Nouveau modèle «Historiques American 1921»

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Née de la volonté de mettre en lumière la richesse du patrimoine de Vacheron Constantin, la ligne « Les Historiques » a pour vocation de faire revivre des modèles emblématiques de l‘esprit et du savoir-faire de la marque au travers de réinterprétations contemporaines de ces pièces de légende.

Après la présentation l‘année dernière de la réinterprétation du Chronomètre Royal 1907 à l‘occasion de son 100ème anniversaire, Vacheron Constantin présente aujourd‘hui le modèle «Historiques American 1921 », une pièce inspirée d‘une montre-bracelet d‘avant-garde de forme coussin comportant une couronne positionnée à 1 heure, produite de manière très confidentielle par la manufacture genevoise spécifiquement pour le marché américain pendant les années folles.

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Fidèle à l‘esprit de l‘époque, Vacheron Constantin réalise une nouvelle fois, un retour aux sources en alliant créativité et rigueur historique. Ce nouveau modèle «Historiques American 1921 » rend ainsi hommage au style audacieux des années 20.

D‘inspiration classique, élégante, sobre mais originale, montre pour « dandy » par excellence, le modèle présente un boitier fidèle à l‘original, toujours de forme coussin, aujourd‘hui en or rose 18 carats de 40 mm de diamètre, qui se singularise par une lecture de l‘heure en diagonale et une couronne positionnée à 1 heure comme le modèle original.

Le cadran - de terminaison sablée - comporte 12 chiffres arabes peints en noir ainsi qu‘une minuterie dite « chemin de fer » également peinte en noir. Les aiguilles des heures et des minutes, dite de forme « Breguet », sont en or 18 carats oxydé noir. L‘aiguille du compteur des secondes qui est positionné à 4 heures, est elle de forme bâton également en or 18 carats oxydé noir.

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Doté d‘une glace saphir légèrement bombée, le boitier arbore un fond transparent permettant d‘admirer les finitions exceptionnelles du tout nouveau calibre mécanique à remontage manuel 4400 développé et manufacturé Vacheron Constantin et estampillé du prestigieux Poinçon de Genève. Ce calibre comporte les indications des heures, des minutes et une petite seconde. Fréquence de 28‘800 alternances / heure. Son diamètre est de 28 mm, son épaisseur de 2.8 mm. Il propose une réserve de marche d‘environ 65 heures.

Ce nouveau modèle - qui est étanche à une pression de 3 Bar qui équivaut à environ 30 mètres - est proposé avec un bracelet cousu main, aux finitions sellier, d‘alligator de couleur brun foncé équipé d‘une boucle à ardillon en or rose 18 carats de la forme d‘une demi-Croix de Malte.

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Faisant l‘objet d‘une production limitée, la montre « Historiques American 1921 » devrait ravir les connaisseurs et les amateurs de Haute Horlogerie à la fois classique et audacieuse qui recherchent des pièces différentes, aiguisant la curiosité tant les qualités esthétiques et fonctionnelles de la pièce paraissent hors du temps.

 


Caractéristiques techniques - «Historiques American 1921»

Référence: 82035/000R-9359    

Calibre:4400, développé et manufacturé Vacheron Constantin Estampillé du Poinçon de Genève
Energie:  Mécanique, remontage manuel
Épaisseur du mouvement:    2.8 mm
Diamètre du mouvement:    28.00 mm
Empierrage:    21 rubis
Fréquence:    28‘800 alternances / heure
Indications: Heures, minutes et petite seconde décalée
Réserve de marche: 65 heures environ

Boîtier: Or rose 18K 5N
40.00 mm de diamètre
Verre saphir bombé, traité antireflet sur la face intérieure
Forme coussin, ouverture ronde
Fond transparent à vis, glace saphir, couronne boule décalée

