La couture et l’horlogerie sont jumelles, voisines, parfois parentes. La filiation n’est pourtant pas simple. Parfois la greffe prend. Parfois le rejet est immédiat : on se souvient des échecs de Burberry, du retrait précipité de Ralph Lauren du (feu) SIHH.
À l’inverse, plus personne n’ose sérieusement remettre en question les créations de Chanel, Dior, Vuitton ou encore d’Hermès. Des marques qui ont su faire leur place dans le milieu de la Haute Horlogerie, au prix de deux incontournables : une identité forte en lien avec leur univers d’origine, et de la patience. Beaucoup de patience.
C’est à l’aune de ces deux variables qu’il faut considérer la Haute Horlogerie de Gucci. Concernant la patience, il faudra s’en armer : la maison italienne n’en est qu’à sa seconde collection horlogère. Et la première fut lancée dans le contexte sanitaire que l’on sait, donc sensiblement sous les radars.
Italianité
Concernant l’identité, en revanche, aucun doute n’est plus possible. L’horlogerie Gucci étonne, détonne. À l’image de ses ébouriffantes campagnes publicitaires, la marque déploie un éventail de couleurs et designs qui bousculent les codes de l’horlogerie suisse. On pense au travail similaire de Bulgari (qui a imposé son italienne Octo Finissimo en un temps record), à celui de Grand Seiko (qui creuse son sillon nippon), à Chanel (qui transpose à l’horlogerie sa vision du luxe à la française). Autant d’identités nationales qui, à force de persévérance, ont su habiller l’horlogerie helvétique de couleurs nouvelles.
Gucci arrivera-t-elle à se forger une place similaire ? La maison s’en donne les armes. Les armes esthétiques, d’abord. Les collections Haute Horlogerie 2022 regorgent de couleurs, d’une forme d’excentricité. La G-Timeless Dancing Bees ne s’affiche pas au poignet : elle s’y impose. En or blanc ou jaune, la pièce ploie sous les diamants, fait s’envoler des nuées d’abeille, offre 1000 reflets d’opales, virevolte d’un tourbillon volant.
Get a grip
On croit tenir une identité : exubérance et créativité colorée. C’est un leurre. Aux côtés de la G-Timeless Dancing Bees, la Grip Sapphire. À l’opposé de la première, elle n’offre aucun sertissage. Un mouvement heures sautantes. Aucune couleur, et pour cause : sa boîte est entièrement en saphir translucide. Son esthétique s’inspire des lignes d’un look quartz rétro – un poste de télévision des années 70 ? Difficile à dire. La Grip offre un boîtier coussin, un cadran rond, mais un cadran sans aiguille. À la place, deux disques traînants, l’un pour les minutes, l’autre pour les heures, gravé de 1 à G, comme Gucci. On y perd ses repères, sa grammaire, son latin. Un comble pour une maison italienne, mais c’est précisément ce que Gucci recherche : inventer un nouveau discours horloger.
D’un point de vue technique, la marque reste – pour le moment – dans le registre des complications usuelles, avec essentiellement le tourbillon. Mais Gucci trépigne et ne résiste déjà pas à proposer quelques animations de son cru, comme sur la G-Timeless Planetarium. Avec les 12 pierres précieuses qui bordent son cadran, la pièce éclaire une vision du temps en perpétuelle évolution. La roue sertie de pierres précieuses est activée par un poussoir et tourne autour du cadran en un festival lumineux.
Et demain ?
Bienheureux celui qui pourrait prédire l’avenir de la Haute Horlogerie Gucci. La maison reste très discrète sur ses partenaires, information qui aurait pu rendre plausibles quelques prévisions. Tout juste sait-on que ce sont les mêmes que pour la première collection.
On imagine Gucci s’aventurer au-delà du tourbillon. Peut-être réfléchir à une complication maison. À explorer le champ des collaborations. À faire sortir du bois Alessandro Michele, le créatif maison. À explorer les synergies de la maison mère, qui possède notamment Saint-Laurent, Boucheron, DoDo. Le champ des possibles est infini. La marque est en train de poser ses fondamentaux. Tout est encore possible.
