous déployer dans la montre dame.

La part de la Royal Oak ne reste-t- elle pas malgré tout prépondérante?
L'ensemble des déclinaisons représente plus de 60% de nos ventes, ce qui laisse tout de même une bonne marge pour les autres lignes.

N'y a-t-il pas risque de cannibalisation?
Nos différentes familles de produits ne s'adressent pas aux mêmes moments de vie de clientèle. Nous allons continuer à faire évoluer la Royal Oak et tous nos modèles actuels.

En 2012, votre communication au SIHH était centrée sur l'anniversaire de ce modèle icône. Cette année, vous avez axé la communication sur la haute complication. Qu'est-ce que cela représente?
La haute complication fait partie de l'histoire de la marque. Notre légitimité se trouve là. Si la question est de savoir si la haute complication compte pour une grande part de notre chiffre d'affaires, ce n'est pas le cas. La priorité est de maintenir le savoir-faire. Nous sommes une entreprise familiale, orientés sur le long terme. Le plus important est de ne jamais se laisser gagner par l'euphorie.

C'est-à-dire?
L'industrie a toujours connu une importante volatilité. L'euphorie consisterait à se reposer sur ses acquis ou, à l'inverse, à trop investir.

Le long terme se trouve dans cet équilibre?
Il faut à la fois les moyens financiers et la passion des propriétaires.

La nature familiale de l'entreprise est précisément souvent perçue comme une source d'incertitude, puisqu'il n'y a pas de filiation directe de la branche Audemars. Est-ce assumé?
L'avenir est déjà balisé avec les générations futures, dont les représentants de la famille Piguet. La continuité est assurée. Etre une entreprise familiale est une responsabilité, pour les propriétaires, les collaborateurs, également pour la région: Audemars Piguet est la dernière manufacture à tenir encore son centre de décision à la Vallée de Joux.

Hors de la marque, on entend souvent parler de l'établissement d'une Fondation faîtière. Confirmez-vous?
La forme que cela prendra n'est pas communiquée pour l'instant. D'ailleurs, la structure interne n'est pas discutée publiquement, mais c'est une préoccupation très importante. Concernant les rumeurs, je démentis tout de suite: nous ne sommes pas à vendre et nous n'avons pas l'intention de quitter le salon de Genève pour celui de Bâle, comme cela a été dit dans une publication française après notre rapprochement avec Art Basel (en qualité de partenaire).

Qu'en est-il du développement sur les marchés?
Tout se passe bien depuis le début de l'année. En 2012, nous avons dépassé les 600 millions de chiffre d'affaires avec près de 31.000 montres vendues.

Votre meilleure année. Quelle croissance projetez-vous?
Nous privilégions un développement pas à pas. 31.000 pièces, cela correspond à notre capacité actuelle, nous n'allons pas sur-approvisionner les marchés pour faire de la croissance.

Au contraire, vous avez annoncé un redimensionnement de la distribution?
L'objectif est d'augmenter la qualité des points de vente.

Sur quelle base de sélection?
Nous nous concentrerons sur les détaillants capables de fournir une vraie expérience AP à la clientèle finale.

Avec un objectif de descendre de 450 à près de 300 points de vente détaillant?
C'est l'un de nos objectifs. Nous continuons aussi de développer notre propre réseau de boutique.

Est-ce si indispensable d'être en direct sur les marchés?
C'est la meilleure manière de contrôler les ventes. La présence en direct est devenu un vrai élément stratégique. Cela accompagne aussi le développement de la culture horlogère, à travers les réseaux sociaux en particulier: nous devons refléter ce niveau de connaissance.
Nous travaillons déjà les marchés en direct. Nous n'avons pratiquement plus d'agents, que nous avons remplacés par des filiales - qui accompagnent en parallèle le développement du service aprèsvente, le véritable grand défi de l'industrie.

Un point sur le management: deux présidents exécutifs depuis le départ de Georges-Henri Meylan. Comment faut-il le comprendre?
Cela démontre la difficulté de remplacer une personnalité à ce niveau de fonction. François- Henry Bennahmias (qui vient d'être confirmé à la présidence de la marque) est immergé chez AP depuis 18 ans et possède le profil dont nous avons besoin: culture de la haute horlogerie, affinité avec la Vallée de Joux, connaissance de l'ADN de la marque.

Qu'est-ce qui a mené à l'échec du choix précédent, Philippe Merk, ex-Maurice Lacroix, parti au printemps dernier?
Nous avions fait le choix d'un dirigeant extérieur au groupe en raison de son parcours et de ce qu'il avait accompli, en l'occurrence, chez Maurice Lacroix. Nous nous sommes séparés en raison de divergences stratégiques.

Un mot sur la structure du capital, qui parait si stable malgré un certain métissage (très familial, mais avec la présence de l'investisseur Pierre Bottinell)?
Nous ne commentons pas. Mais en effet, la structure est très stable, avec une assimilation extraordinaire au fil des décennies, presque des siècles!

Comme toutes les maisons indépendantes, Audemars Piguet est en permanence la cible de rumeurs de vente. Un point que vous venez à nouveau de démentir. Qu'en est-il a contrario d'une éventuelle stratégie d'acquisition vous concernant?
Nous n'avons aucun projet de ce genre. Nous n'avons pas l'intention de devenir un groupe avec plusieurs marques.

Il y a tout de même une exception, avec l'entrée dans le capital de Richard Mille (10%)?
Le rapprochement est apparu assez normal dans le sens où Richard Mille travaille avec notre filiale Renaud & Papi, et il y a une vraie affinité. Mais cela reste notre seule participation.

J'aimerai vous entendre encore sur quelques thèmes en vue dans l'industrie. La notion de haute horlogerie, par exemple, qui fait l'objet d'un usage immodéré aujourd'hui?
Les clients font la différence! Je considère surtout que nous avons une industrie extraordinaire, avec un savoir-faire phénoménal qui reste la base d'un futur que je perçois très solide. En particulier lorsque j'observe le déploiement des régions à forte croissance. Pour autant que nous sachions rester créatifs et bien gérés.

Avenir solide, pour tout le monde?

Une marque établie en difficulté aujourd'hui a toutes les chances d'être reprise. Pour les petits indépendants, il sera sans doute très difficile de réaliser des ambitions au-delà de volumes confidentiels.

La Chine?
Il ne faut pas se focaliser sur la Chine. La classe moyenne émerge dans d'autres régions, l'Inde, l'Amérique latine. Il ne faut pas non plus négliger les Etats-Unis et l'Europe. Il faut d'abord être fort chez soi.

Vous ne voyez aucun risque de saturation?
Je ne perçois aucun signe de saturation. Il y a au contraire encore une grande appétence pour l'horlogerie.

Le swiss made?
Fondamental. Nous avons besoin d'un label fort.

La restriction des fournitures imposées par Swatch Group?
La stratégie de Swatch Group a sa logique. Nous ne sommes pas plongés dans une angoisse existentielle, nous produisons déjà plus de 60% de nos mouvements en interne, mais cela nous oblige à nous réorganiser en rapatriant certains métiers. Swatch Group a créé quoi qu'il en soit des opportunités et les alternatives vont se développer.

Par conséquent, prévoyez-vous des investissements?
Nous investissons de manière continue. En particulier en ce moment dans notre nouvelle unité de production de boîtes, à Meyrin. Nous développons aussi l'activité cadrans - en particulier pour la Royal Oak. Nous prévoyons d'engager encore des collaborateurs cette année.

 

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