Amérique du Sud - le nouvel eldorado?

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Entre son couteau suisse et ses montres économiques et robustes, Victorinox fait un tabac sur cette zone. Et ce n'est pas le seul. Mais attention: terre instable!
Tribune des Arts, octobre 2012

Propos recueillis par Sylvie Guerreiro

Entre son couteau suisse et ses montres économiques et robustes, Victorinox fait un tabac sur cette zone. Et ce n'est pas le seul. Mais attention: terre instable!

 

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Le Mexique est un des pays qui a permis à la marque Victorinox de résister à la crise engendrée par les attentats du 11 septembre 2001. Impossible après cela de repartir avec son incontournable couteau suisse acheté au duty free de l'aéroport. À moins que vous ayez furieusement envie de passer beaucoup, beaucoup de temps avec les agents de la sécurité. Heureusement, il y eut les sud-Américains et leur soudain engouement pour cet objet emblématique. Une explosion qui permit à Victorinox non seulement de passer le cap mais aussi de développer sa diversification (montres, bagages, mode, parfums), gage de bonne santé financière.
 
D'un autre côté, il y avait la montre Victorinox Swiss Army, lancée aux États-unis en 1989. Économique, fiable et robuste, à l'image du fameux couteau suisse, elle s'était depuis imposée comme la première montre suisse du jeune Américain. Et parce que les Mexicains et les sud-Américains ont des goûts similaires à leurs voisins du Nord, la zone sud-américaine eut tôt fait de devenir l'un des premiers marchés horlogers de Victorinox. À hauteur de 15 %. Ce qui est énorme pour le secteur. Résultat: la marque possède aujourd'hui trois filiales sur place, au Brésil, au Mexique et au Chili. Alors, l'Amérique du sud, un nouvel eldorado pour l'horlogerie suisse? Nous avons posé la question à Alexandre Bennouna, CEO de Victorinox Swiss Army.
 
“Le qualificatif d'eldorado est exagéré. Même s'il est vrai que cette zone est en pleine croissance. C'est en Argentine que nous avons connu notre plus forte progression pour le secteur horloger: + 37 % depuis le début de l'année. Mais c'est un marché très volatil.”

 
Sylvie Guerreiro: Quels sont les pays qui se développent le plus actuellement?
Alexandre Bennouna: L'Amérique du Sud est dans son ensemble très forte depuis deux-trois ans. Mais la locomotive est le Brésil car il présente un tissu économique très solide. Les dettes extérieures sont maîtrisées, l'industrie s'est développée, le pays est riche en matières premières, et la politique générale est entrée dans une phase de stabilisation. La Colombie, l'Argentine, le Chili, le Pérou bénéficient d'un climat plus serein depuis quatre-cinq ans, même s'il y a une instabilité politique. Quant à la criminalité, elle a vraiment baissé. L'Amérique centrale a détrôné la Colombie et le Brésil en tant que pays les plus dangereux de la zone. Et l'on assiste à la conversion économique de pas mal de gens qui vivaient d'activités illégales. Ça contribue à l'essor de l'Amérique du sud. Avant, ces pays investissaient beaucoup à Panama et à Miami. Désormais, ils le font chez eux. De nombreux centres commerciaux ont ainsi ouvert.

 
Vous qualifiez le Brésil de locomotive. Malgré les taxes d'importations très importantes?
En fait, nous vendons plus aux Brésiliens qu'au Brésil. La classe moyenne a considérablement accru son pouvoir d'achat et elle voyage beaucoup plus. Elle achète donc surtout à l'étranger. Car ces taxes s'élèvent à 80%. Prenons l'exemple d'un chronographe mécanique Victorinox swiss Army à 2000 francs: pour un Brésilien, c'est moins cher d'aller à Miami pour l'acheter et revenir, que de le faire chez lui, à São Paulo. Et si ce type de produit était un luxe il y a encore quelques années, ce n'est plus le cas aujourd'hui.


D'aucuns disent que ces taxes ne dureront pas. Qu'en pensez-vous?