Étanchéité:    Pression de 3 bar, équivalente à 30 mètres

Cadran:   Terminaison sablée
Chiffres arabes peints en noir
Minuterie « chemin de fer » peinte
Croix de Malte : Or rose 18K 5N poli
Aiguilles des heures et minutes en or 18K oxydé noir,
Aiguille compteur seconde en or 18K oxydé noir, forme bâton

Bracelet: Cuir d‘alligator  brun, écailles carrées. Cousu main, finition sellier
Fermoir: Boucle ardillon or rose 18K 5N. Demi Croix de Malte polie

 



A l‘occasion de la présentation du nouveau modèle « Historiques American 1921 », voici un chapitre sur l‘histoire de Vacheron Constantin avec les Etats-Unis et ses grands collectionneurs.

Ce chapitre est à paraître en introduction d‘un livre intitulé American High Society, ouvrage signé de Nick Foulkes et qui sera publié en décembre 2008 par les éditions Assouline.

 

L‘horloger de la Haute Société américaine

par Nick Foulkes, Historien, auteur, journaliste britannique et grand amateur de montres.

 

Au printemps 2006, je déjeunais dans la salle du conseil de Vacheron Constantin. J‘étais reçu par le tout nouveau Directeur général de la maison, Juan-Carlos Torres, ravi d‘avoir l‘occasion de lui parler car il y avait quelque chose que je voulais éclaircir.

Un des traits les plus typiques des magnats de l‘âge d‘or américain (ces années d‘opulence des bâtisseurs d‘empires industriels et financiers s‘étendant d‘environ 1870 jusqu‘au krach boursier de 1929) est leur sens de la concurrence à tout va. Ce sens s‘étend même aux objets personnels comme les montres.

J‘avais entendu des bruits concernant une montre Vacheron Constantin à complications qui aurait appartenu à Henry Graves, grand financier et amateur de belle horlogerie. Dans le monde horloger, Graves était déjà connu en tant que client de la célèbre maison horlogère Patek Philippe, mais je voulais savoir ce qu‘il en était des rumeurs qu‘il aurait également été client de Vacheron Constantin.

D‘une certaine façon, ce déjeuner dans le cadre résolument vingt-et-unième siècle du tout nouveau siège de la Manufacture Vacheron Constantin aux abords de Genève, déboucha sur la commande par la Maison d‘une édition spéciale de mon livre, High Society : the History of America‘s Upper Class.

Pour appuyer ses propos selon lesquels Henry Graves avait bien été client de Vacheron Constantin, Juan-Carlos Torres me présenta un ensemble de lettres et feuilles légèrement jaunies provenant des archives. Bien plus que de simples fiches de stock, il s‘agissait en effet de correspondance adressée à Vacheron Constantin de la main même de Henry Graves. Elle révélait l‘étendue de l‘investissement du financier en temps et en intérêt autant qu‘en numéraire dans sa passion pour l‘horlogerie de haut-niveau. Écrites au cours de l‘été 1928, mais enfouies dans les archives de Vacheron Constantin pendant près de 80 années, ces lettres fournissent un aperçu fascinant de l‘esprit de ce fort énigmatique collectionneur d‘horlogerie américain.

De passage à Genève en 1928, Henry Graves entend parler d‘un chronomètre à tourbillon qui avait décroché le premier prix d‘un concours de l‘Observatoire de Genève. Du 20 juin lorsque, de l‘Hôtel Rühl à Nice, il s‘informe sur cette pièce auprès de Vacheron Constantin jusqu‘au 18 octobre, écrivant de l‘Hôtel Crillon à Paris,  demandant qu‘on lui fournisse un étui en cuir ainsi que des ressorts et une glace de rechange, le tout devant lui être expédié au 420 Park Avenue à New-York, il semble obsédé par cette montre et son prix d‘observatoire. Communiquant souvent par retour de courrier, ses lettres laissent transparaître l‘impatience d‘un collectionneur pressé de voir la pièce de près. Il s‘intéresse à chaque aspect de son achat, de l‘inscription figurant à l‘intérieur du boîtier jusqu‘aux modalités de l‘expédition depuis la manufacture, tenant à « s‘assurer de la livraison intacte de la montre sans secousses excessives ». Lorsqu‘on songe à quel point les décisions de gens comme Graves pouvaient affecter les marchés financiers, on s‘étonne de l‘intérêt passionné qu‘ils portent à de minuscules mouvements horlogers fabriqués par des artisans d‘élite à Genève.

