Freak : Une curiosité pour longtemps

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Freak: An Oddity For the Ages - Ulysse Nardin
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Dans l’histoire contemporaine, il est difficile de trouver une montre aussi marquante. Ce modèle à tourbillon carrousel, 7 jours de réserve de marche, sans couronne ni aiguilles a fait d’Ulysse Nardin un élément moteur de l’innovation du XXIe siècle*

Nous sommes en 2001. L’horlogerie repose encore sur des bases établies 180 ans auparavant, quand M. Lépine inventa la structure de mouvement qui porte son nom: une platine en dessous, des roues et un barillet au milieu, des ponts au-dessus. Vers 1845, Adrien Philippe, cofondateur de Patek Philippe, avait inventé la couronne pour remplacer les clés encombrantes. Et puis, Ulysse Nardin a tout remis en question et imaginé la Freak.

Regardez, il n'y a plus d'aiguilles

Premièrement: pas de couronne. La mise à l’heure s’effectue par la lunette crantée, que l’on libère à l’aide d’un levier entre les cornes, et le remontage par le fond cranté du boîtier. Deuxièmement: le mouvement est composé de plusieurs niveaux qui occupent tout l’espace. Le barillet est placé au fond, la platine au milieu et les ponts traditionnels qui normalement la recouvre ont disparu. Troisièmement: la montre mesure 44,5mm de diamètre et 12mm d’épaisseur. Quatrièmement: pas de cadran, d’où un aspect largement ajouré. Cinquièmement: pas d’aiguilles. Sixièmement: les roues, y compris la roue de balancier, et leurs ponts constituent un mobile géant. Leur configuration en ligne forme l’aiguille des minutes. Septièmement: cela signifie que l’ensemble rouage-échappement-balancier fait un tour en une heure. Huitièmement: les heures sont indiquées par un disque tournant un niveau plus bas.

Une rotation de plus grande ampleur 

La Freak est un carrousel (pas au sens défini par Bonniksen mais au sens de manège). C’est également un tourbillon, n’est-ce pas ? En effet, son balancier est logé dans une structure tournante. Ce n’est pas vraiment une cage mais bon, dans la Freak, rien n’est ordinaire. Tout est spécifique. Alors, si la Freak est un tourbillon, c’est un tourbillon qui tourne en une heure. On est très loin de ce qui est devenu la norme, la rotation en une minute. Et très loin de pouvoir justifier de son efficacité. Rappelons que le tourbillon fait la moyenne des écarts dans toutes les positions. Plus les positions sont variées et enchaînées rapidement, plus la moyenne est optimisée. Ici, la vitesse est très lente, la moyenne n’est donc mathématiquement pas déterminante. C’est néanmoins un tourbillon car personne n’a jamais fixé de limite, inférieure ou supérieure, à la vitesse de rotation de la cage. C’est également un tourbillon car, pour reprendre Galilée, «Eppur si muove ! » («Et pourtant ça tourne !). Le débat reste ouvert. Intéressons-nous plutôt à l’origine et à ce que la Freak a engendré, libéré et accéléré.

Freak : Une curiosité pour longtemps

L’origine

En 1997, Carole Forestier, une jeune et talentueuse horlogère française, développe le concept de « carrousel central » pour un concours organisé par Breguet. Au lieu de loger le balancier dans une cage tournante, elle fait tourner l’ensemble du mouvement autour d’un axe central, comme un tourbillon. Le ressort moteur est positionné tout autour. Plus tard, elle présente le concept, d’emblée un tsunami dans un milieu qui entend ne pas s’écarter de la tradition, aux responsables d’Ulysse Nardin. Ils réalisent que le concept ne peut pas être réalisé en l’état. On ne peut pas stocker suffisamment d’énergie pour assurer une rotation qui en demande énormément. Aussi, Ludwig Oechslin, le directeur technique d’Ulysse Nardin, reprend le concept pour le transformer en un mouvement dans lequel la structure tournante surmonte un ressort moteur aussi étendu que le calibre. M. Oechslin est alors au sommet de sa créativité et le propriétaire visionnaire d’Ulysse Nardin, Rolf Schnyder, lui accorde pleinement sa confiance et son soutien. Au final, la Freak est encore plus innovante. 

De plus en plus insolite

Pour couronner le tout, la Freak est dotée d’un échappement à double impulsion, baptisé Dual Ulysse, le premier à être fabriqué en silicium. Il sera en diamant synthétique dans la Freak Diamond Heart puis en silicium recouvert de diamant synthétique dans la Freak DIAMonSIL. Ensuite, la Freak Diavolo a accueilli un véritable tourbillon, volant de surcroît, à la place du balancier, ce qui a fait d’elle un double tourbillon (avec rotations en une minute et une heure). Et puis, on a commencé à modifier la forme du pont de rouage-aiguille des minutes. Et puis, on a ajouté la date. Et puis, on a dépouillé la structure, déplacé le barillet à l’intérieur du mouvement et donné naissance à la Freak X plus fine. Entre-temps, pour les InnoVision 1 et InnoVision 2, la Freak a servi de plateforme d’innovation technique représentative d’une multiplicité de nouvelles techniques de fabrication et d’horlogerie. Et puis, l’heure de la Freak NeXt et de son oscillateur extraordinaire est venue. Et puis, on a fini par calmer le jeu.

Encore plus important

Ce n’est pas le seul héritage de la Freak. Plus ingénieuse qu’insolite, elle a été une véritable pionnière. Elle a brisé les barrières et inspiré des dizaines d’horlogers qui ont compris que rien n’est figé. Les montres sont devenues un vaste terrain de jeu et tout est devenu possible pour les audacieux. Ils en ont profité, avec singularité et fécondité.

 
*Cette année GMT Magazine et de WorldTempus se sont lancés dans le projet ambitieux de résumer les 20 dernières années du tourbillon dans The Millennium Watch Book - Tourbillons, un grand et beau livre magnifiquement illustré. Cet article en est un extrait. The Millennium Watch Book - Tourbillons est disponible sur www.the-watch-book.com, en français et en anglais.
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