Moonswatch : une montre, ou un nouveau paradigme ?

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Ocean Of Storms © Swatch X Blancpain
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Après Omega, Blancpain : les montres cosignées Swatch se développent. L’engouement perdure, en témoignent les files d’attente devant les Swatch Stores. Et si ces projets ponctuels inauguraient en réalité un nouveau business model ?

Le Swatch Group est passé maître dans l’art d’explorer des modèles d’affaires inattendus. Le plus fameux exemple est la Swatch qui, il y a 40 ans, remit des montres au poignet de clients qui n’en portaient plus. L’idée redonna de la sève à toute l’industrie horlogère. Un succès massif, mais jamais réédité. En 2013, le Swatch Group a pourtant tenté de basculer ses Swatch à quartz vers une mécanique automatique, le Sistem-51, sans que l’effet n’ait toutefois la même ampleur.

A posteriori, on comprend pourquoi. Il y a deux raisons. La première : le prix. Une Swatch à quartz se négocie entre 60 et 150 CHF. Son équivalent Sistem-51, le double. Les clients n’ont pas tous suivi. La Sistem-51 a été perçue comme trop Swatch, pas assez mécanique – en tout cas pas assez pour une facture à 250 CHF.

Deuxième raison : l’esprit. La Swatch est une montre du quotidien, abordable. Son changement de pile est souvent l’occasion...d’en acheter une autre. La Swatch est saisonnière. La marque l’affiche d’ailleurs sans sourciller : ses lancements sont cadencés tous les 30 à 45 jours. Ce n’est pas le rythme auquel on associe une montre mécanique.

Fifty Fathoms © Blancpain
Arctic Ocean - Bioceramic Scuba Fifty Fathoms © Blancpain x Swatch

Associations de marques

Mais avec ses « collab » internes, la donne est particulière. Le principe est d’associer deux marques différentes du même groupe, au sein d’un même modèle. La première doit être premium (Omega et Blancpain, à date), la seconde d’entrée de gamme (Swatch).

Sur le marché, l’idée n’est pas nouvelle. Lorsque Louis Erard (prix 2'000 CHF) s’associe à Kari Voutilainen (prix 50 fois supérieur) pour une série limitée, c’est déjà un duo d’opposés. Mais les marques sont distinctes, indépendantes l’une de l’autre. Une telle série limitée ne remet en cause le positionnement originel ni de l’une, ni de l’autre.

Lorsque le Swatch Group rapproche deux de ses propres marques, l’exercice est différent. Depuis 30 ans, il veille à ce que ses marques n’empiètent pas les unes sur les autres, afin que leurs ventes ne se cannibalisent pas. La pyramide des prix, des modèles et des positionnements est claire et quasi immuable. Sa base part de Swatch, passe par Tissot, Hamilton, Mido, Rado, puis Longines, se poursuit avec Omega, et se termine par le triptyque premium : Jaquet Droz, Blancpain et Breguet.

Fifty Fathoms © Blancpain
Antarctic Ocean - Bioceramic Scuba Fifty Fathoms © Blancpain x Swatch

Grand écart

L’idée d’associer une marque premium, comme Blancpain, à la griffe Swatch peut donc sembler contre nature. L’opération enjambe une dizaine de marques intermédiaires. Elle fait sauter des digues savamment entretenues depuis trois décennies. Elle peut potentiellement dégrader l’image de la première. Achèterait-on une Mercedes-Lada ? Une Maserati Punto ? Une Lamborghini Dacia ?

Manifestement, le grand public comme les collectionneurs répondent oui. Le succès Omega X Swatch fut massif. Il s’en est vendu 1 million d’unités en 2022. Les chiffres 2023, non publiés à date, ne devraient pas différer outre mesure. Le public a donc massivement répondu à l’appel. Pas les investisseurs : en janvier 2023, l’action du Swatch Group se négociait à 300 CHF. Un an plus tard, en janvier 2024, presque deux fois moins (217 CHF). Corrélation n’est pas causalité, mais le parallèle est troublant.

Ocean Of Storms © Swatch X Blancpain
Ocean Of Storms - Bioceramic Scuba Fifty Fathoms © Blancpain x Swatch

Questions ouvertes

L’exercice entre Omega, Blancpain et Swatch pose enfin trois questions. La première : le Groupe va-t-il poursuivre l’opération, par exemple avec une future Jaquet-Droz X Swatch ? Voire une Breguet X Swatch ? La stratégie voulue par Alain Delamuraz pour Jaquet-Droz pourrait l’autoriser : l’homme veut réveiller la marque. Pourquoi pas avec une « collab » très ponctuelle avec Swatch ?

Pour Breguet, le cas est plus délicat. Il reviendrait à lier la manufacture premium, fleuron du Swatch Group, à son opposé, la Swatch, montre accessoire plastique et quartz à 100 francs. Le bénéfice d’image irait probablement à l’une, pas à l’autre. Sans aller jusqu’à l’association de tels extrêmes, il n’en reste pas moins toute une gamme de marques intermédiaires sur laquelle répliquer l’exercice. Par exemple, associer Swatch à Tissot ou Hamilton aurait du sens : les clients sont souvent communs.

Enfin, au-delà du Swatch Group, d’autres groupes pourraient adopter l’idée. Richemont, notamment, possède 27 enseignes. Les collaborations intra-horlogères semblent délicates, tant les frontières entre chaque maison de haute horlogerie sont fines, voire perméables. En revanche, il serait possible de marier des expertises complémentaires, comme la joaillerie, l’horlogerie ou la mode. Une Jaeger-LeCoultre X Buccelati, en série limitée, serait porteuse. Même idée avec une Baume & Mercier X Chloé, ou une IWC X Purdey. Le Swatch Group a ouvert un concept. Il appartient au marché de l’explorer.