Lorsqu‘au Salon International de la Haute Horlogerie 2008, Juan-Carlos Torres me montre un prototype de la pièce Historiques American 1921, version réinterprétée d‘une montre-bracelet d‘avant-garde de forme coussin comportant une couronne positionnée soit à 11 heures, soit à 1 heure, disponible sur le marché américain pendant l‘entre-deux-guerres, je saute sur l‘occasion de lui arracher l‘autorisation de fouiner dans les archives de Vacheron Constantin à Genève à la recherche d‘informations supplémentaires sur les collectionneurs américains. Il commence par hésiter, mais après six mois de constantes sollicitations, il finit par me laisser chercher à ma guise.

Sujet qui revient fréquemment dans mon ouvrage sur la Haute Société Américaine, est la manière dont siècle après siècle, celle-ci fait venir d‘Europe ses signes et objets de prestige - des maîtres à danser durant la période prérévolutionnaire jusqu‘aux époux de noble lignée que l‘aristocratie européenne désargentée offrait aux filles des capitaines d‘industrie américains au cours des XIXème et XXème siècles.

Certes certaines de ces belles prises sont matérielles plutôt qu‘humaines, les montres figurant d‘ailleurs en bonne place. Bien que la mode des maîtres à danser ne soit plus ce qu‘elle était et que le chic d‘un mari huppé venu d‘Europe se soit affadi, le prestige de montres fort convoitées demeure vivace dans les hautes sphères de la société américaine. On pourrait même affirmer, comme je le fais fréquemment que, depuis la fondation des États-Unis en 1776, les montres n‘ont jamais autant qu‘aujourd‘hui, fasciné les collectionneurs américains.

Ainsi que la publicité de Vacheron Constantin se plaît à le rappeler, Jean-Marc Vacheron s‘était mis à son compte depuis quelques dizaines d‘années avant que George Washington et ses compatriotes décident de se défaire de leurs maîtres britanniques. On pourrait donc affirmer que des premières heures de l‘Amérique libre et indépendante jusqu‘à nos jours, Vacheron Constantin aura été en mesure de fournir au nouveau continent, du moins à ses élites sociales, culturelles, politiques et bien entendu financières, des montres à répétition minutes, des chronographes, des modèles à calendrier perpétuel ou à tourbillon, et même à l‘occasion de simples montres affichant l‘heure et la minute.

Dans le jargon commercial d‘aujourd‘hui, on dirait probablement que Vacheron Constantin était «présent sur le marché américain » dès les premières années du XIX siècle. Cette affirmation suppose cependant l‘existence de véritables structures commerciales dotées de tous les attributs de notre époque. Il est donc utile de se rappeler que « la marque» pour employer le terme disgracieux de notre époque, se composait probablement d‘une poignée de personnes, un ou deux apprentis ainsi qu‘un voyageur « de commerce ». Les montres sont alors fabriquées par des horlogers travaillant seuls dans des ateliers de Genève ou dans les montagnes et vallées environnantes, là où des paysans mettent à profit les longues et froides journées d‘hiver pour fabriquer des montres - métier accessoire de l‘époque. Vacheron Constantin comprend néanmoins sans tarder l‘importance de la nouvelle nation outre-atlantique. Dès les années 1820, la maison fabrique déjà des montres destinées spécifiquement aux États-Unis, vendues dans les principaux ports de commerce de l‘époque tels que Gênes, Livourne et Venise en Italie, La Haye aux Pays-Bas, et Caen en France.