Je ne vois pas d'éclaircie à venir. Le Brésil n'est pas content de voir ses produits agricoles taxés en Suisse, notamment la viande et les céréales. Le but étant bien sûr de protéger nos paysans. Alors, il fait pareil, même s'il ne possède pas d'industrie horlogère propre.

 

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L'Argentine, elle, vient de décréter qu'il faut désormais importer autant qu'on exporte. Quelles conséquences?
Le contrôle des devises est malheureusement une pratique courante en Amérique du sud. quand les gouvernements sont à cours de devises fortes, ils les gardent pour les produits de première nécessité. C'est un réflexe. Et c'est cyclique; environ tous les cinq ans. La situation au Venezuela est bien pire. Ils en sont venus aux coupures d'eau et d'électricité. En Argentine, traverser une crise a un côté normal. N'importe qui en a connu au moins trois dans sa vie. Mais il est vrai qu'il y a quinze ans, le pays s'est engouffré dans une crise très profonde; il était carrément en faillite. Et là, ça leur pend à nouveau au nez car les réserves de devises et de matières précieuses sont en chute.
 

Par quelle “porte” les horlogers suisses ont-ils coutume de pénétrer le marché sud-américain?
Par Miami! Très peu sont implantés sur place. Ils pensent que c'est du pareil au même. Or, les Sud-Américains sont des gens très émotionnels. Le relationnel et la confiance établis avec eux sont très importants. Notre force est d'avoir des filiales sur place et des partenaires locaux depuis la fin des années 1990. Nous y sommes restés envers et contre tout, et c'est très apprécié.
 

À quoi ressemble le réseau de distribution in situ?
Il existe très peu de boutiques monomarques car cela suppose une présence physique de la marque en question. En revanche, il y a beaucoup de chaînes de magasins, de type Globus. Surtout au Mexique. Pour les autres marchés, il s'agit plutôt de centres commerciaux où l'on trouve des boutiques très haut de gamme jusqu'aux produits chinois. C'est un marché qui bénéficie d'un réseau de distribution très sélectif, très qualitatif. Mais aux vues de la situation économique, du Mondial de football en 2014, des Jeux olympiques de Rio en 2016, etc., je pense que ça va changer. Les grands groupes vont venir s'y installer. Quant à nous, nous voulons vraiment continuer à investir sur place.

 
Quel est le best-seller type de l'Amérique du Sud? Pour les montres suisses en général et pour Victorinox en particulier?
Si le très haut de gamme arrive à percer, c'est surtout le moyen de gamme qui s'impose. Le coût des montres Victorinox Swiss Army varie entre 300 et 2500 francs. Ça marche très bien car elles couvrent un large segment. Quand je voyage, j'en vois autant sur le poignet du douanier que sur celui des grandes fortunes. Le Mexicain Carlos Slim Helú, l'homme le plus riche du monde, se promène avec une Victorinox Swiss Army! En règle générale, les Sud-Américains aiment les montres chères, mécaniques, de type “crosscountry”, robustes et imposantes. Ils ont aussi un côté très fashion victim. Ils furent par exemple les premiers à porter des montres blanches. Mais ils aiment également les chronographes très classiques, à quartz, comme ceux de notre ligne Alliance, la plus épurée de toutes. Elles ont quelque chose de rassurant. Pour parler “diversité du marché”, on peut distinguer le Mexique et le Venezuela, très américanisés, très Nouveau Monde, qui sont plus tournés vers les montres fashion et robustes, de l'Argentine, beaucoup plus européenne dans le sens vieille Europe, et qui préfère le classique et l'intemporel. Cartier et Rolex, par exemple, fonctionnent très bien là-bas. Reste le Brésil, pays pluriculturel, où l'on trouve de tout.

 
Est-ce à dire que ces pays sont connaisseurs en matière d'horlogerie?
Ils le sont de plus en plus, surtout en Argentine et au Brésil où il existe une presse spécialisée et pas mal de collectionneurs. C'est moins le cas des autres marchés de la zone, mais ça se développe…

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