Lorsqu‘un navire américain se présente dans l‘un de ces ports, les représentants de Vacheron Constantin l‘accueillent en proposant des modèles réalisés pour le marché américain. Dans une lettre de Rome à Genève du 24 septembre 1821, François Constantin écrit «Les pièces Américaines que vous m‘annoncez seront probablement de vente à Gênes et Livourne, ayez soin qu‘elles soient bien bien rêglées». En feuilletant les livres de compte de la maison pour ces années-là, il apparaît clairement que les montres destinées à la vente dans ces ports étaient souvent d‘une valeur supérieure à celles réservées au marché suisse ou européen. Il semble bien que la maison accordait à ces montres faites dans le style américain, une certaine aura talismanique.

Quand les traditionnels marchés européens pour les montres de luxe entrent en turbulence, c‘est vers l‘Amérique que Vacheron Constantin se tourne. La France est un marché naturel pour sa production mais le XIXème siècle français ne s‘avère pas de tout repos, alternant entre des gouvernements royaux, impériaux et républicains. Substituant au règne du Bourbon Charles X à celui de Louis-Philippe, la Révolution de 1830 demeure un exemple des temps forts de ce siècle. Dans une lettre écrite l‘année suivante, Jacques-Barthélemy Vacheron, petit-fils du fondateur, voit la situation avec pessimisme :

« Notre sieur Constantin vous a annoncé la nullité de nos affaires pendant cette dernière campagne ce qui est du aux pertes que nous avons essuyées et à la cessation de nos affaires depuis la révolution de juillet, ce qui nous a occasionné une surcharge de marchandises que nous devons chercher à réduire le plus possible si les événements politiques et les approches du choléra ne viennent pas nous encoubler cette année devra nous dédommager de la précédente les fonds qui vont être mis à notre disposition nous mettront à même d‘en tirer tout le parti possible. Nous devons tout employer pour accroître notre vente d‘horlogerie...Comme vous devez avoir malheureusement du temps de reste dans vos tournées dans ce triste moment vous devriez employer vos loisirs à apprendre la langue anglaise nous avons le désir de former un établissement à New-York. »

Cette lettre s‘adresse au jeune Henri Amand qui a rejoint la maison en 1827, et à qui incombe la plupart des tournées de vente permettant à Vacheron et à Constantin de passer plus de temps à Genève. Amand n‘arrive jamais jusqu‘en Amérique, mais utilise les contacts qu‘il avait noués au port très achalandé de Rouen pour faire en sorte que la maison soit représentée à New York où des lots de ses montres arrivent tous les mois à l‘attention de John Magnin, agent de Vacheron Constantin jusqu‘à la fin des années 1840.

Les archives de Vacheron Constantin de l‘époque donnent un aperçu fascinant des goûts de ce qui s‘appellerait de nos jours un marché émergent. Des montres décorées de la figure émaillée de George Washington ou du poète maudit de l‘époque Lord Byron, sont très demandées durant l‘été 1834. Au cours des années 1830 et 1840, on peut trouver des montres signées Vacheron Constantin dans un nombre croissant de grandes villes des États-Unis. Comme la progression des ventes ne répond toutefois pas aux attentes de la direction, celle-ci nomme un nouvel agent américain en 1848, année que le hasard voulut mouvementée à travers l‘Europe entière, ponctuée de révoltes et de rébellions qui en France auront raison d‘un second roi.

Pourtant, la jeune démocratie américaine connaît ses propres crises de croissance et en 1865, l‘agent américain de la maison signale avec soulagement la reprise des affaires après la Guerre civile.

« C‘est avec plaisir que je vois revenir nos anciens clients du Sud », écrit-il, « tous fort contents que la guerre soit terminée et de pouvoir recommencer les affaires.» Ses paroles vont s‘avérer prophétiques, les décennies suivantes voyant la fortune des élites américaines s‘accroître rapidement, entraînant avec elle le désir de posséder des produits de prestige, y compris les meilleures montres suisses. Au cours de ce qu‘on appela un âge d‘or, Vacheron Constantin fournit tant des montres complètes que des mouvements et cadrans qui seront emboîtées en Amérique et porteront la marque du revendeur américain à côté de celle du fabricant suisse.

En 1882 par exemple, Vacheron Constantin fournit des mouvements et des cadrans à Bigelow Kennard & Co. à Boston, portant la marque gravée de l‘entreprise américaine. La même année, la maison passe un accord semblable avec un revendeur à Philadelphie dont les montres portent, elles, l‘inscription VACHERON & CONSTANTIN GENÈVE MADE FOR J.E. CALDWELL CO. PHILADELPHIA. Pour sa part, la T.Kirkpatrick Company à New York commande à Vacheron Constantin des cadrans ainsi que des mouvements dont les ponts sont gravés de sa raison sociale.

Les archives genevoises n‘ont malheureusement guère retenu le nom des nombreuses figures de la Haute Société Américaine de l‘époque qui choisirent une montre Vacheron Constantin chez l‘horloger-bijoutier de leur ville. Il arrive pourtant qu‘un client écrive au siège de la maison demandant que sa montre soit réparée ou réglée. Parmi les plus intéressantes de ces correspondances figure une lettre de 1878 signée Julia Ward Howe. Égérie des causes humanitaires, poétesse et auteure de « The Battle Hymn of the Republic », elle prie Vacheron Constantin à Genève d‘effectuer la révision de sa montre. Comme un nombre croissant de ses compatriotes de l‘époque, elle voyageait en Europe  et se trouvait alors au Palazzo Odescalchi à Rome. Depuis un quart de siècle, des transports maritimes transatlantiques de plus en plus rapides et sûrs permettent à toujours plus d‘Américains de se rendre en Europe. C‘est à cette époque que débute cette invasion du Vieux continent par des Américains fortunés si familière aux amateurs de romans de Henry James et d‘Edith Wharton. Tout lecteur féru de Henry James sera ravi d‘apprendre que les archives de Vacheron Constantin conservent de nombreuses lettres écrites de sa main agile, en excellent français, adressées à Vacheron Constantin depuis Lamb House, à Rye, East Sussex, la maison de campagne anglaise du romancier. Le document le plus réjouissant est peut-être le télégramme qu‘il envoya à la maison Vacheron Constantin en la priant de « Expédiez immédiatement trois montres par poste à Mrs. Warton, 53, rue de Varenne, Paris ». Ainsi il lie les deux écrivains les plus célèbres de l‘âge d‘or américain à l‘une des plus anciennes maisons d‘horlogerie suisse en trois lignes d‘un télégramme comportant néanmoins une faute d‘orthographe.

Il semble bien en effet que la famille James avait un très net penchant pour l‘horlogerie. Au cours des premières années du XXème siècle, les deux frères James, Henry et William, sont tous deux en contact régulier avec Vacheron Constantin à propos de garde-temps en tous genres : chronomètre de poche ou pendulette de voyage, les James recherchent les meilleurs et les tout derniers modèles. William est un client particulièrement assidu de la maison. En 1900, il lui achète pas moins de onze montres; au vu du volume de ses achats, la maison va même jusqu‘à lui consentir une remise de cinq pour cent.

Henry est sans nul doute le plus célèbre des deux frères ; William étant pour sa part un éminent psychologue et philosophe, auteur du concept de  « stream of consciousness » - le monologue intérieur. Il réfléchit d‘ailleurs profondément à pratiquement tous les aspects de la vie, y compris à ses garde-temps. À preuve une lettre écrite d‘Edimbourg le 18 mai 1902 : après avoir prié la maison de lui faire parvenir une « carriage watch » (montre de voiture), il passe aux détails de sa prochaine acquisition. « À propos du ‘Chronomètre de poche‘ avec bulletin de première classe, vous m‘en proposez deux, à 950 et 800 francs respectivement.

Dois-je comprendre que la différence de prix reflète la différence de valeur du boîtier, de 20 lignes dans un cas et de 19 lignes dans l‘autre ?

Dès lors, je choisis le boîtier le plus petit mais si les mouvements ne sont pas les mêmes, je désire l‘exemplaire que vous avez maintenant en stock qui possède le meilleur bulletin. (Je dois dire que le Chronomètre de poche que je vous ai acheté en octobre [ 189 biffé ] 1900 est aussi régulier qu‘un corps céleste - en le contrôlant, comme je l‘ai fait à l‘aide des normes habituelles de comparaison que l‘on trouve en ville, je n‘ai  pratiquement pas observé d‘écart, et m‘en sers de préférence aux horloges des gares, etc. - Qu‘il est bon de posséder dans ce monde sans foi un objet sur lequel on peut compter !)

Je vous prie donc de choisir pour moi votre meilleure montre, dans un boîtier simple en or avec glace aussi petit que possible pour le garder en sécurité et de me faire parvenir la facture tout de suite. Gardez ma montre sous observation jusqu‘à ce que je vous envoie de l‘argent, ce qui aura lieu dans trois semaines environ. Je vous indiquerai alors l‘adresse exacte à laquelle l‘envoyer.»

Énigmatiques pour les non-initiés, mais parfaitement compréhensibles pour les grands amateurs d‘horlogerie, les sentiments et les intérêts que véhicule cette lettre en font tout le charme. Pour commencer, il y a cette obsession pour la précision. On peut se demander en quoi l‘existence quotidienne d‘un universitaire de cet âge d‘or cumulant fortune personnelle et réussite académique, nécessitait un degré de précision digne d‘un prix d‘observatoire. Il s‘agit sans doute moins d‘un besoin de ponctualité que du plaisir personnel et de la satisfaction intime de posséder un objet digne de confiance dans un « faithless world » (monde déloyal). Mais possédant déjà une montre qui surclassait par sa précision les horloges de gare, pourquoi donc en veut-il une deuxième ? Si la question souligne l‘instinct d‘acquisition de tous les grands collectionneurs, elle n‘offre aucune réponse satisfaisante (si ce n‘est éventuellement par un psychologue). On peut d‘ailleurs se demander si James le psychologue et philosophe n‘a jamais pensé à braquer sur lui-même son esprit analytique pour découvrir ce qui le pousse à écrire page après page d‘une belle écriture penchée à une maison horlogère dans une lointaine région montagneuse d‘Europe, pour la prier instamment d‘observer de près des objets mécaniques avant de les consigner au service postal international et ses épreuves. (Dans une autre lettre, James consacre presque une page entière à exprimer son inquiétude quant aux livraisons par poste.)

En plus de l‘aperçu de l‘intimité d‘un grand esprit, il existe un intérêt historique et un plaisir particulier à tomber sur une telle liasse de correspondance. Elle nous met en prise directe avec une des grandes familles intellectuelles des États-Unis, à l‘aube d‘un XXème siècle que ce pays va finir par dominer. Les carnets de commande de Vacheron Constantin entre 1900 et 1950 ne manquent pas de refléter la montée en puissance économique et culturelle des États-Unis. Sa clientèle était familière autant des conseils d‘administration de Wall Street où des hommes de la trempe de Henry Graves avaient bâti leur fortune, jusqu‘aux usines à rêves de Hollywood. En 1922, passant l‘hiver à l‘Hôtel Caux-Palace sur les hauteurs de Montreux en Suisse, l‘écrivain britannique Edgar Wallace, à la plume duquel on attribue l‘histoire originale d‘un modeste petit film de 1933 appelé King Kong, commande à Vacheron Constantin un chronographe à rattrapante.

Si l‘économie américaine se muscle tout au long du dix-neuvième siècle, il faut les deux guerres mondiales pour élever les États-Unis au rang de superpuissance militaire. Guerre ou paix, Vacheron Constantin aura d‘ailleurs son rôle à jouer dans la vie américaine. En 1917, elle fait parvenir quatre montres torpilleur, ou montres de bord, à l‘U.S. Naval Observatory à Washington D.C. En mai 1918, depuis Berne en Suisse, le service des achats de l‘American Expeditionary Force passe commande à Vacheron Constantin de plusieurs milliers de chronographes simples en argent oxydé, calibrés au cinquième de seconde, dotés d‘un compteur des secondes mais pas des minutes, d‘un cadran et d‘aiguilles fluorescentes et portant l‘inscription gravée CORPS OF ENGINEERS.

Aux États-Unis, les années 1920 coïncident avec la grande époque du jazz, les jeunes femmes libérées, les débits d‘alcool clandestins et une génération fascinée par la mode à laquelle Vacheron contribue avec la très originale Historiques American 1921. À la fin de la décennie, Verger Frères, qui représente la maison à Paris, vend son brevet de montre à volets à la Kreissler Manufacturing Corp. de New York. La maison fournit bientôt de nombreux mouvements destinés à ce modèle qui fait fureur outre-Atlantique. La glace du boîtier est protégée contre les coups et les éraflures par un mécanisme de volets orientables actionné par une glissière logée dans le flanc du boîtier. D‘ailleurs, l‘entre-deux-guerres s‘avère fertile en innovations de toutes sortes, la déjà très ancienne industrie horlogère suisse s‘adaptant aux contraintes des nouvelles techniques. Parmi les modèles en vedette dans les vitrines de Vacheron Constantin au New York World‘s Fair de 1939-1940, on trouve le «modèle 4031, calotte rectangle arquée.» Connue également sous le nom de montre d‘automobiliste: l‘angle particulier de son cadran permet de lire l‘heure sans déplacer sa main du volant de sa puissante Stutz Bearcat.

C‘est bien sûr en 1939 que le début d‘une nouvelle guerre mondiale démontre l‘impuissance de la Société des Nations grâce à laquelle le président Wilson avait tant espéré établir une paix durable. Bien que l‘Organisation des Nations Unies - qui succède à la Société des Nations - siège à New York, Genève garde son importance en tant que lieu de contact de la diplomatie mondiale. La Conférence au Sommet ou Conférence des Quatre Grands s‘y tient en 1955, en pleine guerre froide. Elle réunit le président américain Dwight D. Eisenhower, les premiers ministres britannique et français, Sir Anthony Eden et Edgar Faure, ainsi que Nikolai Alexandrovich Bulganin pour l‘Union soviétique. Avec d‘autres importants délégués, ces grandes figures de la politique internationale reçoivent une montre-bracelet Vacheron Constantin gravée pour l‘occasion. (Le secrétaire d‘État américain de l‘époque, John Foster Dulles, sera particulièrement comblé. En plus d‘une élégante montre signée Vacheron Constantin, il se voit également offrir une montre de poche donnant l‘heure mondiale, offerte non par la population genevoise mais par Claire Booth Luce, écrivain, femme du monde et alors ambassadrice des États-Unis en Italie).

On peut aujourd‘hui se demander ce que ces Américains tout puissants pensèrent de leur nouvelle montre-bracelet. Bien que, par politesse, la Ville de Genève n‘en dit mot dans la lettre très convenue qui accompagnait son cadeau, 1955 marque le 200ème anniversaire de la maison horlogère fondée par Jean-Marc Vacheron. Les États-Unis d‘Amérique allaient devoir patienter encore 21 ans avant de célébrer un tel anniversaire.  

 

Communiqué

 

Marque
Vacheron Constantin